Bonsoir à tous,
J'ai retrouvé une référence issue d'une interview de Pascal Boniface qui peut nous éclairer sur les méthodes des young leaders à leurs débuts. Je vous la propose ici (1):
A vous lire
https://blogs.mediapart.fr/libre-pensee/blog/060518/en-direct-avec-pascal-boniface
6 mai 2018
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LR : Vous êtes connu pour avoir des positions très différentes des « intellectuels » à la mode sur toute une série de sujets, qui vont du conflit israélo-palestinien, aux guerres menées au nom de « l’humanitaire », à la question de la campagne contre les musulmans au nom de la guerre contre le terrorisme. Pouvez-vous nous expliquer ?
PB : Je ne suis en effet pas toujours en phase avec une partie de mes collègues qui travaillent sur les questions internationales. Mais, en même temps, il y en a beaucoup pour qui j’ai amitié et respect. Le milieu est en globalement hétérogène. Il faut distinguer deux catégories : ceux qui travaillent sur une région précise ou sur un pays (Chine, Afrique du Sud, Brésil au continent latino-américain etc.) et entretiennent une relation particulière avec leur sujet d’étude, se déplaçant fréquemment dans la zone. Il y a ceux qui travaillent sur les questions stratégiques, qu’on appelait hier Est/Ouest, aujourd’hui les conflits en cours (rivalités États-Unis, Russie, Chine ; équilibre des puissances, etc.)
Les études stratégiques ont été pendant longtemps très peu développées en France et, ce qui existait en grande partie, restait concentré dans le milieu de la défense et relativement absent de l’université. Dans ce domaine, même si cela risque de changer du fait de la mondialisation et de la fin du monopole occidental sur la puissance, la référence s’est pendant très longtemps située aux États-Unis où avait lieu les débats, mais où également existaient les centres de recherche les plus puissants, les revues les plus prestigieuses et les universités les plus attractives. C’est là que se trouvaient également les financements, les bourses d’étude, etc. Dans son combat contre l’Union soviétique, les États-Unis ont misé sur la diplomatie d’influence (soft power) et ont fait en sorte d’attirer les talents. Ainsi, pour ma part, je n’avais pas encore trente ans ni terminé ma thèse que je fus invité par le programme des Young leaders aux États-Unis, et passé un mois à découvrir le pays, accompagné d’un guide avec un per diem confortable et pouvant choisir mes destinations, avec une totale liberté. Il y a de quoi être séduit par le modèle américain. Si vous ajoutez la satisfaction d’être reconnu et considéré par le « centre du monde », il y a un phénomène puissant d’aspiration. L’entre-soi joue également un rôle extrêmement important d’organisation de séminaires ou de participation aux frais pour pouvoir y participer. À force d’être immergé dans le même milieu, plongé dans le même bain amniotique, vous développez des réflexes atlantistes, afin d’éviter de choquer ou décevoir ce qui est devenu un milieu protecteur et amical. Bref, vous pensez comme les autres. Bien plus que dans les études régionales, les études stratégiques étaient ainsi sous influence atlantiste, y compris dans la France gaullo-mitterrandiste.
Il existe pourtant de véritables agents d’influence rétribués ; d’autres sont des militants ou atlantistes, quand d’autres encore sont simplement influencés par un milieu qui est devenu le leur. Ces derniers sont tout simplement conditionnés. Pour ma part, j’ai toujours eu, depuis mon adolescence, l’esprit un peu rebelle et la volonté de dépasser les convenances et les idées reçues.
Il n’est qu’à voir dans la littérature stratégique combien de « spécialistes » ont depuis les années 1960 critiqué la politique d’indépendance du général de Gaulle et de François Mitterrand, les qualifiant de « ringard » : la modernisation consiste-t-elle pour eux à se rapprocher de Washington ?
On a observé le même phénomène avant la guerre d’Irak, quand beaucoup de « spécialistes » plaidaient en sa faveur, au nom de la démocratie ou de la non-prolifération des armes nucléaires. Si certains étaient sincères dans leur démarche, leur expertise peut être gravement remise en cause. D’autres répétaient tel des perroquets les éléments de langage du Pentagone. Depuis, tous semblent être frappés d’amnésie et essaient de faire oublier leurs positions de l’époque, certains ayant même le culot d’avancer, contre toute évidence, qu’ils étaient opposés à la guerre.
Tout ceci est d’une mauvaise foi indigne et de plus une insulte à notre intelligence. Mais je suis sidéré de voir que certains de ces « faussaires » continuent de plastronner dans les médias, et de donner des leçons de lutte contre le terrorisme, quand on connaît le poids de la guerre d’Irak dans le développement de ce dernier.
Pour ma part, j’essaie de garder des positions cohérentes, et non à géométrie variable. Il n’existe pas de crimes de guerre acceptables et d’autres non, des violations massives de droits de l’Homme tolérables, et d’autres non. C’est l’ampleur des crimes qui doit être jugée et non la qualité de l’auteur ou de la victime. Les « intellectuels » qui protestaient contre les bombardements de population civile par l’armée russe en Tchétchénie, pour ensuite approuver les bombardements de civils – de surcroît soumis à un blocus – à Gaza ne me paraissent pas incarner un idéal universel. Ceux qui ont soutenu la guerre du Kosovo pour mettre fin aux actions de l’armée serbe sur la population et sont muets face à l’occupation israélienne et ses conséquences ne me paraissent pas cohérent, d’autant plus que personne ne contestait la souveraineté de la Yougoslavie sur le Kosovo et que nul ne reconnait celle d’Israël sur la Palestine.
Bref, j’ai horreur des hypocrites, des faux culs et des moralistes à double détente, qui par ailleurs nous prennent pour des imbéciles.
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