Dans un livre intitulé "la France qui tombe", publié en 2003, qui défraya la chronique, Nicolas Baverez avait diagnostiqué le déclin de la France. A l'époque, j'avais prêté moyennement attention à ce livre. Je n'était pas en désaccord fondamental, mais je trouvais que Nicolas Baverez exagérait beaucoup cette idée de déclin.
Or l'actualité de ces dernières années montre que Nicolas Baverez avait raison. Depuis 2003, le déclin s'est considérablement aggravé. La France n'est plus seulement un pays déclinant, elle se trouve désormais dans un état de tiers-mondisation avancé. Plusieurs exemples :
Concernant l'agriculture, j'ai grandi en croyant au mythe du "pétrole vert de la France". Une agriculture performante et exportatrice garantissait au pays une autonomie alimentaire et lui offrait des excédents commerciaux de nature à compenser largement les importations de matières premières (pétrole, notamment). Or la guerre en Ukraine a montré que la France importe désormais de nombreuses denrées agricoles (engrais, céréales pour les animaux, fourrages, etc.). La conséquence est que la France pourrait connaître son premier déficit agricole en 2023.
Concernant l'industrie : cela fait plus de 20 ans désormais que le pays affiche des déficits commerciaux importants, la désindustrialisation est un phénomène désormais assez connu, qu'aucun gouvernement ne parvient vraiment à enrayer. La crise sanitaire nous a montré les conséquences de cette désindustrialisation : incapable de produire certains produits de consommation courante (masques, médicaments, etc.), la France se retrouve dépendante de ses importations.
Concernant la production d'électricité : j'ai grandi avec l'idée que notre parc nucléaire nous garantissait une autonomie énergétique. On a vu que la France est désormais obligée d'importer de l'électricité... Pire : au vu des déboires rencontrés avec l'EPR, on peut se demander si le pays détient encore le savoir-faire nécessaire pour concevoir et fabriquer de nouveaux réacteurs...
Nos hôpitaux sont dans un état de décrépitude avancée. Notre système de santé que l'on présentait jadis comme "le meilleur système de santé du monde" ne garantit même plus la permanence des soins.
Notre système scolaire jadis performant (on parlait de "l’École de la République", des "hussards noirs", etc.) ne remplit plus vraiment son office. De nombreuses études montrent la dégradation continue du niveau scolaire de nos jeunes. De nombreux établissements se trouvent en proie aux communautarismes et à la violence. Les profs, comme les soignants, viennent à manquer, à tel point que beaucoup d'heures d'enseignement ne sont plus dispensées. Et tous ces défauts pénalisent surtout les enfants issus de milieux défavorisés, ce qui rend le système de plus en plus inégalitaire. De fait, de nombreuses études montrent que la reproduction sociale tend à s'accentuer au fil des ans.
La police et la justice sont désormais incapables de maintenir l'ordre public. Beaucoup de villes sont désormais en proie à une violence grandissante. La délinquance gagne même les campagnes, jadis épargnées. Dans certains quartiers, la loi de la République a laissé la place à un mélange de charia et de loi de la jungle...
Même l'industrie touristique me semble menacée. En effet, l'insécurité dans certaines grandes villes risque, à terme, de rebuter les touristes étrangers (notamment à Paris, où il n'est pas rare de voir des touristes étrangers se faire agresser). Et la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur de l'hôtellerie-restauration limitera forcément, à terme, les capacités d'accueil.
Voici donc un pays :
- qui ne fabrique plus beaucoup de produits agricoles, d'électricité et de produits de consommation courantes, se trouvant donc de plus en plus dépendant des importations pour tous ces éléments,
- où les principaux services publics régaliens ne remplissent plus leur office.
Restent quelques records, que le monde entier ne nous envie pas : les impôts, les dépenses publiques, le taux de fonctionnaires. Un haut niveau de dépenses publiques et de prélèvements obligatoires ne serait pas une mauvaise chose en soi, s'il permettait une redistribution importante des richesses et s'il garantissait des services publics performants. Or ça n'est pas le cas : beaucoup de gens ont le sentiment de ne pas en avoir pour leur argent, le consentement à l'impôt s'en trouve altéré.
Est-ce que d'autres que moi partagent cette impression de tiers-mondisation du pays, ou bien est-ce que je suis trop pessimiste ?