1- Nos amis libéraux devraient clarifier leur discours. Entendent-ils faire du droit de disposer de son propre corps un droit naturel, ou un droit fondamental ? Conformément à la tradition libérale, un droit fondamental ne devrait-il pas être un droit naturel garanti par la cité ?
Si maintenant, toujours selon les libéraux, un Etat ne peut être de droit, ou une cité ne peut être res publica, si elle ne garantit pas aux individus le respect des droits dits « naturels », comme jadis, ou des droits dits « fondamentaux », comme aujourd'hui, tout Etat devra accepter les dites conséquences logiques, ou droits, qui dérivent du fameux droit, plus général, en question.
Nommons en quelques-uns : a- droit à l'euthanasie, sorte de suicide de confort qui implique assistance, donc d'autres responsables ; b-droit de vendre les produits de son corps, voire son corps, ce qui peut aussi bien signifier vendre ses organes, son sang, son sperme, ses dents, que louer son ventre dans le cadre d'une GPA, et pourquoi pas se prostituer ; c- droit de changer de sexe…
On peut aussi évoquer le cas des mineurs : que peuvent interdire les parents, et la cité, à un mineur en raison de sa minorité ? Par exemple, est-il licite pour un parent d'empêcher des pubères, qu'il juge trop jeunes, d'avoir une sexualité, ou s'agit-il d'une violation du droit de chacun à disposer de son propre corps ? Si maintenant, le droit en question était entendu comme droit « fondamental », et que la cité si elle veut être res publica a l'obligation de le respecter ?
L'idée défendue est la suivante : il faut se méfier quand on affirme un droit abstrait, ou un principe. Si vous n'êtes pas disposé à accepter tous les cas précédents, la sagesse est sûrement de l'abandonner. Prenons comme exemple le petit b : même si vous affirmez un autre principe, l'indisponibilité du corps humain, pour limiter le droit de disposer de son propre corps, il y a alors contradiction entre les deux principes dans les cas mentionnés. La cité ne cesse-t-elle pas dans ces cas, de respecter un droit fondamental, et dès lors n'agit-elle pas en tyrannie ?
2- Concernant plus spécifiquement notre cas, la gestation : il n'est pas question d'un seul corps, mais de deux corps, l'un se développant dans la dépendance de l'autre. Question : s'agissant d'un autre corps, ou pour parler plus exactement, de son enfant, un autre homme, est-il toujours loisible à la mère d'en disposer à sa guise ?
J'imagine que la réponse oui, serait la suivante : en tant que cet enfant croît en son sein, qu'il dépend pour vivre de son propre corps, elle a le droit d'en disposer : pour parler plus clairement, elle a droit de vie et de mort sur lui. Il s'agit en fait pour la mère, de pouvoir le traiter, comme un parasite, une sorte de ver solitaire, puisqu'il est une conséquence non-désirée d'un acte sexuel, une souffrance, dans la mesure où la grossesse devient alors une sorte de servitude naturelle qui peut empêcher une sexualité libre.
Vous remarquerez qu'un nouveau terme entre alors dans la question : celle de la dépendance, en l'occurrence physiologique, de l'enfant à sa mère. Si en tant qu'il y a dépendance, qu'il est une charge, la mère a droit de vie et de mort sur lui, éventuellement parce que la vie en question est qualifiée de moins « digne », il semble assez logique de pousser la réflexion plus loin, si l'on considère qu'après la naissance, il y a toujours dépendance, même si elle change de forme. La juste extension du principe me semble donc la suivante : en tant que l'enfant dépend de ses parents, qu'ils devront le nourrir, le vêtir, le loger, lui donner une éducation… ils ont droit de vie et de mort sur lui. Précisons qu'aujourd'hui, une telle dépendance, dans beaucoup de cas, ne s'arrête pas avec la minorité.
