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france2100
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Ce n'est pas la nature humaine qui conduit à une mauvaise interprétation des chiffres, mais l'ignorance. Or, l'homme peut tout autant l'accepter que la nier : je ne suis pas assez savant pour interpréter ; ou j'interprète quand même. C'est une liberté qui implique autant mérite, s'il se comporte bien, que démérite s'il se comporte mal.
Plus exactement, c'est la conception déraisonnable de la raison née au XVIIème que j'accuse. Je ne reproche pas à Descartes ou Spinoza leur méthode, mais de l'appliquer indifféremment à tous les objets existants, en faisant nécessairement des objets mathématiques. Lorsque l'on veut savoir si un principe est juste, il faut en constater les effets. J'ai développé cette question précédemment. Je vous laisse y réfléchir : notamment à ce que le bonheur devient chez vous.
D'ailleurs, parce que l'homme moderne se fait une fausse idée de l'homme, un modèle, il pense être bon, ou raisonnable. Pour être dirigé par sa raison, il faut se soumettre à une éthique, stricte. C'est un travail de longue haleine, que seul l'homme d'élite : en l'occurrence le philosophe, parvient à réaliser. N'est pas Marc Aurèle ou Socrate, qui le souhaite. Ce qui est propre à l'homme moderne, c'est d'ignorer tout cela.
L'homme moderne est empêtré dans la réalité dans la mesure non pas forcément où il n'a pas de religion, mais où il nie toute métaphysique. Il croit ce qu'il voit parce qu'il confond vérité et réalité. Il pense que seul le sensible existe : il nie l'être. Singulier paradoxe, il le fait au nom de la raison, qui pourtant ne se constate pas au microscope. Il refuse ces questions, car elles lui semblent forcément oiseuses. Si je ne vous ai pas convaincu jusque-là, autant accepter l'impasse : je ne vais pas me répéter ad vitam aeternam.
2°
L'homme moderne se prenant pour Dieu, il veut édifier le paradis sur terre par la politique. La vérité, c'est qu'il y a des choix à faire. Autrement dit, vous ne pouvez pas tout avoir. J'affirme qu'il est moins dommageable pour une société d'accepter une doctrine et ses faiblesses, que de tenter de concilier ce qui ne peut l'être.
Qu'est ce que la philosophie politique ? C'est la science qui étudie le moyen de constituer une société et de la conserver ; ce que doit être le politique, et comment il prend soin de son troupeau : la forme du gouvernement ; la fin de votre société ou bien commun ; comment conserver ce bien commun par les lois ; comment produire un homme honnête si ce n'est vertueux, et le conserver tel quel. Pas simple, je vous le concède ! Le cours des événements ne devient fatalité : s'impose au politique, que lorsqu'il ne sait pas où il va.
Le principal reproche à faire au roi d'Ancien Régime, est d'avoir progressivement oublié quels étaient les fondements de son régime : de ne pas l'avoir protégé en conséquence contre les dangers, et d'avoir même participé à sa destruction à son insu.
Vous parlez de l'explosion du savoir, mais ce n'est pas tout à fait vrai. Il n'est que dans les sciences physiques et naturelles. Je ne vais pas m'aventurer dans ce sujet, mais il me semble que la méthode scientifique et la spécialisation y ont largement porté leurs fruits. Il faudrait rajouter l'économie, parce que l'on se souciait assez peu d'économie dans les sociétés traditionnelles. Par contre, en philosophie, pardon ce qui tend à la remplacer : une partie des sciences humaines, ou en histoire c'est beaucoup plus contestable.
3°
La démocratie dans une société riche et étendue comme la nôtre, c'est déraisonner. Elle présuppose l'égalité des conditions. Or, plus la société est riche, moins c'est réalisable. Vous pouvez toujours décréter l'égalité devant les lois, elle n'existe pas vraiment.
Vous nous proposez une utopie où chacun est maître et sujet, gouvernant et gouverné : mais à l'aide de quelle science -savoir-, vos citoyens gouvernent-ils ? Dans la communauté de fermiers de l'Amérique du XVIIème, ils sont tous fermiers avec des intérêts et problèmes communs : s'ils n'ont pas la connaissance de l'universel -le savoir ou science-, ils ont au moins pour eux l'expérience : la connaissance de leur propre vie, qui est analogue à celle de leurs concitoyens.
