Neodadais Par la Raison est la réponse naturelle.
1- Vous me répondez par une nouvelle abstraction, cher ami. Si plutôt que la raison, je remplace par le raisonnement. Qu'est-ce que le raisonnement ? Sans répondre véritablement à cette question, disons au moins : une opération, un exercice de l'intelligence. Les citoyens acquièrent-ils vraiment toutes leurs convictions par la réflexion : un effort qui se nourrirait aussi bien de leur propre expérience lorsqu'elle est utile relativement à un sujet, que de « la science » ou des lectures utiles au sujet en question ?
Je vous concède toutefois que mon propos suppose des notions qui ne sont pas moins mystérieuses que votre « raison » ; par exemple : qu'est-ce que l'intelligence ? A quoi se rattache-t-elle ?
Neodadais Pas grand chose en réalité dont il est cependant souhaitable d'en acquérir la maîtrise ?
Lecture, Ecriture, Calculs élémentaires, usage du dictionnaire et Logique élémentaire ?
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Tous ne pourront y prétendre bien sûr, et nous observons suffisamment bien les affres d'une population soumise à des passions manipulées par des tiers pour considérer l'exigence nécessaire d'une instruction solide des savoirs basiques au bon fonctionnement d'une société, fût-ce-t-elle démocratique ou pas ?
2- Examinons la question, même d'un point de vue orthodoxe. Citons pour commencer un de mes précédents posts :
https://forum-politique.org/d/145272-la-guerre-en-ukraine-tome-2/24
Dans un régime qui admet la souveraineté de la « nation » ou du « peuple », dont une traduction possible est l'opinion publique, il faut que les citoyens soient avisés, sinon il y a clairement un problème. L'un des objectifs de l'instruction publique était de former un citoyen « éclairé », oui. Qu'est-ce alors qu'un citoyen « éclairé » ? Qu'est ce que cela demande comme instruction ? Qui est véritablement capable de devenir « éclairé » ? Par « éclairé » entend-on sage, ou savant, ou éduqué dans les idées admises par les institutions et textes de la cité, c'est-à-dire orthodoxes ? Est-ce en adéquation avec les autres besoins de la cité ? Former de la main d'œuvre, disposer d'une hiérarchie qui répond aux besoins en question où la plupart des individus peuvent trouver leur place ? La dernière question n'est peut-être pas très bien formulée.
Développons. Qu'attendez-vous d'un citoyen éclairé ? Qu'il connaisse juste certains textes par cœur, comme la DDHC, et qu'il juge en fonction, c'est-à-dire l'idéologie admise de la cité comme critère pour tout ? Ce ne sera alors qu'un « âne avec brassard droit de l'homme au bras ». Qu'il soit capable de réfléchir aux problèmes qui se posent à tel instant en notre société : covid, politique étrangère, économie ? Pour ce faire, il lui faudra plus que les quelques rudiments que vous évoquez.
Dans un régime qui n'admettrait pas la souveraineté de la « nation », où le sujet n'aurait pas besoin d'être spécialement éclairé, l'instruction publique devrait certes encore éduquer dans les idées de la cité, mais pourrait se contenter d'être beaucoup plus sommaire, de produire une simple fidélité au régime, sans plus de réflexion, et se concentrer alors sur son autre objectif, déjà assez difficile à réaliser : produire une hiérarchie sociale qui répond à ses besoins, où la plupart des individus sont susceptibles de trouver leur place.
3- Notons que le premier objectif : former des citoyens éclairés, afin qu'ils puissent participer au régime politique est démocratique ; tandis que le second ne l'est pas : il entérine dans notre société développée, l'inégalité des conditions, et des talents. Il est beaucoup plus conciliable avec une aristocratie : les meilleurs en question sont alors ceux qui ont suivi la voie des grandes écoles après bac, dont une petite partie pourra peut-être aspirer à plus dans notre société qu'à la condition de « bourgeois ». Notre instruction publique est en réalité face à une énorme contradiction, en raison des deux objectifs admis.
Voici la question que je me pose : l'évolution de "l'éducation nationale" sur les cinquante derrières années n'est-elle pas marquée par l'opposition entre les deux objectifs ? L'objectif démocratique ne viendrait-il pas ronger l'objectif plus aristocratique ? Pourquoi une sélection toujours plus tardive ? Je n'en connais certainement pas toutes les raisons, mais notons quand même que plus la sélection intervient tôt, moins il est question de former un citoyen éclairé ; nous constatons désormais que plus la sélection s'opère tard, plus la qualité de l'enseignement dispensé avant sélection peut en pâtir, pour ceux qui en profitent, ou qui le subissent, on ne sait plus très bien. Non seulement, l'objectif 2 en subit les conséquences, mais en plus l'objectif 1 n'est pas plus une réussite…
4- En abandonnant l'objectif : former un citoyen éclairé, le système scolaire aurait tout loisir de devenir aristocratique, plus exactement technocratique, sans contradiction, dans toutes ses composantes : que les meilleurs émergent. Si l'on restreint le corps des citoyens en fonction : ceux qui sont devenus éclairés, qui ont dépassé tel niveau d'études ou réussi tel examen ; et si l'on définit « peuple », par « l'ensemble des citoyens », le système scolaire en question devient-il compatible avec une démocratie ?
Ne s'agit-il pas plutôt d'un moyen, voire d'un subterfuge, selon qui le défend, qui permet de déguiser une aristocratie en démocratie ? Les citoyens ainsi entendus sont les meilleurs parmi « la population » ; ceux qui n'ont pas conquis la citoyenneté sont de simples sujets. Quelle proportion de citoyens ? Quelle proportion de sujets ?
Une institution est dans ce cas en mesure de faire les citoyens, en plus de faire, ou disons plus exactement de délimiter l'avenir des enfants qui passent sous ses fourches caudines* : en gros, le salut ou l'avenir d'un enfant passe par elle, ou tend à ne pas exister. Si l'enfant veut réussir, et que la réussite passe par une institution, ne lui reste qu'à se soumettre bien docilement à son orthodoxie et son orthopraxie, quelle que soit la valeur de l'une et de l'autre : les opinions, et les codes, la conduite qui y est admise.
Si l'enfant ne se soumet que relativement, plus il progressera dans les études, plus il pourra s'agir d'un handicap par rapport à ses rivaux ou concurrents. Si l'enfant vient d'un milieu social dont les idées sont différentes, ou la conduite, alors il devra les acquérir, une difficulté que d'autres enfants n'auront pas forcément à affronter, au risque que cela deviennent comme pour le cas précédent, un handicap.
Note : même si l'on admet que pour enseigner à des enfants, certaines matières, il est difficile d'envisager un autre moyen que la contrainte, il reste absurde d'appeler une telle institution : "école", de « skholè ».