Àmesure que la chrétienté occidentale prit conscience de son unité qui reposait fondamentalement sur l’appartenance à l’Église romaine et à la culture latine, elle eut tendance à considérer avec une méfiance croissante ceux qui ne partageaient pas ses croyances et qui utilisaient pour leurs cultes des langues incompréhensibles pour elle comme l’hébreu et l’arabe. Mais, parmi ces derniers, il convient de distinguer entre les minorités religieuses qui vivaient au sein du monde chrétien et les peuples du dehors. Dans le premier cas, il s’agissait essentiellement des juifs, qui bénéficiaient d’un statut particulier en raison d’une longue tradition de coexistence avec les chrétiens ; dans le second, des musulmans et des païens qui constituaient une menace pour l’Occident et vis-à-vis desquels la guerre apparut longtemps comme la seule attitude possible dans la mesure où ils étaient considérés à la fois comme des envahisseurs et des ennemis de la foi chrétienne.
Les juifs formaient la seule communauté non-chrétienne d’une certaine importance présente dans l’ensemble de l’Occident, même si leurs communautés étaient inégalement réparties selon les régions et plus nombreuses, en règle générale, dans les villes que dans les campagnes. Mais les juifs se définissaient avant tout par leur statut particulier et par des conditions de vie qui évoluèrent sensiblement entre le XIe et le XVe siècle. Ils bénéficiaient en effet d’une large tolérance – exceptionnelle pour l’époque – au sein de la chrétienté qui garantissait le libre exercice de leur culte ainsi que la sécurité de leurs personnes et de leurs biens, ce qui ne peut se comprendre qu’à la lumière de la doctrine de l’Église à leur sujet. ....
Sur le plan culturel et intellectuel, le bilan des relations judéo-chrétiennes est également placé sous le signe de l’ambivalence. En effet, la polémique entre lettrés chrétiens et juifs, traditionnelle depuis l’Antiquité mais relancée par Pierre le Vénérable à Cluny, n’a pas empêché certains échanges, surtout dans le domaine de l’exégèse biblique. À Cîteaux déjà, au début du XIIe siècle, l’abbé Étienne Harding, ayant trouvé des versions contradictoires dans les manuscrits de divers livres de l’Ancien Testament qu’il faisait recopier pour la bibliothèque abbatiale, se rendit auprès d’un savant juif très réputé – sans doute Rashi de Troyes – pour essayer d’établir avec lui le meilleur texte. Plus tard, d’autres moines firent l’effort d’apprendre l’hébreu pour revenir au texte authentique de la Bible, souvent déformé par la Vulgate. ....
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