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1- C'est assez amusant de constater que les dits apôtres de la science méprisent les chrétiens pour leur foi en Dieu, alors qu'ils témoignent de la même confiance et fidélité en des idoles : l'homme, la science, leurs professeurs ou intellectuels... Cela me rappelle ce que disait Schopenhauer dans la philosophie universitaire : l'étudiant qui arrive à l'université et qui a une confiance aveugle en son professeur, en les auteurs du temps, à qui il manque la principale qualité pour devenir sage, le jugement. Vous témoignez de la même absence totale de recul face à ce que vous apprenez, d'esprit critique.
Si je résume : d'une part, les Evangiles sont incohérents, donc prouvent la bêtise de la religion chrétienne ; d'autre part, l'Eglise triche, compose ou recompose les Evangiles, ce qui prouve aussi l'idiotie de la religion chrétienne. Autrement dit, vous postulez à la fois que l'Eglise triche, et qu'elle est de surcroît trop stupide pour bien tricher, car quitte à réécrire les Evangiles pour une raison politique, par exemple apologétique, autant supprimer toutes les incohérences.
C'est d'ailleurs le principal problème de votre critique : vous postulez qu'elle part d'un désir noble, celui de vérité. Mais ce n'est pas aussi établi que vous le croyez. Si vraiment l'idée de vérité vous animait, vous ne défendriez pas des idées aussi difficilement conciliables. Rappelons qu'hier, vous avez tout simplement ignoré mon argument concernant les Pères de l'Eglise, dont on peut retrouver les citations faites dans leurs écrits dans les Evangiles actuels. Vous n'avez même pas considéré l'argument, car vous écartez simplement, sans examen, ce qui ne correspond pas à vos thèses. Alors disons, que l'on doute, oui, de l'honnêteté de votre critique.
Avez-vous simplement conscience de qui vous êtes, ce que vous aimez et détestez, ce que vous voulez détruire et défendre ? Je reviens à mon propos d'hier. Le sage doit se connaître, tout autant que connaître son objet d'étude : il doit connaître son but, ses intentions, un travail dont se dispense le moderne quand il prétend simplement à l'objectivité. Plutôt qu'être, il paraît ! Pire, cela lui suffit !
Dans tous les cas, vos auteurs ou historiens ne font que défendre toutes les positions athées du temps, par tous les moyens possibles. Le véritable mot d'ordre reste : "écrasez l'infâme". L'immense majorité d'entre eux n'est plus philosophe : ils ne se savent même plus voltairiens. Ils ne connaissent que la science que l'orthodoxie enseigne. Est-elle toujours vraie ? Ils ne connaissent et défendent en vérité que les thèses d'un parti ; ils sont esclaves tout en se pensant libres, pour les plus bêtes ; les autres se contentent de se taire. Le cas Sécher suffit à illustrer leur véritable liberté : soit défendre l'orthodoxie, soit prendre des coups de pied au cul.
Schopenhauer qui méprisait la philosophie universitaire, en particulier celle de son temps, car elle servait pour lui la religion, et tentait par des sophismes de réintroduire des bêtises théologiques dans l'enseignement de la vraie philosophie, avait mieux compris que vous que l'Université sert toujours une orthodoxie, que les professeurs de cette dernière ne sont jamais que des mercenaires au service de cette dernière : qu'ils sont payés pour défendre une doctrine, non pour chercher la vérité ; que ce sont des gens qui cherchent un métier et une condition, avant la vérité, qu'ils sont en un mot : les prostituées de la connaissance, les héritiers des sophistes ; que, de toute façon, la recherche de la vérité nécessite ce à quoi ils ont renoncé : l'indépendance.
2- Tous vos arguments recèlent par ailleurs pour vous des faiblesses insoupçonnées. C'est bien plus dommageable que votre critique en elle-même ; car cela prouve mes assertions, le peu de recul dont vous disposez face à ce que vous ingurgitez. Donnons un exemple : le style révèle pour Saint Luc un croyant de seconde génération. Etant entendu donc, que l'opinion des hommes est la mesure de toutes choses, qu'une opinion donnée et exprimée correspond à une époque donnée ; qu'il est donc probable qu'il soit de seconde génération.