Comment allez-vous trancher nos problèmes dans vos assemblées ? Comme dirait Ortega y Gasset, vous aspirez à régner à l'aide de vos lieux communs de café.
Croyez-vous vraiment que vous ou moi, nous pourrions remplacer nos politiques, tout aussi imparfaits soient-ils, au pied levé ?
Vous avez pensé aux applications réelles de votre projet ? Par exemple, il faut du temps pour la politique, vous savez, ce qui exclut déjà pas mal de citoyens : ceux qui travaillent le plus, les patrons...
Sans oublier que votre régime est une négation totale des qualités naturelles des hommes : chacun doit se plier à une certaine égalité dans la servitude ; nous sommes tous des unités égales. Aucune famille ne peut se distinguer, conquérir une plus haute position au fil des générations, par le travail de ses membres. Vous ignorez ce que souhaitent les hommes.
Alors certes, dans la mienne, il y a la famille comme première société, et bien plus exigeante que l'Etat, et d'autres sociétés établies sur des intérêts particuliers, mais c'est pour mieux contrebalancer le pouvoir de l'Etat. Si effectivement, chaque individu doit pouvoir être Bel – Ami, ou Rastignac, il ne peut avoir d'accord entre nous, sur ce point.
4°
Je ne reproche pas à la République d'avoir une élite, je lui reproche de lui laisser l'occasion de déchoir. Je ne souscris pas au terme fatalité, dans la mesure où une élite est une bonne chose, pas une mauvaise.
Justement, j'ai parlé de Rome ou de la monarchie, parce que ces deux régimes cherchaient à instrumentaliser l'ambition et le désir de gloire de l'élite : l'une par le cursus honorum, l'autre par le service du roi. Toute l'idée de l'ascension dans ces sociétés est de se faire par l'industrie, le négoce, par une politique familiale ; puis de sortir de l'ordre économique pour l'ordre politique et de conquérir la gloire. Ce sont des timocraties à cet égard. Ce que j'ai résumé ainsi : que l'élite serve le régime, par sa soif des honneurs, de réussite, de renommée. Qu'est-ce qu'un noble ? Celui qui conquiert sa notoriété. Que doivent faire ses descendants ? Conserver la renommée conquise, le nom.
Tenir en laisse l'élite fait partie des missions du pouvoir politique. Voilà pourquoi ma préférence va à un roi plutôt qu'à un Sénat : un arbitre au-dessus des nobles. Toute la politique du roi doit être de se concilier avec l'aristocratie, sans la détruire, la faire déchoir. En cela, le roi de France a échoué. Mais qu'une société meure ne prouve pas que tout y était mauvais, parce qu'une société n'est jamais éternelle : elle naît, elle vit, elle meurt.
Si je m'en tenais à Platon, je dirais que nous sommes à mi-chemin entre l'oligarchie et la démocratie, que la cité est divisée : que l'élite est cupide, oligarchique, mais que l'esprit du peuple est démocratique. Ils ont en commun d'être tous soumis à leurs passions. Les premiers ne veulent plus servir mais juste se servir, les seconds ne veulent plus obéir. Personne ne pense plus à la cité.
Si je ne suis pas démocrate, c'est parce qu'en dehors des premiers temps protestants en Amérique, il s'agit du régime de la bêtise, de la débauche, et que cela n'entraîne que le malheur de tous. Qu'est – ce que la démocratie ? Platon dit : « un cloaque qui a les apparences de la beauté ».
Comment sort – on de ce régime ? J'en suis réduit aux hypothèses ; je ne peux que l'imaginer. J'ai bien peur de dire par l'émergence d'un tyran, ou une dictature, qui ne sera pas forcément meilleure que notre situation actuelle, à moins d'un homme éclairé et providentiel : tout à fait improbable, je le concède. Je regrette que le général ne l'ait pas été, en étant plus contre-révolutionnaire.
Comment reconstitue-t-on une noblesse ? Pareil, je ne peux que tenter de l'imaginer. Comme pour l'homme providentiel, elle sort de l'anarchie en se distinguant : la résistance aurait pu donner cela ; de toute façon, corrigez – moi, si je me trompe, elle a bien nourri l'élite politique de la IVème et Vème République ; et admettons-le, le résistant méritait grandement les honneurs.