3- S'il est simplement question de libre disposition de son propre corps, pour la femme enceinte, sans opposer un autre principe, c'est-à-dire sans entrer en contradiction avec le principe précédent, pourquoi une femme ne pourrait-elle pas avorter tout au long de sa grossesse ? pour le dire autrement, fixer une date limite pour avorter revient à la priver du droit en question, après une date limite.
On peut imaginer aussi bien des conséquences négatives que des conséquences positives. Pas de date limite, ce peut tout aussi bien être un risque, que plus de temps pour réfléchir et agir : trouver un moyen d'assumer l'enfant, s'il est finalement accepté après une plus mûre réflexion, ou un autre moyen de s'en débarrasser.
4- L'IMG pose une autre question : celle de l'eugénisme. Si visiblement dans nos sociétés, cette question provoque l'horreur lorsqu'elle implique l'Etat, comme acteur, par exemple s'il l'impose alors aux parents ; elle est parfaitement acceptée, dès lors qu'elle implique un choix « libre » des parents. L'est-il vraiment dès lors que l'opinion y pousse ? Qu'il est entendu comme le choix « raisonnable »? L'Etat se contente-t-il aussi d'autoriser la pratique de l'IMG, ou y-a-t-il politique d'incitation en plus ?
5- Qu'entend-on en l'occurrence par « raisonnable » lorsqu'il est question d'avortement ? Pour les parents, s'éviter beaucoup de peines, une charge qu'ils sont susceptibles de ne pouvoir supporter en raison de leur situation ; dans le cas d'une IMG, une charge beaucoup plus lourde, que celle qu'implique un enfant ordinaire, qui de surcroît est susceptible de se prolonger en raison du handicap ou de la maladie dont il est question. Si l'on résume, dans tous les cas, on considère que l'enfant apportera plus de souffrance, que de plaisir, à ses parents : si vous voulez éviter une vie de douleur, madame ferait bien d'avorter, ou si madame, seule, ne veut pas s'engager dans une voie difficile et tortueuse, une solution simple, avorter.
N'y voyez d'ailleurs pas une dénonciation : l'argument précédent est tout à fait vrai. Dès lors que le but de l'existence humaine, est la recherche du bonheur réduit au maximum de plaisir possible, il est effectivement « raisonnable » d'éviter ce que l'on conçoit comme un chemin de croix : une voie qui génère une multitude de difficultés. S'il est la recherche du bonheur, entendu autrement, il faudra alors réexaminer.
6- Dans le cas des IMG, le même argument est parfois avancé différemment : les vies qui ne valent pas la peine d'être vécues, dans la mesure où elles impliqueraient bien plus de souffrance, que de plaisir, mais cette fois-ci, pour l'enfant en question. Autrement dit, un individu se fait juge du bonheur d'un autre : en tant qu'il estime que le bonheur ne pourrait être possible dans de telles conditions, il finit par requérir de le tuer par une sorte de charité utilitariste ou hédoniste, je ne saurais trop dire, pour lui éviter les souffrances en question.
Il cesse dès lors d'être libéral en tant que le juge en question de la situation n'est pas celui qui la vit, mais un autre, et qu'il tend à l'imposer à cet autre, même dans le cas où le juge en question est parent, et agit en fait déjà en tant que tel ; cas qui a le mérite, si vous me permettez cette digression, de bien illustrer à quel point il est déraisonnable de considérer l'individu abstraction faite de ce qu'il est en société, tendance des libéraux, car quoi de plus logique qu'un parent qui décide pour son enfant, tant qu'il n'est pas en mesure de le faire lui-même, même si la décision dont nous parlons est… une condamnation à mort, à ne pouvoir poursuivre sa vie, ou son développement, si vous préférez ?
Terminons en notant que l'argument est susceptible d'être étendu, par exemple à des vies qui ne mériteraient pas d'être vécues, en raison de conditions sociales ou économiques difficiles, comme précédemment, au début du point 5, mais une nouvelle fois, pour l'enfant, non les parents. Dans ce cas, il ne sera évidemment pas question d'IMG, mais d'IVG.