Pour la purge.
Pour la purge.
Pour comparaison entre les purges et les crimes capitalistes en 5 minutes.
[supprimé] Bonjour seriez-vous capable de faire une réponse constructive à mes arguments?
Si non, fermez là !
Merci.
P.S Bianchi, entre des vieux con qui ont gagné la guerre civile grâce à des canassons et du sang frai qui sort des école militaire et qui ont appris à se servir des tanks, c'est quoi le mieux?
Les purges ont améliorée la qualité de l'armée rouge.
Plariste-le-Revanite Les purges ont améliorée la qualité de l'armée rouge.
Tu devrai essayer pour améliorer la qualité de ta syntaxe
Plariste-le-Revanite Bonjour seriez-vous capable de faire une réponse constructive à mes arguments?
Si non, fermez là !Merci.
Plariste-le-Revanite P.S Bianchi, entre des vieux con qui ont gagné la guerre civile grâce à des canassons et du sang frai qui sort des école militaire et qui ont appris à se servir des tanks, c'est quoi le mieux?
Les purges ont améliorée la qualité de l'armée rouge.
Il n'y a pas à dire, après une certaine heure très très matinale, après une soirée arrosée de gros rouge, le propos est injurieux et de plus en plus ridicule autant sur le sens que sur le français !
Ça date, je m’en souviens plus.
Plariste-le-Revanite
Non quand même pas. L’armée rouge en a forcément été affaiblie.
Zorbec-le-gras Non mais c'est vrai un peux de purganol, t'as plus les vieux cons de la cavalerie, t'as du sang neuf qui a au moins trainé son cul dans les académies militaires...
Les vieux-con se battaient encore à la napoléonienne, les remplaçants eux avaient été entrainés à contrer la blietzkrieg !
bianchi51 Sisisisisi c'est ce que dit TIK un historien anti communiste il dit t'as version des faits c'est l'ancienne version, avant la chute du mur.
Les chiffres sont là avant la chutte du mur les historiens de l'ouest faut d'accès aux archives et à cause de la guerre froide on grossi les chiffres !
31% des officiers arrêtés on regagné leur postes ! (Ce qui explique pourquoi certains collabos ont passé les mailles du filet et sont parti du côté de leurs amis nazis...)
Plariste-le-Revanite Si tu compares aux U.S.A les U.S.A ont mis 200 piges à s'industrialiser et on dut utiliser l'esclavage
Moussa N'dongo N'dongo monteur-fraiseur chez Ford... L'esclavage revisité par le plaquiste.
spitfire C'est assez caricatural et ça manque d'éléments.
Sur le principe, en quoi un plan serait inadapté ou manquerait d'efficacité en matière d'innovation face au libéralisme ?
L'URSS durant la guerre froide avait pris une avance très significative sur les USA au début de la conquête spatiale par exemple, qui requérait sans nul doute un haut niveau technologique.
Plariste-le-Revanite Y'a pas eu de l'esclavage dans le sud?
Accumulation primitive du capital tout ça pour investir dans de nouveaux moyens de production....
Complètement idiot !
A ce que je sache, en France, ce ne sont pas les dom-tom qui se sont le plus indiustrialisés.
jipi Parlait du sud des U.S.A ducon arrêtes de faire l'idiot pour me peindre comme l'un de ces gauchistes qui eeeeeerrrrrrrrrrrrrff....... Tu sais très bien de quoi je parle !
jipi Plariste-le-Revanite Si tu compares aux U.S.A les U.S.A ont mis 200 piges à s'industrialiser et on dut utiliser l'esclavage
Moussa N'dongo N'dongo monteur-fraiseur chez Ford... L'esclavage revisité par le plaquiste.
Oui, et ? L'esclavage n'a nulle part précédé l'industrialisation. Sinon les anglais en serient restés à l'âge du bronze !
jipi Alors tu connais le concepts d'accumulation primitive du capital? Bah oui pour investir dans de l'industrie lourde faut du flouze? Vous savez d'où ça vient?
https://wikirouge.net/Accumulation_primitive_du_capital
https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-32.htm
Ainsi donc ce qui gît au fond de l'accumulation primitive du capital, au fond de sa genèse historique, c'est l'expropriation du producteur immédiat, c'est la dissolution de la propriété fondée sur le travail personnel de son possesseur.
