1- La meilleure histoire en la matière est celle de l'explorateur, James Cook, qui aurait fini dans l'estomac d'indigènes à Hawaii. Même en l'admettant, il faudrait encore prouver que l'anthropophagie est forcément un mal. Si vous vous faites sceptique, il s'agit d'une coutume comme une autre.
On a beaucoup glosé depuis le XVIIIème siècle sur le mythe du bon sauvage par opposition à la civilisation qui corrompt. Des anthropologues et ethnologues du XXème ont pu d'ailleurs en être assez suspects, où par opposition à chaque fois à leur civilisation, est présenté comme modèle de simplicité, d'authenticité, les mœurs et coutumes des tribus d'ici ou là.
C'est le même thème finalement que le supplément au voyage de Bougainville, de Diderot, où le christianisme, élément de la civilisation européenne, par opposition à la conception chrétienne, n'est plus agent de progrès pour les mœurs, mais agent de corruption : qui impose des interdits comme l'adultère, l'inceste… tout à fait artificiels, donc oppressifs, tandis que le bon sauvage, en l'occurrence, le tahitien, vit encore conformément à la "nature", dans l'état de nature, pas de société.
2- Si effectivement, il y a probablement un mythe du bon sauvage, et qu'il est souvent dénoncé, on oublie qu'il y a certainement aussi un mythe du "bon civilisé", relativement à la civilisation dont on parle, qui omet en l'occurrence que toute "civilisation", a probablement son cortège de qualités et de défauts.
Le mythe en question prend une toute autre force ou dimension, lorsque des progrès techniques et scientifiques, on induit un progrès moral de l'homme ; que l'on justifie ensuite par du Auguste Comte pour les nuls, une théorie historique de l'évolution, où l'on passe progressivement des ignares aux savants, et des mauvais aux bons, où l'on finit par nous expliquer que l'homme d'aujourd'hui diffère, en qualité, si ce n'est ontologiquement, de ses prédécesseurs, de celui de l'Antiquité par exemple.
Est revenue dans le débat, la vieille idée que l'instruction ou la science édifie, qu'avec les progrès dans l'étude, viendraient les progrès dans le bien ; et que son opposé, l'ignorance, dont l'un des modes est la superstition, ne peut que mener au mal. De la confusion entre sciences et arts, a enfin résulté que l'éducation se distingue très peu de l'instruction, que par l'éducation, désormais forme de "science", il n'allait plus être question de discipliner l'homme en fonction d'une doctrine donnée, ou d'opinions données, avec leurs qualités et défauts, mais de le changer, de le rendre bon.
Je conclus. Dans un cas comme dans l'autre, le mythe survient lorsque l'on passe du relatif à l'absolu, et parce que l'on oublie que la distinction sauvage / civilisé est fausse : le "sauvage" vit aussi dans une "cité", ou société humaine, qu'il faut examiner.
D'ailleurs, si je reprends mon point 1, s'il faut prendre pour modèle le bon "sauvage", car plus "sage", alors le programme politique en matière de mœurs consiste à rendre les mœurs de la cité conformes à celles de l'état de nature.