5° Considérons maintenant votre état des lieux : une réponse point par point, en plus des considérations précédentes. Je reprends vos lettres.
a) vous oubliez la fracture entre français patriotes/nationalistes et cosmopolites. Il faut effectivement résoudre la fracture ethnique : rétablir l'unité nationale. Mais êtes-vous prêt à utiliser les moyens adéquats ? Pensez à comment les rois catholiques des "Espagnes" du XVème siècle rétablissent l'unité de foi.
b) déjà répondu : les élites veulent être élites, quoi de plus logique ?
c) Le gouffre entre les générations vient du mouvement dans lequel on est empêtré. Nous. n'avons pas d'orthodoxie. Considérez qu'il naît à chaque génération un parti différent, qui concilie les contraires : liberté, et égalité, différemment. Le premier schisme a été entre les libéraux et les socialistes au XIXème sur la question économique. Le terme libéral a alors une première fois changé de sens : cela ne signifiait plus Montesquieu, Locke, Voltaire ; mais Smith, Ricardo, Mill, ou Say, Bastiat pour la France... Je vous avoue que la question économique n'a jamais été ma priorité.
d-
La fracture entre France des grandes métropoles et France périphérique découle directement de l'économie d'aujourd'hui. Il y a une France bien intégrée à la mondialisation, et une autre qui ne l'est pas.
Lorsque la cité en matière d'économie est le monde, tout pays devient une province. Or, dans une conception pareille de l'économie, il ne peut que naître une nouvelle plèbe. Comment bâtir une cité où chacun travaille si notre agriculture et notre industrie périclitent à cause de la concurrence internationale ? Comment faire en sorte que chacun puisse gagner son pain, si la productivité est au plafond et ne cesse d'augmenter ? En fait, dès le berceau, dès l'école, une partie de la population est condamnée, aujourd'hui.
Toutefois, si nous ne sommes pas tous travailleurs, nous sommes tous consommateurs ; et plus ou moins bénéficiaires à cet égard, même certains pauvres. Le parachute social sert aussi les plus libéraux : je les soupçonne de vouloir distribuer juste suffisamment pour éviter les révoltes du pain : votre revenu universel ? N'est-il pas souvent question de revenu universel, comme indemnité pour tous, et qui servirait à bien liquider le "socialisme" français ? Je me fais peut-être conspirationniste, qui sait : le panier de pain distribué par l'Etat plutôt que le patricien, et les jeux pour pauvres, et loisirs pour riches ? A cet égard, il faudrait comparer notre cité qui passe son temps à construire des théâtres ou stades, organiser des événements sportifs, et promouvoir l'industrie du divertissement : cinéma, musée, télévision, et autres loisirs : les parcs d'attraction... à la Rome des premiers siècles. Le problème comme dit précédemment n'est pas le divertissement, mais plutôt de savoir s'il fait déchoir, ou s'il vous endort...
Revenir en arrière, ce serait une économie nationale, pas une économie qui laisse une partie des français sur la touche. Mais cela implique clairement décroissance, et une vie plus modeste pour tous. Qui est prêt à l'accepter ? Personne.
e- La philia n'est pas perdue à cause de la modernité, mais parce que nous aimons les causes des maux de notre société. L'unité ne peut se faire qu'autour d'une orthodoxie claire et définie. Comment voulez – vous qu'il y ait philia si chacun a sa doctrine ?
Quand on n'a pas une orthodoxie qui est fondement, et inonde toute la société, il ne peut qu'y avoir division ; et cette dernière s'accroît à chaque génération comme dit précédemment. Les occidentaux sont élevés dans le déni de la réalité. L'homme souhaite l'unité, pas que chacun ait ses opinions : comment êtes vous traité lorsque vous êtes hétérodoxe dans un groupe ? Comme un paria. La tolérance est un principe de destruction comme dit dans un précédent post. La tolérance, cela va avec votre démocratie, pour un peuples d'hommes-dieux qui sont tous aussi parfaits que Jésus.