La propriété privée, comme antithèse de la propriété collective, n’existe que là où les instruments et les autres conditions extérieures du travail appartiennent à des particuliers. Mais selon que ceux-ci sont les travailleurs ou les non-travailleurs, la propriété privée change de face. Les formes infiniment nuancées qu'elle affecte à première vue ne font que réfléchir les états intermédiaires entre ces deux extrêmes.
La propriété privée du travailleur sur les moyens de son activité productive est le corollaire de la petite industrie, agricole ou manufacturière, et celle-ci constitue la pépinière de la production sociale, l'école où s'élaborent l'habileté manuelle, l'adresse ingénieuse et la libre individualité du travailleur. Certes, ce mode de production se rencontre au milieu de l'esclavage, du servage et d'autres états de dépendance. Mais il ne prospère, il ne déploie toute son énergie, il ne revêt sa forme intégrale et classique que là où le travailleur est le propriétaire libre des conditions de travail qu'il met lui-même en œuvre, le paysan, du sol qu'il cultive, l'artisan, de l'outillage qu'il manie, comme le virtuose, de son instrument.
Ce régime industriel de petits producteurs indépendants, travaillant à leur compte, présuppose le morcellement du sol et l'éparpillement des autres moyens de production. Comme il en exclut la concentration, il exclut aussi la coopération sur une grande échelle, la subdivision de la besogne dans l'atelier et aux champs, le machinisme, la domination savante de l'homme sur la nature, le libre développement des puissances sociales du travail, le concert et l'unité dans les fins, les moyens et les efforts de l'activité collective. Il n'est compatible qu'avec un état de la production et de la société étroitement borné. L'éterniser, ce serait, comme le dit pertinemment Pecqueur, « décréter la médiocrité en tout ». Mais, arrivé à un certain degré, il engendre de lui-même les agents matériels de sa dissolution. A partir de ce moment, des forces et des passions qu'il comprime, commencent à s'agiter au sein de la société. Il doit être, il est anéanti. Son mouvement d'élimination transformant les moyens de production individuels et épars en moyens de production socialement concentrés, faisant de la propriété naine du grand nombre la propriété colossale de quelques-uns, cette douloureuse, cette épouvantable expropriation du peuple travailleur, voilà les origines, voilà la genèse du capital. Elle embrasse toute une série de procédés violents, dont nous n'avons passé en revue que les plus marquants sous le titre de méthodes d'accumulation primitive.
L'expropriation des producteurs immédiats s'exécute avec un vandalisme impitoyable qu'aiguillonnent les mobiles les plus infâmes, les passions les plus sordides et les plus haïssables dans leur petitesse. La propriété privée, fondée sur le travail personnel, cette propriété qui soude pour ainsi dire le travailleur isolé et autonome aux conditions extérieures du travail, va être supplantée par la propriété privée capitaliste, fondée sur l'exploitation du travail d'autrui, sur le salariat [1].
Dès que ce procès de transformation a décomposé suffisamment et de fond en comble la vieille société, que les producteurs sont changés en prolétaires, et leurs conditions de travail, en capital, qu'enfin le régime capitaliste se soutient par la seule force économique des choses, alors la socialisation ultérieure du travail, ainsi que la métamorphose progressive du sol et des autres moyens de production en instruments socialement exploités, communs, en un mot, l'élimination ultérieure des propriétés privées, va revêtir une nouvelle forme. Ce qui est maintenant à exproprier, ce n'est plus le travailleur indépendant, mais le capitaliste, le chef d'une armée ou d'une escouade de salariés.
Cette expropriation s'accomplit par le jeu des lois immanentes de la production capitaliste, lesquelles aboutissent à la concentration des capitaux. Corrélativement à cette centralisation, à l'expropriation du grand nombre des capitalistes par le petit, se développent sur une échelle toujours croissante l'application de la science à la technique, l'exploitation de la terre avec méthode et ensemble, la transformation de l'outil en instruments puissants seulement par l'usage commun, partant l'économie des moyens de production, l'entrelacement de tous les peuples dans le réseau du marché universel, d'où le caractère international imprimé au régime capitaliste. A mesure que diminue le nombre des potentats du capital qui usurpent et monopolisent tous les avantages de cette période d'évolution sociale, s'accroissent la misère, l'oppression, l'esclavage, la dégradation, l'exploitation, mais aussi la résistance de la classe ouvrière sans cesse grossissante et de plus en plus disciplinée, unie et organisée par le mécanisme même de la production capitaliste. Le monopole du capital devient une entrave pour le mode de production qui a grandi et prospéré avec lui et sous ses auspices. La socialisation du travail et la centralisation de ses ressorts matériels arrivent à un point où elles ne peuvent plus tenir dans leur enveloppe capitaliste. Cette enveloppe se brise en éclats. L'heure de la propriété capitaliste a sonné. Les expropriateurs sont à leur tour expropriés [2].
