Je pense que l'objet du fil est mal choisi : la « démocratie » dite « représentative » en question, conviendrait mieux ; sachant que les partis politiques sont des acteurs majeurs de notre vie politique.
1- Dès lors que des représentants sont élus, en France le premier magistrat de la cité aussi, peut-on échapper à une aristocratie ou oligarchie ? Rappelons que le principe du vote est d'élire le meilleur entre des candidats, le débat portant alors sur ce qu'est « le meilleur ». Dès lors que ces représentants exercent leur charge pendant une certaine durée, que pour une partie d'entre eux, ils survivront à plusieurs élections, comment échapper à une oligarchie ou aristocratie ? Si, vous rajoutez, les possibles candidats à la présidentielle, les personnages ayant occupé une ou des hautes fonctions pendant des années, comment échapper à une aristocratie ou oligarchie ?
Sans les partis, la vie politique serait menée par des factions, plus ou moins informelles, comme jusqu'à la fin du XIXème, en raison des divergences d'intérêts, d'idées… qui existent en toute cité, quelle que soit sa constitution. Mieux vaut-il des factions informelles ou des partis institutionnalisés dans le cadre de notre régime politique, qui se veut démocratique ?
Notons également que le parti comme institution aboutit en son sein à une aristocratie ou oligarchie : des chefs, avec chacun leur entourage, les rivalités qui en résultent, et la masse. Comment une telle institution pourrait-elle être compatible avec la démocratie ? Elle apprend à quiconque s'y engage… les codes d'une oligarchie ou aristocratie.
Posons enfin quelques questions afin de guider la réflexion : quelle est l'influence des partis sur le fonctionnement de notre vie politique ? Peut-on se présenter à une élection sans soutien d'un parti ? Peut-on déjà se financer, espérer la gagner ? Quelle influence des partis sur les règles de l'élection ? Quelle influence du parti sur le fonctionnement des assemblées : assemblée nationale, Sénat ? Sa composition ? Les débats ? Sur le gouvernement de la cité, ceux qui y prennent part : président de la République, élu comme chef de parti, et qui devient premier magistrat de la cité, qui dirige l'ensemble des français ? La composition des gouvernements ? Le fonctionnement du gouvernement ? Etc.
2- Quand on analyse la question, un élément brouille la question. Notre système politique aboutit à une aristocratie ou oligarchie, mais notre société admet dans ses textes constitutionnels : DDHC, constitution… le principe de souveraineté du peuple, ou de la nation : la volonté du peuple ou de la nation fait loi, est source de légitimité.
Le gouvernement du "peuple" ne se traduit désormais plus pour nous par : l'accès possible des magistratures à tous, dont une grande partie fondée sur le tirage au sort, celles qui ne réclament pas spécialement de compétences ou une certaine science ; la rotation des charges : la participation d'une grande partie des citoyens au gouvernement ou à la justice, par une charge, à un instant donné de leur vie, pendant même une courte ou très courte durée ; et la participation à l'assemblée des citoyens où prévaut un égal accès à la liberté de parole.
Il se traduit par la reconnaissance d'un principe dans les textes fondamentaux, qui influe sur toute la vie politique. Si les institutions politiques ne sont pas démocratiques, le discours admis est démocratique. Est admis, que l'opinion publique est l'expression de la volonté du peuple ou de la nation. Le politique et le sujet, car s'il est citoyen, alors il ne l'est qu'une fois par an, ou tous les deux ans, à l'occasion de telle ou telle élection, en scrutent les expression : un nouvel art de la divination est né qui consiste à partir de divers moyens qui traduisent l'opinion publique à interpréter la volonté du peuple ou de la nation, de l'autocrate « Démos » : sondage d'opinions, résultats aux élections, prévision des votes hors des élections…
Tout est bon pour interpréter la volonté de monsieur Démos, dans beaucoup de cas, à sa sauce : un tel fait dire à monsieur Démos, ce qu'il pense être vrai, et les solutions qu'il envisage. Est né une sorte de jeu d'équilibriste, qui constitue l'essentiel de notre vie politique, entre ce que tel politique souhaiterait faire, tel candidat par exemple, lors de telle élection, et ce qui est acceptable, non pour le « peuple », ou la « nation », plutôt pour la partie de l'électorat qu'il souhaite séduire, par exemple qu'il estime susceptible de l'élire, ou de reconduire son mandat. Résumons : si le politique n'est pas totalement démagogue, il résulte de la volonté du « peuple », ou de la nation, du jeu politique qui en découle, qu'il l'est nécessairement, dans une certaine mesure.
Afin d'illustrer, prenons un exemple : qu'est-ce qu'un candidat dit « populiste » ? En tant que « peuple » se réduit ici à la plèbe, est dit « populiste », le candidat qui se fait le défenseur des aspirations de la plèbe. ==> Plébéien conviendrait bien mieux. Si nous admettons que la plèbe vit surtout dans la France périphérique, alors il faut cibler ses problèmes, les relayer. Par opposition, nous pourrions trouver des candidats tout aussi démagogues qui s'adressent à la France des grandes villes. Je m'en tiens là : mon objectif n'est pas d'analyser l'ensemble des clivages qui font aujourd'hui la politique en France.