J'affirme que les adversaires ne peuvent s'unir que s'ils ont un ennemi commun, mais juste le temps de le détruire. Le seul bienfait : cela fait toujours un ennemi de moins. Que se passe-t-il ensuite ?
Je ne suis pas un grand connaisseur des USA. Mais si je me souviens bien, il s'agit d'une société de sociétés : d'un Etat fédéral avec parlement bicaméral et président ; composé d'Etats fédérés avec des parlements bicaméraux et un gouverneur. Il y a deux niveaux d'institutions similaires, non ? Ils sont certes étasuniens, mais aussi californiens ou texans... Il faudrait donc étudier chacune de ces sociétés particulières composées que d'individus isolés...
De toute façon, les étasuniens ne sont pas les français : ils n'ont pas forcément la même mentalité ; les mêmes traditions ou coutumes en matière politique, économique … ; la même histoire. Je vous rappelle Montesquieu : les lois sont certes relatives au bien, mais aussi aux populations, à la religion ou aux « idéologies » acceptées., et à divers autres facteurs. Le politique gouverne des hommes, pas L'Homme.
6– Non. Absolu signifie simplement délié des lois : au – dessus des lois, mais aussi en dessous de l'orthodoxie qui irrigue ces mêmes lois, et des lois fondamentales. Le premier rôle du roi, c'est de garder l'unité de foi de son royaume. Évidemment, s'il ne le fait pas, la société éclate.
S'il fallait rétablir la société aujourd'hui, ce serait autour d'une idée, même une idole comme la nation, avec chaque personne se faisant à peu près la même idée de cette nation, et une bonne chasse à l'hétérodoxe.
7°
Les divisions dont vous parlez concernent l'Eglise, comme empire. Elle comptait sur chaque souverain temporel pour garder son orthodoxie. Comment aurait-elle pu faire autrement sans devenir un Etat couvrant toute l'Europe ? L'idée n'est pas de réunir tous les chrétiens sous le joug d'une même autorité administrative. Le choix n'existe qu'entre une société internationale limitée, un énorme despotisme oriental, et une anarchie de nations ou de cités qui s'organisent en alliances concurrentes.
Vous parlez des excommunications, mais ces dernières frappent la personne du roi. Même en la déclarant indigne, elle ne dépossède pas un roi. C'est une autorité qui ne s'exerçait qu'en matière de foi et de mœurs : le pape ne se souciait pas de l'administration des royaumes, ni de leur organisation. C'est si terrible que cela de voir un pape condamner la bigamie/polygamie d'un roi chrétien en sa qualité de premier pasteur et docteur de l'Eglise ? Vous préférez l'adultère généralisé, le divorce qui ont détruit le mariage et permis la dissolution des familles ? Les familles mutilées d'aujourd'hui et leurs conséquences ?
Préférez-vous nos institutions internationales qui jugent les nations ? Le pape s'est-il déjà permis d'interdire la guerre, ou de la limiter à la guerre défensive, alors qu'il s'agit d'une prérogative royale par excellence ? A moins que vous préfériez les complots menés par les occidentaux contre la Syrie, la Libye ? le crime d'agression ne concerne que certains justiciables visiblement.
Quant au partage du nouveau monde à Tordesillas en 1494, peut-être auriez vous préféré qu'espagnols et portugais se livrent une guerre sans merci dans toutes leurs possessions ? Les espagnols et portugais n'avaient pas besoin de l'assentiment du pape pour conquérir. Lui reprochez - vous de pouvoir être un médiateur efficace entre rois catholiques ?
Décidez - vous, lorsque le pape limite le pouvoir des rois, il est injuste ; et lorsqu'il laisse agir, ou qu'il ne peut rien, il est injuste aussi. L'Eglise ne peut devenir l'ordre international. Mais les libéraux le peuvent ? Les libéraux peuvent réfléchir à des lois internationales, pas l'Eglise ? Comment édifier un ordre international sans impérialisme ?
S'interroger sur les actes de l'Eglise est parfaitement légitime, comme on le ferait pour n'importe quelle autre civilisation, pas plus, pas moins. Face à l'esprit voltairien, je peux m'improviser apologiste/apologète : le tout serait d'examiner dans quelle mesure ce point 7) est vrai.