L'appropriation capitaliste, conforme au mode de production capitaliste, constitue la première négation de cette propriété privée qui n'est que le corollaire du travail indépendant et individuel. Mais la production capitaliste engendre elle-même sa propre négation avec la fatalité qui préside aux métamorphoses de la nature. C'est la négation de la négation. Elle rétablit non la propriété privée du travailleur, mais sa propriété individuelle, fondée sur les acquêts de, l'ère capitaliste, sur la coopération et la possession commune de tous les moyens de production, y compris le sol.
Pour transformer la propriété privée et morcelée, objet du travail individuel, en propriété capitaliste, il a naturellement fallu plus de temps, d'efforts et de peines que n'en exigera la métamorphose en propriété sociale de la propriété capitaliste, qui de fait repose déjà sur un mode de production collectif. Là, il s'agissait de l'expropriation de la masse par quelques usurpateurs; ici, il s'agit de l'expropriation de quelques, usurpateurs par la masse.
L'économie politique cherche, en principe, à entretenir une confusion des plus commodes entre deux genres de propriété privée bien distincts, la propriété privée fondée sur le travail personnel, et la propriété privée fondée sur le travail d'autrui, oubliant, à dessein, que celle-ci non seulement forme l'antithèse de celle-là, mais qu'elle ne croît que sur sa tombe. Dans l'Europe occidentale, mère-patrie de l'économie politique, l'accumulation primitive, c'est-à-dire l'expropriation des travailleurs, est en partie consommée, soit que le régime capitaliste se soit directement inféodé toute la production nationale, soit que - là où les conditions économiques sont moins avancées - il dirige au moins indirectement les couches sociales qui persistent à côté de lui et déclinent peu à peu avec le mode de production suranné qu'elles comportent. A la société capitaliste déjà faite, l'économiste applique les notions de droit et de propriété léguées par une société précapitaliste, avec d'autant plus de zèle et d'onction que les faits protestent plus haut contre son idéologie. Dans les colonies, il en est tout autrement [1].
Là le mode de production et d'appropriation capitaliste se heurte partout contre la propriété, corollaire du travail personnel, contre le producteur qui, disposant des conditions extérieures du travail, s'enrichit lui-même au lieu d'enrichir le capitaliste. L'antithèse de ces deux modes d'appropriation diamétralement opposés s'affirme ici d'une façon concrète, par la lutte. Si le capitaliste se sent appuyé par la puissance de la mère-Patrie, il cherche à écarter violemment de son chemin la pierre d'achoppement. Le même intérêt qui pousse le sycophante du capital, l'économiste, à soutenir chez lui l'identité théorique de la propriété capitaliste et de son contraire, le détermine aux colonies à entrer dans la voie des aveux, à proclamer bien haut l'incompatibilité de ces deux ordres sociaux. Il se met donc à démontrer qu'il faut ou renoncer au développement des puissances collectives du travail, à la coopération, à la division manufacturière, à l'emploi en grand des machines, etc., ou trouver des expédients pour exproprier les travailleurs et transformer leurs moyens de production en capital. Dans l'intérêt de ce qu'il lui plait d'appeler la richesse de la nation, il cherche des artifices pour assurer la pauvreté du peuple. Dès lors, sa cuirasse de sophismes apologétiques se détache fragment par fragment, comme un bois pourri.
Si Wakefield n'a rien dit de neuf sur les colonies [2], on ne saurait lui disputer le mérite d'y avoir découvert la vérité sur les rapports capitalistes en Europe. De même qu'à ses origines le système protecteur [3] tendait à fabriquer des fabricants dans la mère patrie, de même la théorie de la colonisation de Wakefield, que, pendant des années, l'Angleterre s'est efforcée de mettre légalement en pratique, avait pour objectif la fabrication de salariés dans les colonies. C’est ce qu'il nomme la colonisation systématique.
