au sujet de la relance filière nucléaire :
Ils se sont mis en ordre de bataille en étalant sur une table l'intégralité des plans de charge, et les calendriers. Alors qu'il y a seulement 18 mois, la filière nucléaire se croyait promise à un lent déclin et peinait à attirer des jeunes démotivés dans ses formations, le brusque virage pro-atome d'Emmanuel Macron en 2022 l'a soudainement réveillée, et la crise énergétique entraînée par la guerre russo-ukrainienne l'a carrément jetée sur des charbons ardents. Le pays veut du nucléaire, et il le veut vite : le premier béton doit être coulé à Penly en 2027. En temps industriel, c'est quasiment hier?
Après un trou d'air de plus de vingt ans sans nouvelles constructions, et alors qu'EDF a dû faire venir des soudeurs des États-Unis en décembre pour l'aider à réparer ses tuyaux souffrant d'un problème de corrosion, faute de trouver sur place les compétences nécessaires, la filière est mise au défi de relancer la machine, « dans l'excellence » et en un temps record.
Car elle devra, demain, à la fois assurer maintenance du parc historique, préparer la prolongation des réacteurs (le fameux grand carénage), démanteler ceux qui devront l'être, construire au minimum six nouveaux EPR2 (on parle déjà de quatorze, en coulisses), achever le projet d'enfouissement des déchets Cigéo, augmenter ses capacités d'enrichissement d'uranium, honorer les commandes de l'armée (pour de nouveaux sous-marins nucléaires et un porte-avions), conduire ses projets à l'export (en Grande-Bretagne et en Inde), développer ses programmes de recherche (la fusion avec Iter, la quatrième génération de réacteurs)?
« Le volume d'activité va augmenter d'environ 25 % en 10 ans », anticipe Olivier Bard, président du Gifen, le syndicat professionnel de l'industrie nucléaire. « Compte tenu des départs en retraite, cela signifie que nous allons devoir recruter 60 000 personnes sur les métiers c?ur du nucléaire. Si vous y ajoutez les fonctions achats, les juristes, les RH?, le total atteint 100 000 personnes. » Des métiers pour l'essentiel hautement qualifiés, dont les formations ne s'improvisent pas.
Pour répondre à la demande du gouvernement, ses équipes se sont attelées pendant des mois à cartographier précisément les besoins, en interrogeant une centaine d'entreprises représentatives des acteurs et sous-traitants de la filière. Leur rapport, baptisé « Match », sera remis aujourd'hui aux ministres de l'Industrie et de la Transition énergétique, qui devront accompagner les efforts de recrutement comme de formation. Il détaille avec précision les besoins à venir, à court, moyen comme à plus long terme, sur 20 segments de métiers. « Nous l'actualiserons chaque année afin d'avoir une vision d'ensemble, structurée, sur la base de l'ensemble des plans de charge des entreprises », détaille Olivier Bard.
Anticiper, former, planifier
La lecture du rapport le confirme : les besoins sont tels qu'ils exigent « des actions imminentes », les recrutements devant commencer dès 2023. Certains métiers, parce qu'ils interviendront les premiers sur le futur parc, sont déjà en croissance rapide : forge, fonderie, chaudronnerie, les métiers du génie civil, les prestations intellectuelles qui représenteront « 16 000 à 17 000 emplois », pour réaliser les études (de sûreté, de conception, mécaniques?) associées aux projets.
D'autres n'interviendront que plus tard. « L'exemple le plus évident est celui des matériels de ventilation et de climatisation, en train d'être installés sur la centrale Hinckley Point, en Grande-Bretagne, et ne le seront sur les nouveaux réacteurs qu'à la fin de la décennie. Cela pose le problème du maintien des compétences dans l'intervalle, et de la montée en puissance ensuite. »
Si les filières de formation existent, il faut à court terme s'assurer de les remplir, en mettant en avant l'attractivité des métiers concernés. Le 15 mai, l'Université des métiers du nucléaire (UMN) présentera son plan d'action. « C'est une manière de sonner la mobilisation générale, pour qu'on puisse faire face collectivement aux grands défis industriels », explique le cabinet du ministre de l'Industrie. D'ici l'été, un audit externe sera conduit par le délégué interministériel au Nouveau Nucléaire, Joël Barre, ancien patron de la Direction générale de l'armement (DGA), nommé il y a quelques mois, pour compléter cette planification et « vérifier qu'il n'y a pas de trous dans la raquette », confie le cabinet d'Agnès Pannier-Runacher.
La future loi de programmation sur l'énergie et le climat, attendue au plus tard à l'automne, sera déterminante pour aider la filière à se remettre sur pied : « Pour mener à bien ces embauches, dont le coût se calcule en milliards, les industriels ont besoin de commandes, et de visibilité », prévient Olivier Bard. À un terme qui dépasse de très loin l'horizon du quinquennat? Pour la classe politique, une autre nouveauté.
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