Anu Bradford a écrit un livre à contre-courant des idées sur l'Union européenne : How the European Union Rules the World. Dans cet ouvrage, elle explique pourquoi c'est l'Union européenne - et non la Chine ou les États-Unis - qui domine le monde. Grâce à l'effet Bruxelles, c'est-à-dire l'externalisation de la réglementation par les mécanismes de mondialisation du marché. Avec l'effet Bruxelles, l'Union européenne finit par avoir plus d'influence sur la vie d'un Brésilien, d'un Coréen ou d'un Rwandais avec ses lois que les États-Unis avec sa puissance militaire ou la Chine avec ses projets pharaoniques à l'étranger.
Le processus est simple : les entreprises internationales doivent se conformer aux lois strictes de l'Union pour accéder au juteux marché unique européen. À leur tour, pour éviter des coûts inutiles et bénéficier d'économies d'échelle, ils imposent ces règles à leurs filiales dans le monde entier, faisant de l'Union un pouvoir réglementaire hégémonique. Bien sûr, l'effet Bruxelles a de nombreuses limites. Il n'affecte pas toutes les entreprises de la même manière et dans certains secteurs, comme la finance ou lorsque des normes différentes peuvent être maintenues, son effet est limité. Mais dans d'autres, comme les secteurs de l'alimentation, de la technologie ou de l'aéronautique, son impact est plus perceptible. Même les entreprises américaines les plus puissantes finissent par succomber à l'effet Bruxelles. L'Europe ne dispose pas d'une seule société de recherche comparable à Google ou à un réseau social comme Facebook. Et pourtant, l'Union européenne est le principal régulateur du secteur au niveau mondial. Elle est capable de fixer la norme en matière de respect de la vie privée dans le comportement global de ces entreprises - et non pas Washington.
Reste toutefois la Chine. Il s'agit d'un marché de 1,3 milliard de personnes qui, à bien des égards, suivent leurs propres réglementations. Mais Anu Bradford ne croit pas à un effet Pékin dans un avenir proche. Pour elle, le pouvoir réglementaire de l'Union européenne survivra à son déclin économique mesuré uniquement par le PIB. Le PIB n'est pas un bon indicateur pour prédire les pays les plus susceptibles de réglementer. Ce qui compte, c'est le PIB par habitant et il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant que les consommateurs chinois n'exigent les réglementations coûteuses que les citoyens européens demandent à leurs gouvernements. Et lorsque le PIB par habitant de la Chine approchera celui de l'Europe, la croissance chinoise aura tellement ralenti que le gouvernement chinois sera très prudent quant à l'imposition de réglementations qui pourraient affecter l'économie du pays. En outre, dans certains domaines, comme le droit de la concurrence, la Chine renforce sa capacité réglementaire en copiant l'Union. Si un jour il y a un effet Pékin, ce ne sera qu'un véhicule pour amplifier l'effet Bruxelles.