Tout d'abord Wakefield découvrit dans les colonies que la possession d'argent, de subsistances, de machines et d'autres moyens de production ne fait point d'un homme un capitaliste, à moins d'un certain complément, qui est le salarié, un autre homme, en un mot, forcé de se vendre volontairement. Il découvrit ainsi qu'au lieu d'être une chose, le capital est un rapport social entre personnes, lequel rapport s'établit par l'intermédiaire des choses [4]. M. Peel, nous raconte-t-il d'un ton lamentable, emporta avec lui d'Angleterre pour Swan River, Nouvelle-Hollande, des vivres et des moyens de production d'une valeur de cinquante mille l. st. M. Peel eut en outre la prévoyance d'emmener trois mille individus de la classe ouvrière, hommes, femmes et enfants. Une fois arrivé à destination, « M. Peel resta sans un domestique pour faire son lit on lui puiser de l'eau à la rivière [5]. » Infortuné M. Peel qui avait tout prévu ! Il n'avait oublié que d'exporter au Swan River les rapports de production anglais.
Pour l'intelligence des découvertes ultérieures de Wakefield, deux .remarques préliminaires sont nécessaires. On le sait : des moyens de production et de subsistance appartenant au producteur immédiat, au travailleur même, ne sont pas du capital. Ils ne deviennent capital qu'en servant de moyens d'exploiter et de dominer le travail. Or, cette propriété, leur âme capitaliste, pour ainsi dire, se confond si bien dans l'esprit de l'économiste avec leur substance matérielle qu'il les baptise capital en toutes circonstances, lors même qu'ils sont précisément le contraire. C'est ainsi que procède Wakefield. De plus, le morcellement des moyens de production constitués en propriété privée d'un grand nombre de producteurs, indépendants les uns des autres et travaillant tous à leur compte, il l'appelle égale division du capital. Il en est de l'économiste politique comme du légiste du moyen âge qui affublait d'étiquettes féodales même des rapports purement pécuniaires.
Supposez, dit Wakefield, le capital divisé en portions égales entre tous le, membres de la société, et que personne n'eût intérêt à accumuler plus de capital qu'il n'en pourrait employer de ses propres mains. C'est ce qui, jusqu'à un certain degré, arrive actuellement dans les nouvelles colonies américaines, où la passion pour la propriété foncière empêche l'existence d'une classe de salariés [6].
Donc, quand le travailleur peut accumuler pour lui-même, et il le peut tant qu'il reste propriétaire de ses moyens de production, l'accumulation et la production capitalistes sont impossibles. La classe salariée, dont elles ne sauraient se passer, leur fait défaut. Mais alors comment donc, dans la pensée de Wakefield, le travailleur a-t-il été exproprié de ses moyens de travail dans l'ancien monde, de telle sorte que capitalisme et salariat aient pu s'y établir ? Grâce à un contrat social d'une espèce tout à fait originale. L'humanité « adopta une méthode bien simple pour activer l'accumulation du capital », laquelle accumulation hantait naturellement l'imagination de la dite humanité depuis Adam et Ève comme but unique et suprême de son existence; « elle se divisa en propriétaires de capital et en propriétaires de travail... Cette division fut le résultat d'une entente et d'une combinaison faites de bon gré et d'un commun accord [7]. » En un mot, la masse de l'humanité s'est expropriée elle-même. en l'honneur de l'accumulation du capital ! Après cela, ne serait-on pas fondé à croire que cet instinct d'abnégation fanatique dût se donner libre carrière précisément dans les colonies, le seul lieu où ne rencontrent des hommes et des circonstances qui permettraient de faire passer le contrat social du pays des rêves dans, celui de la réalité ! Mais alors pourquoi, en somme, une colonisation systématique par opposition à la colonisation naturelle ? Hélas ! c'est que « dans les États du nord de l'Union américaine, il est douteux qu'un dixième de la population appartienne à la catégorie des salariés... En Angleterre ces derniers composent presque toute la masse du peuple [8]. »
En fait, le penchant de l'humanité laborieuse à s'exproprier à la plus grande gloire du capital est si imaginaire que, d'après Wakefield lui-même, la richesse coloniale n'a qu'un seul fondement naturel : l'esclavage. La colonisation systématique est un simple pis aller, attendu que c'est à des hommes libres et non à des esclaves qu'on a affaire. « Sans l'esclavage, le capital aurait été perdu dans les établissements espagnols, ou du moins se serait divisé en fractions minimes telles qu'un individu peut en employer dans sa petite sphère. Et c'est ce qui a eu lieu réellement dans les dernières colonies fondées par les Anglais, où un grand capital en semences, bétail et instruments s'est perdu faute de salariés, et où chaque colon possède plus de capital qu'il n'en peut manier personnellement [9]. »
