paulau Je crois, même si l'idée paraît impossible et choquante, que nous devenons progressivement un pays du Tiers-Monde. Nous ne sommes pas encore Haïti ou le Mali, mais nous en présentons, à un degré encore faible, tous les symptômes : déliquescence de l'Etat, effondrement du système éducatif et du système de santé, corruption, violence et insécurité, laideur et saleté, incivisme généralisé - pendant qu'une élite indifférente, coupée du pays, vit dans les derniers quartiers protégés par la police et bientôt par des barbelés et des tontons macoutes. Elle jouit, dans son monde clos, de services éducatifs et sanitaires de luxe, évidemment payants donc interdits à la plèbe. N'en sommes-nous pas déjà là, avec l'Ecole Alsacienne pour les uns et les ZEP pour les autres, ou l'Hôpital américain pour quelques-uns et les brancards dans les couloirs pour les autres? On n'a pas encore vu un ministre mourir dans un couloir d'hôpital après avoir en vain attendu des soins pendant des heures...
Je partage cette idée de tiers-mondisation de la France. Les exemples de tiers-mondisation ne manquent pas.
Concernant l'agriculture, j'ai grandi en croyant au mythe du "pétrole vert de la France". Une agriculture performante et exportatrice garantissait au pays une autonomie alimentaire et lui offrait des excédents commerciaux de nature à compenser largement les importations de matières premières (pétrole, notamment). Or la guerre en Ukraine a montré que la France importe désormais de nombreuses denrées agricoles (engrais, céréales pour les animaux, fourrages, etc.). La conséquence est que la France pourrait connaître son premier déficit agricole en 2023.
Concernant l'industrie : cela fait plus de 20 ans désormais que le pays affiche des déficits commerciaux importants, la désindustrialisation est un phénomène désormais assez connu, qu'aucun gouvernement ne parvient vraiment à enrayer. La crise sanitaire nous a montré les conséquences de cette désindustrialisation : incapable de produire certains produits de consommation courante (masques, médicaments, etc.), la France se retrouve dépendante de ses importations.
Concernant la production d'électricité : j'ai grandi avec l'idée que notre parc nucléaire nous garantissait une autonomie énergétique. Ce parc nucléaire est aujourd'hui en train de rouiller, de nombreuses centrales sont à l'arrêt. Depuis plusieurs années, déjà, le pays est obligé d'importer de l'électricité. Mais cet hiver, ça ne suffira peut-être pas, et nous manquerons peut-être d'électricité. Pire : au vu des déboires rencontrés avec l'EPR, on peut se demander si le pays détient encore le savoir-faire nécessaire pour concevoir et fabriquer de nouveaux réacteurs...
Nos hôpitaux sont dans un état de décrépitude avancée. Notre système de santé que l'on présentait jadis comme "le meilleur système de santé du monde" ne garantit même plus la permanence des soins. Aujourd'hui, si on a besoin de se faire soigner, on n'est même pas sûr d'être pris en charge... Et si c'est grave, tant pis : on a le temps de mourir.
Notre système scolaire jadis performant (on parlait de "l’École de la République", des "hussards noirs", etc.) ne remplit plus vraiment son office. De nombreuses études montrent la dégradation continue du niveau scolaire de nos jeunes. De nombreux établissements se trouvent en proie aux communautarismes et à la violence. Les profs, comme les soignants, viennent à manquer, à tel point que beaucoup d'heures d'enseignement ne sont plus dispensées. Et tous ces défauts pénalisent surtout les enfants issus de milieux défavorisés, ce qui rend le système de plus en plus inégalitaire. De fait, de nombreuses études montrent que la reproduction sociale tend à s'accentuer au fil des ans.
La police et la justice sont désormais incapables de maintenir l'ordre public. Beaucoup de villes sont désormais en proie à une violence grandissante. La délinquance gagne même les campagnes, jadis épargnées. Dans certains quartiers, la loi de la République a laissé la place à un mélange de charia et de loi de la jungle...
Même l'industrie touristique me semble menacée. En effet, l'insécurité dans certaines grandes villes risque, à terme, de rebuter les touristes étrangers (notamment à Paris, où il n'est pas rare de voir des touristes étrangers se faire agresser). Et la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur de l'hôtellerie-restauration limitera forcément, à terme, les capacités d'accueil.
Voici donc un pays :
- qui ne fabrique plus beaucoup de produits agricoles, d'électricité et de produits de consommation courantes, se trouvant donc de plus en plus dépendant des importations pour tous ces éléments,
- où les principaux services publics régaliens ne remplissent plus leur office.
Restent quelques records, que le monde entier ne nous envie pas : les impôts, les dépenses publiques, le taux de fonctionnaires. Un haut niveau de dépenses publiques et de prélèvements obligatoires ne serait pas une mauvaise chose en soi, s'il permettait une redistribution importante des richesses et s'il garantissait des services publics performants. Or ça n'est pas le cas.