1- La Révolution fait époque en tant qu'elle mérite arrêt sur image, parce qu'elle est période de crise, de jugement ; elle est le début d'une nouvelle ère en tant qu'elle tente de fonder une société sur de nouvelles bases et que nous sommes toujours ses successeurs.
Les limites dans le flot des événements sont des interprétations de phénomènes : des théories. Elles sont au moins nécessaires, même si nous admettons qu'elles sont impossibles à déterminer ; une concession qui personnellement me semble étrange dans la mesure où c'est admettre l'erreur. Soit l'on essaie de déterminer la vérité, car de toute façon les premières théories que sont les périodisations seront prises pour telles ; soit on les abandonne et on observe les conséquences que produit un tel choix.
Comment comprendre alors le flot des événements ? Comment interpréter alors l'histoire ? Essayez donc de produire cette histoire sans périodisation, sans début ni fin pour aucun phénomène ? Vous n'êtes en réalité pas dans cette disposition d'esprit : vous admettez aussi bien l'antiquité, que le moyen - âge ou la Renaissance comme des vérités... En général, celui qui ne l'admet pas, propose alors simplement une théorie concurrente : la Renaissance, par exemple devient le début de la décadence, et le Moyen - Age n'est plus sombre, mais période de lumière, ce qui servira alors à l'élaboration d'autres théories à partir de ces nouvelles premières vérités. Les premières théories : périodisation... sont simplement le fondement des suivantes : un échafaudage de théories.
Que l'on ne s'accorde pas sur la vérité ne signifie pas qu'il n'y a pas vérité. Notre impuissance possible à la trouver ne doit pas conduire à la nier. Nous connaissons le critère : a-t-on bien observé tel phénomène ? Qu'est-ce que ce phénomène ? Si vous niez, cette possibilité, il ne vous reste plus pour être cohérent qu'à abandonner vos études.
2- Concernant plus particulièrement la Révolution, si je me souviens bien, les anglais parlent des guerres de la Révolution et de l'Empire, parce qu'ils comprennent beaucoup mieux que nous français, que Napoléon est un tyran démagogue révolutionnaire. En France, nous préférons le coup d'Etat de Napoléon. Pourquoi ? Il est rétablissement de l'ordre par un tyran. Cela ne veut pas dire que l'air n'est plus « plein de poignards » selon le mot de Fouché, mais qu'il y a alors une autorité suffisamment forte pour réellement réprimer les conspirations.*
Cela n'est pas dire qu'il n'y a pas de fin, juste qu'il y a des interprétations différentes, et une certainement plus vraie que l'autre. La solution se trouve à mon avis une nouvelle fois dans la justesse de la définition du phénomène, travail toujours des plus difficiles, je vous l'accorde.
3- Votre idée de réduction est juste : l'homme comprend la vérité dans une certaine mesure. C'est le problème de la faiblesse de son intelligence : qui l'oblige à considérer les choses successivement, à séparer, diviser...
Pour mieux appréhender cette difficulté, il faudrait définir les deux notions suivantes : l'analyse et la synthèse ; et comment de l'une on en vient à l'autre, afin d'acquérir une connaissance juste et utilisable surtout.
Si je ne suis pas encore tout à fait capable de faire cette démonstration, je vois les dangers d'une connaissance qui n'est plus qu'analytique : les savants se perdent alors dans le flot des théories qui se répondent l'une à l'autre indéfiniment, tombent dans la misologie ; et surtout il n'y a plus de connaissances acquises en histoire qui servent de fondements aux raisonnement des autres disciplines. Il ne faut jamais oublier que le but de la connaissance doit être l'unité, la plus juste possible, aussi difficile que ce soit.
Nier la possibilité d'atteindre la vérité dans une certaine mesure, si ce n'est la vérité, c'est se diriger tout autant vers la destruction du savoir, que d'admettre trop facilement des vérités, sans examen sérieux. L'on peut se perdre dans l'erreur, car l'examen n'était pas assez approfondi, mais l'on peut aussi se perdre dans le mouvement incessant, dans les théories, si l'on oublie que le critère vérité est essentiel.
4- D'ailleurs, permettez - moi une dernière critique sur nos historiens actuels. Ils ont toujours ce critère de vérité heureusement : mais ce dernier est devenu la théorie la plus récente est vraie, en vertu du postulat : on progresse indéfiniment dans la connaissance de l'histoire. "C'est dépassé", voilà leur grande formule pour disqualifier.
*C'est d'ailleurs des plus amusants : les révolutionnaires veulent détruire Louis Capet le tyran, pour en fin de parcours, finir sous le joug beaucoup plus brutal de Napoléon.
**désolé pour les multiples éditions, j'ai sous-estimé en premier lieu la difficulté de cette réponse.