La première condition de la production capitaliste, c'est que la propriété du sol soit déjà arrachée d'entre les mains de la masse. L'essence de toute colonie libre consiste, au contraire, en ce que la masse du sol y est encore la propriété du peuple et que chaque colon peut s'en approprier une partie qui lui servira de moyen de production individuel, sans empêcher par là les colons arrivant après lui d'en faire autant [10]. C'est là le secret de la prospérité des colonies, mais aussi celui de leur mal invétéré, la résistance à l'établissement du capital chez elles. « Là où la terre ne coûte presque rien et où tous les hommes sont libres, chacun pouvant acquérir à volonté un morceau de terrain, non seulement le travail est très cher, considérée la part qui revient au travailleur dans le produit de son travail, mais la difficulté est d'obtenir à n'importe quel prix du travail combiné [11]. »
Comme dans les colonies, le travailleur n'est pas encore divorcé d'avec les conditions matérielles du travail, ni d'avec leur souche, le sol, - ou ne l'est que çà et là, ou enfin sur une échelle trop restreinte - l'agriculture ne s'y trouve pas non plus séparée d'avec la manufacture, ni l'industrie domestique des campagnes détruite. Et alors où trouver pour le capital le marché intérieur ?
« Aucune partie de la population de l'Amérique n'est exclusivement agricole, sauf les esclaves et leurs maîtres qui combinent travail et capital pour de grandes entreprises. Les Américains libres qui cultivent le sol se livrent en même temps à beaucoup d'autres occupations. Ils confectionnent eux-mêmes ordinairement une partie des meubles et des instruments dont ils font usage. Ils construisent souvent leurs propres maisons et portent le produit de leur industrie aux marchés les plus éloignés. Ils filent et tissent, ils fabriquent le savon et la chandelle, les souliers et les vêtements nécessaires à leur consommation. En Amérique, le forgeron, le boutiquier, le menuisier, etc.. sont souvent en même temps cultivateurs [12]. » Quel champ de tels drôles laissent-ils au capitaliste pour pratiquer son abstinence ?
La suprême beauté de la production capitaliste consiste en ce que non seulement elle reproduit constamment le salarié comme salarié, mais que, proportionnellement à l'accumulation du capital, elle fait toujours naître des salariés surnuméraires. La loi de I’offre et la demande de travail est ainsi maintenue dans l'ornière convenable, les oscillations du salaire se meuvent entre les limites les plus favorables à l'exploitation, et enfin la subordination si indispensable du travailleur au capitaliste est garantie; ce rapport de dépendance absolue, qu'en Europe l'économiste menteur travestit en le décorant emphatiquement du nom de libre contrat entre deux marchands également indépendants, l'un aliénant la marchandise capital, l'autre la marchandise travail, est perpétué. Mais dans les colonies cette douce erreur s'évanouit. Le chiffre absolu de la population ouvrière y croît beaucoup plus rapidement que dans la métropole, attendu que nombre de travailleurs y viennent au monde tout faits, et cependant le marché du travail est toujours insuffisamment garni. La loi de l'offre et la demande est à vau-l'eau. D'une part, le vieux monde importe sans cesse des capitaux avides d'exploitation et âpres à l’abstinence, et, d'autre part, la reproduction régulière des salariés se brise contre des écueils fatals. Et combien il s'en faut, à plus forte raison, que, proportionnellement à l'accumulation du capital, il se produise un surnumérariat de travailleurs ! Tel salarié d'aujourd'hui devient demain artisan ou cultivateur indépendant. Il disparaît du marché du travail, mais non pour reparaître au workhouse. Cette métamorphose incessante de salariés en producteurs libres travaillant pour leur propre compte et non pour celui du capital, et s'enrichissant au lieu d'enrichir M. le capitaliste, réagit d'une manière funeste sur l'état du marché et partant sur le taux du salaire. Non seulement le degré d'exploitation reste outrageusement bas, mais le salarié perd encore, avec la dépendance réelle, tout sentiment de sujétion vis-à-vis du capitaliste. De là tous les inconvénients dont notre excellent Wakefield nous fait la peinture avec autant d'émotion que d'éloquence.
