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1) Vous avez tout à fait raison de parler de Descartes. Si l'on ne considère que la France, les maux que je dénonce lui sont plus imputables qu'à Spinoza. Vous répondre serait me répéter : j'accepte qu'une discussion puisse aboutir à une impasse, même si c'est frustrant pour vous et pour moi.
2) Cela tient à la superstition des faits de l'homme contemporain dénoncée par Guénon. Il voit dans le chiffre un fait, tout en oubliant qu'un fait est un phénomène observé ; c'est à dire, que le fait pour être vérité doit être la conformité entre l'idée perçue par l'intelligence de l'homme, et l'objet ou phénomène observé.
Vous retrouvez cette superstition lorsque l'on parle de mauvaise foi : l'homme moderne pense que la vérité saute aux yeux, qu'elle est évidence*; il supprime l'action de l'intelligence, la lumière qui éclaire plus ou moins bien. Dans ces conditions, quiconque observe autre chose ne peut se tromper que par volonté, donc est malhonnête.
3) Je dois avouer que ce point 3 m'a posé quelques problèmes.
Une société est un agrégat d'hommes, ou un agrégat de sociétés. Notre Société est un agrégats d'individus tous isolés ; celle d'Ancien Régime est encore un agrégat de sociétés qui sont un agrégat d'hommes unis par une même loi. Voilà ce que j'ai tenté de démontrer. Pour nuancer, il aurait fallu monter que l'Ancien Régime était en voie de dissolution.
Pour répondre à votre question, il ne suffit pas de produire une analyse historique marxiste de l'élite politique ; il faut étudier notre société dans son ensemble : son type de gouvernement, l'homme qu'elle produit aujourd'hui, les mauvais principes qui la détruisent. Autrement dit, il faut faire une radiographie complète.
J’espérais surtout souligner que notre mauvaise organisation ne nous protège en rien de notre élite. Je rajoute : sans pour autant oublier qu'au contraire de Rome avec son cursus honorum, nous ne parvenons pas à mettre l'ambition et la compétence des élites au service de la communauté.
L'un des grands tours de force, de tout régime politique est de parvenir à faire servir l'élite : une cause commune au moins, voire les plus faibles au mieux. Mais cela nécessite me semble-t-il tout autant une caste qu'une hiérarchie bien définie. J'entends par-là qu'au contraire d'une hiérarchie qui crée des dépendances, des rapports de clientèles entre les gens, c'est-à-dire société ; l'égalité républicaine est un principe de destruction, en plus d'être un gros mensonge. Mieux vaut des rapports clairs et définis, qu'indiscernables. C'est certainement ici, qu'il faudrait enchaîner sur une analyse des réseaux d'influence, de la confusion entre l'ordre politique et économique... Je laisse à un autre cette analyse.
En plus de l'analyse complète de notre régime et de ses problèmes, il faudrait que je me fasse Platon dans la République , pour vous répondre convenablement : réfléchir à comment produire une cité viable, qui dure. Le critère essentiel me semble être l'unité de la cité : que la philia règne. Trouver le moyen de produire une hiérarchie juste, où les grands servent le régime, et les petits obéissent sans être écrasés. Comme Platon, il faut aussi réfléchir sur l'homme : comment produire par l'éducation, l'homme le plus vertueux possible. Sans vertu, la philia ne peut exister. Disons que notre société semble l'avoir oubliée : si chacun est envieux, ambitieux... la cité explose forcément. C'est par l'homme qu'une société dégénère.
Mais, l'homme édifie-t-il vraiment sa société ; peut-il vraiment la régénérer ? N'est-ce pas l'illusion des philosophes ?
Admettons quand même que oui. Comment restaure-t-on l'unité et la philia, disons fraternité, dans la France de 2020 ? Quelles sont déjà ses divisions ?
C'est moins ma question : j'essaie quand même. Disons donc : la fracture ethnique ; la fracture religieuse qui englobe les défenseurs de la laïcité aussi ; les riches contre les pauvres, ou la France des grandes villes, contre la France périphérique ; les défenseurs de la nation ou patriotes contre les cosmopolites ; les défenseurs des institutions actuelles, contre toutes les remises en question...