Notons afin d'ouvrir sur une autre question, une de celles posées en fin du point 1, que le même art de la divination, pratiqué en assemblée devrait permettre à un représentant de voter en considération de la volonté du peuple ou de la nation, pas de la sienne, ou de celle de son parti… Je vous laisse songer à ce qui se produit dans ces assemblées, à l'étude de leur fonctionnement, plutôt qu'à ce que l'on considère qui devrait être.
3- La notion de « peuple », remplacée dans notre constitution par celle de « nation » est problématique. Il est question d'une sorte d'être, avec des propriétés comme la volonté, voire l'intelligence, à qui on attribue une histoire, parfois même une sorte de destin… Tout cela relève d'une grossière métaphysique de bazar.
Existe une société qui est le produit de l'action de la somme des individus qui y prennent part, et qui y ont pris part, par le passé, en vue d'une ou de fins communes. Parmi ces fins, une s'impose comme le plus grand bien : chez nous la garantie des droits fondamentaux, plutôt que la richesse, ou la sécurité… dont certains citoyens sont les garants : nos « gouvernants » ou « politiques » qui n'ont pas tous l'air de le comprendre, ou de comprendre ce que cela implique. Pourtant, changer de bien commun, même en certaines actions, de temps à autre, ne revient-il pas à incliner à changer de société, à être une menace pour notre cité ?
4- Si nous devions analyser les régimes politiques occidentaux, dont le nôtre, il faudrait aussi s'attaquer au principe de séparation des pouvoirs. Il y a un « souverain » abstrait : la nation, ou le « peuple », et trois pouvoirs : exécutif, législatif, judiciaire, tout aussi abstraits exercés par des organes ou agents. Reste alors à organiser les relations des divers agents entre eux, afin que la vie politique soit possible.
N'est pas intégrée dans l'équation, que le gouvernement, premier agent, est en général dominé par tel individu de tel parti, que les assemblées, second agent, sont elles aussi divisées en individus appartenant à différents partis : selon le mode de scrutin, une « géopolitique » des partis découle de l'élection, et est susceptible d'être remise en cause par l'élection suivante. Je ne mentionne pas le dernier agent, celui du judiciaire, tant alors cela devient encore plus flou que pour les précédents.
Selon les relations prévues entre les divers agents des différents pouvoirs, ainsi que leur composition, deux risques opposés existent : 1- le blocage politique de la cité, si l'agent du législatif, assemblée ou assemblées, et si l'agent de l’exécutif, gouvernement sans président ou roi fainéant constitutionnel ou gouvernement avec président, s'équilibrent trop, si l'un ne peut prendre le dessus sur l'autre, en cas de conflit, si en plus chacun est dominé par des partis différents ; 2- la soumission de la cité à une composante de la cité, représentant le souverain «nation » ou « peuple », si l'un des agents, dominé par un parti, a trop le dessus sur l'autre, ou si les agents sont dominés par un même parti. Si je résume : le blocage de la cité, et la possible tyrannie ou possible despotisme d'un parti qui détruit la séparation des pouvoirs.
La réduction du souverain à divers pouvoirs représentés par divers agents est une façon d'introduire sans le dire dans notre vie politique, la souveraineté limitée. Les agents en question, ou ceux qui les dominent, risquent alors de se faire la guerre, dans la mesure de leur opposition. Effectivement, s'il n'y a pas opposition, car les agents sont colonisés par des individus de la même étiquette, il en va autrement, mais alors, il n'y a plus vraiment séparation des pouvoirs.***
A titre d'exemple, pendant des années, l'assemblée nationale en France n'a été qu'une chambre d'enregistrement dans la mesure où elle était dominée par le même parti que le gouvernement, dont le chef selon le droit est le premier ministre, qui dans les faits n'est, quand il n'y a pas cohabitation, qu'un second du président de la République. Changer de parti qui domine à la fois l'exécutif et le législatif, n'est jamais que se livrer à un parti, puis à un autre... Lorsque l'assemblée est dominée par un parti contre un gouvernement, nous risquons le blocage politique de la cité. En cas de cohabitation, la guerre se déplace au sein même de l'exécutif : resterait à bien déterminer dans quelle mesure le premier ministre peut gouverner contre le président avec appui de l'assemblée. La cohabitation permet-elle un régime plus équilibré, que lorsqu'un parti domine et l'exécutif et le législatif ? S'agit-il d'une autre forme de domestication du législatif par l'exécutif ? Ou a-t-on toujours blocage de la cité ? Je n'ai pas suffisamment étudié les trois cohabitations pour répondre.
***Note : Je ne pense pas qu'un tel propos serait aujourd'hui accepté. Pourtant, si l'on accepte que chaque pouvoir est une parcelle de souveraineté, exercée par un agent, ou des agents, on comprend mieux que la tentation de souveraineté limitée, ne concerne pas que Brejnev, puisque la souveraineté limitée devient alors un des fondements de notre art politique. Pour ne pas abuser de sa parcelle de souveraineté, il faut pour compenser une autre parcelle de souveraineté qui l'arrête. Si l'on applique à une autre question : des institutions européennes pour limiter des institutions nationales, et pourquoi pas des institutions à l'échelle du globe.