Probable si vous voulez à la limite, pas certain ; car j'imagine que pour qu'une tendance remplace une autre, que le croyant de seconde génération devienne la norme, à la place du croyant de première génération, il faut quand même qu'il y ait eu en première génération une minorité, ou quelques hommes représentant justement cette future génération ? Comment se produit ce changement ? Qui le porte ? En l'occurrence, plus l'on juge Saint Luc en homme exceptionnel, plus il y a des chances qu'il échappait aux pensées et opinions de sa génération. L'erreur de votre raisonnement est de prendre pour mesure : l'homme de la masse, un présupposé qui guide votre étude, encore très moderne.
3- Vous reprochez également aux chrétiens de se complaire dans l'incertitude et le mystère. Mais dirais-je, lorsque nous parlons d'événements qui se sont produits il y a 2000 ans, nous y naviguons nécessairement. Nous ne pouvons produire une histoire qu'à partir des matériaux qu'il nous reste : archéologie, textes.... Si l'on peut savoir des choses, l'on ne peut tout reconstituer. Peut-on ne serait-ce que reconstituer la doxa, les opinions partagées sur tout sujet ? Comment établissez-vous vos modèles, vos archétypes ? A partir de quelques textes et inscriptions, fragments censés représenter l'ensemble ? Vous oubliez aussi que les hommes restant individus, même s'ils sont dans le monde, peuvent en partie échapper au monde et à sa doxa. S'il y a le monde comme conditionnement, il y a aussi la liberté de l'homme face à ce monde.
On sent le moderne scientiste, l'homme qui a placé sa foi dans une activité de l'homme : la science va apporter la connaissance, peut tout reconstituer à l'aide de quelques pièces. Il s'agit en vous d'une opinion, pas d'une vérité : vous seriez bien incapable de prouver l'assertion précédente. Au mieux, vous la défendriez en vous référant à votre expérience personnelle : en expliquant qu'elle va dans ce sens. En cela, vous confirmeriez, qu'il s'agissait bien comme conviction, d'une simple opinion.
Vous êtes en l'espèce loin du sage ou philosophe, même de ceux qui doutent, des sceptiques : si vous êtes sceptique face à la religion, face à l'homme et ses sciences vous êtes un exalté. On pourrait dire que vous doutez de tout, sauf justement de ce que vous croyez, tout en reprochant la même chose aux chrétiens ; plutôt ironique, n'est-ce pas ?
4- Je finirai par votre postulat le plus grave : tout est vraisemblable, raisonnable. Ce qui s'y oppose ne peut être vrai, ne peut s'être produit. C'est un postulat obligatoire pour comprendre, mais qui peut se révéler faux. Le mythe a t-il un fondement, ou n'est-il que mensonge ? Qu'est-ce que le mythe ?
Prenons l'histoire de Jeanne d'Arc. Comment cette histoire sera-t-elle traitée par les historiens dans quatorze siècles sachant qu'il s'agit d'une histoire tout à fait invraisemblable ? S'agira-t-il d'une histoire reconnue comme vraie, d'un récit étayé car il restera de nombreuses preuves ? D'un mythe d'une nation passée, peu crédible, car il restera peu de preuves ? Douteront-ils de l'existence de Jeanne d'Arc ? Expliqueront-ils qu'il s'agit d'une fable ? Composée par le pouvoir politique ? Si je rajoute encore un millénaire ?
Vous oubliez premièrement que l'extraordinaire peut exister, et survenir ; qu'il est dans sa nature d'être difficilement concevable. Un mythe raconte toujours une histoire extraordinaire. Il est toujours tentant de penser qu'il ne peut être que faux, qu'il n'a aucun événement pour origine. Mais sachez aussi que nos histoires extraordinaires, seront peut -être des mythes dans un lointain futur.
Vous oubliez deuxièmement, que l'oubli domine l'histoire des hommes ; que plus l'on s'éloigne du présent, plus elle est méconnue, moins il reste de matériaux susceptibles de permettre de produire une histoire donnée. L'historien de l'Antiquité compose son histoire à l'aide de fragments ; tandis qu'au contraire l'historien contemporain, se noie dans la masse d'informations. L'un est dans la disette, l'autre est dans l'abondance : dans les deux cas, pourtant opposés, il faut écrire l'histoire la plus vraie possible. Si l'on continue le parallèle, que l'on décrit les cas les plus extrêmes : l'historien de la première Antiquité subit la famine ; l'historien des dernières décennies souffre d'obésité.