Ces divisions sont renforcées par la diversité des solutions proposées : il y a les partis, les médias et syndicats ; la nouvelle opinion publique internet et les nouveaux médias. Chaque petit groupe à sa solution et entend l'imposer, convaincu à force de pratiquer l'entre – soi, que cette dernière est en progression, a de beaux jours devant elle.
Enfin, un seul de ces groupes est-il vraiment susceptible de rétablir l'unité ou la philia ; ou ne s'agira -t-il que de proposer un toilettage ?
Les spécialistes es toilettage de la République sont les gaullistes, le thème de la France unie face au danger commun, les trémolos dans la voix. Quand cela marche, c'est effectivement un rétablissement de l'unité, le temps de la lutte : car une fois la victoire en vue, même pas forcément acquise, les alliances entre ennemis se délitent. 1944 et 1958 ont été des rétablissements appréciables, mais le général reviendrait aujourd'hui nous expliquer pour la énième fois que nous sommes retombés dans le régime des partis. Je leur concède, qu'à choisir, c'est toujours mieux que rien.
4)
a) l'homme
Toute société fondée sur Dieu l'est sur absolu. Mais encore faut-il effectivement que l'homme y croit. Ce que vous dites se résume ainsi : même si Dieu existe et exerce sa providence, l'homme peut toujours le nier. La preuve : il n'y aurait pas de sociétés athées comme la nôtre.
Certes, c'est une objection tout à fait juste. Ce qui vous échappe, c'est la vie intérieure de l'homme qui a la foi ; parce qu'un croyant pour vous, c'est un catholique vatican II d'aujourd'hui, juste une foi qui se résume à quelques opinions différentes de l'athée ; qui finalement n'est pas différent de ce dernier. Ces catholiques sont tout aussi creux et vides.
La différence entre ce catholique -là et celui de la société d'ancien Régime, est la même qu'entre le musulman libéral qui fait le ramadan par coutume, et le musulman qui se soumet strictement à son orthopraxie : il vit de sa foi, dans sa foi.
Parce que l'homme vit sa foi, tout ce que Dieu fait est sacré : cela tient en ce seul petit mot ; ce qui ne signifie pas qu'il sera forcément bon chrétien. C'est la différence avec nos droits de l'homme que l'on dit sacrés, mais dont personne ne se soucie vraiment. Même les plus grands apôtres de la DDHC, substitut révolutionnaire du Décalogue, ne la respectent pas vraiment. Ce que l'homme fait, il peut le défaire. Je pense à René Cassin qui participe à la rédaction de la DUDH en 1948, et qui justifie l'indignité nationale qui bafoue la DDHC, quelques années auparavant.
b) la société
La société catholique a un pouvoir efficace, car non mutilé ; une orthodoxie clairement définie ; une fin qu'elle assume : que chacun puisse réaliser par ses propres moyens son salut. Tout cela tient à l'homme qui vit sa foi, et au même fondement qui irrigue tout : le catholicisme, comme doctrine de la société des sociétés. Il irrigue l'économie, le politique, la religion évidemment...
Tant que le roi défend l'orthodoxie, la monarchie peut -être menacée de division même très grave, elle a son gardien. La destruction de l'unité vient quand le roi laisse droit de cité à l'hérésie, au déisme, à l'athéisme. La monarchie française meurt en partie parce que Louis XV n'a pas traité la philosophie des Lumières, et le jansénisme comme Louis XIV a traité Port – Royal justement, et les protestants. La tolérance de Locke est un bienfait pour les individus ; elle est un principe de destruction pour la société.
Il n'y a pas d'instabilité des dogmes catholiques : il y a des vérités admises, et des débats permis. Remettre en cause l'existence de Dieu, c'est interdit, car c'est une vérité** renforcée par l'autorité : un dogme. Remettre en cause la première fin du mariage, c'est tout à fait possible, car ce n'est pas un dogme. Toute la doctrine de l'Eglise n'est pas dogmatique.
C'est ce que ne voit pas un Feuerbach par exemple : le christianisme du XIXème n'est effectivement pas celui des premiers temps, ni des premiers siècles, et ces chrétiens pourraient tout à fait remettre en cause pour reprendre l'exemple précédent, la doctrine du mariage.
Toutefois, et cela fait de moi un impie : comment l'Eglise peut-elle être société parfaite en étant composé d'hommes ? 1) Son fondement ou origine est en Dieu ; 2) Dieu veillera sur elle, contre le mal que les hommes peuvent produire, en vertu de la mission qui lui a été assignée : allez et enseignez toutes les nations Mt 28 18-20. Elle possède en elle "les ressources qui sont nécessaires à son existence et à son action". Léon XIII, encyclique immortale Dei. J'ai quelques doutes sur le sujet lorsque j'observe l'Eglise actuelle, car elle se décompose. Une société peut-elle se régénérer ? Si l'on admet Dieu comme premier postulat, certainement. Pour les modernes, Dieu ne peut évidemment pas, mais l'homme peut.***
5) J'ai déjà en partie répondu à la question, en disant que le vide, même les catholiques – libéraux, et musulmans – libéraux le vivent. Ils sont catholiques dans la mesure où ils respectent leur religion, libéraux dans la mesure où ils la détruisent.
J'ajouterai que les hommes d'une civilisation traditionnelle connaissent plus le malheur que nous, et les souffrances du corps. Mais je ne sais pas s'ils sont vraiment plus malheureux que nous.
Nous vivons dans un confort dont tout homme aurait rêvé, il y a des années. Nous sommes repus. Mais ce vide dont on parle est notre âme qui se rappelle à nous : alors on peut accepter le questionnement, ou fuir.
Les civilisations traditionnelles connaissent les souffrances et maladies de la pauvreté ; nous connaissons les souffrances et maladies de la richesse. Aux deux pôles opposés, il semble qu'il y ait la douleur.
6) La démocratie présuppose une société de petite taille, et l'égalité des conditions. Société de petite taille, parce qu'il faut que chaque citoyen conserve un poids politique pour s'intéresser aux problèmes de la communauté. Egalité des conditions, car il faut que chacun ait l'expérience des problèmes politiques possibles, pour pouvoir assurer les quelques magistratures correctement, et participer convenablement à l'assemblée, et surtout les mêmes intérêts. Sans oublier qu'il faut alors prévoir des lois somptuaires afin que les plus aisés ne deviennent pas trop riches ou puissants, et aient alors intérêt à assassiner votre démocratie. Il ne suffit pas de décréter l'égalité des conditions, par l'égalité devant la loi, pour que cela existe vraiment.
La démocratie est sûrement un excellent régime pour une petite communauté de fermiers protestants dans l'Amérique du XVIIème siècle. Mais dans la France d'aujourd'hui, avec son économie, son intégration dans le monde actuel...
Je sais bien que l'équivoque repose sur la représentation. Ce joli paralogisme ou sophisme, tout dépend qui le défend, qui consiste à dire que l'homme élu est acteur, et que l'électeur est auteur : c'est-à-dire que dès lors qu'un homme gagne une élection, tous ses actes sont justifiés par avance, car l'ignorant le prend comme un mandat impératif, alors qu'il est justement représentatif, et nos amis politiques, très malins, il faut l'avouer, jouent sur la nuance. Le député de la nation, est en plus celui qui doit s'élever à la volonté générale, volonté de l'être nation, par je ne sais quel procédé**** : en réalité, c'est un mobile, ses idées deviennent la volonté du peuple / nation.
Autant dire, mon ami, que je suis très sceptique quant à cette idée de démocratie.
*rappelons qu'évidence signifie littéralement ce qui se voit.
** de vérité, il devient dogme, et non de dogme vérité. Renvoie aux posts précédents.
*** Renvoie donc dans le point précédent au "admettons quand même que oui".
**** un yoga peut -être ? Le politique se fait yogi pour comprendre la volonté du grand tout ? De toute façon, dans une société aussi divisée que la nôtre, il ne peut y avoir de volonté générale, sauf si volonté générale signifie volonté de l'être nation ou peuple justement : la nation ou le peuple comme idole, qui a disons une esquisse de métaphysique.