« L'offre de travail salarié, dit-il, n'est ni constante, ni régulière, ni suffisante. Elle est toujours non seulement trop faible, mais encore incertaine [13]... Bien que le produit à partager entre le capitaliste et le travailleur soit considérable, celui-ci en prend une portion si large qu'il devient bientôt capitaliste... Par contre, il n'y en a qu'un petit nombre qui puissent accumuler de grandes richesses, lors même que la durée de leur vie dépasse de beaucoup la moyenne [14]. » Les travailleurs ne permettent absolument point au capitaliste de renoncer au payement de la plus grande partie de leur travail. Et lors même qu'il a l'excellente idée d'importer d'Europe avec son propre capital ses propres salariés, cela ne lui sert de rien. « Ils cessent bientôt d'être des salariés pour devenir des paysans indépendants, ou même pour faire concurrence à leurs anciens patrons en leur enlevant sur le marché les bras qui viennent s'offrir [15]. » Peut-on s'imaginer rien de plus révoltant ? Le brave capitaliste a importé d'Europe, au prix de son cher argent, ses propres concurrents en chair et en os ! C'est donc la fin du monde ! Rien d'étonnant que Wakefield se plaigne du manque de discipline chez les ouvriers des colonies et de l'absence du sentiment de dépendance. « Dans les colonies, dit son disciple Merivale, l'élévation des salaires a porté jusqu'à la passion le désir d'un travail moins cher et plus soumis, d'une classe à laquelle le capitaliste puisse dicter les conditions au lieu de se les voir imposer, par elle... Dans les pays de vieille civilisation, le travailleur est, quoique libre, dépendant du capitaliste en vertu d'une loi naturelle (!); dans les colonies cette dépendance doit être créée par des moyens artificiels [16]. »
Quel est donc dans les colonies le résultat du système régnant de propriété privée, fondée sur le travail propre de chacun, au lieu de l'être sur l'exploitation du travail d'autrui ? « Un système barbare qui disperse les producteurs et morcelle la richesse nationale [17]. » L'éparpillement des moyens de production entre les mains d'innombrables producteurs-propriétaires travaillant à leur compte, anéantit, en même temps que la concentration capitaliste, la base capitaliste de toute espèce de travail combiné.
Toutes les entreprises de longue haleine, qui embrassent des années et nécessitent des avances considérables de capital fixe, deviennent problématiques. En Europe, le capital n'hésite pas un instant en pareil cas, car la classe ouvrière est son appartenance vivante, toujours disponible et toujours surabondante. Dans les pays coloniaux... mais Wakefield nous raconte à ce propos une anecdote touchante. Il s'entretenait avec quelques capitalistes du Canada et de l'État de New-York, où les flots de l'émigration restent souvent stagnants et déposent un sédiment de travailleurs. « Notre capital, soupire un des personnages du mélodrame, notre capital était déjà prêt pour bien des opérations dont l'exécution exigeait une grande période de temps : mais le moyen de rien entreprendre avec des ouvriers qui, nous le savons, nous auraient bientôt tourné le dos ! Si nous avions été certains de pouvoir fixer ces émigrants, nous les aurions avec joie engagés sur-le-champ, et à des prix élevés. Et malgré la certitude où nous étions de les perdre, nous les aurions cependant embauchés, si nous avions pu compter sur des remplaçants au fur et à mesure de nos besoins [18]. »
Après avoir fait pompeusement ressortir le contraste de l'agriculture capitaliste anglaise à « travail combiné » avec l'exploitation parcellaire des paysans américains, Wakefield laisse voir malgré lui le revers de la médaille. Il nous dépeint la masse du peuple américain comme indépendante, aisée, entreprenante et comparativement cultivée, tandis que « l'ouvrier agricole anglais est un misérable en haillons, un pauper... Dans quel pays, excepté l'Amérique du Nord et quelques colonies nouvelles, les salaires du travail libre employé à l'agriculture dépassent-iIs tant soit peu les moyens de subsistance absolument indispensables au travailleur ?... En Angleterre, les chevaux de labour, qui constituent pour leurs maîtres une propriété de beaucoup de valeur, sont assurément beaucoup mieux nourris que les ouvriers ruraux [19]. » Mais, never mind [20] ! Encore une fois, richesse de la nation et misère du peuple, c'est, par la nature des choses, inséparable.
Et maintenant, quel remède à cette gangrène anticapitaliste des colonies ? Si l'on voulait convertir à la fois toute la terre coloniale de propriété publique en propriété privée, on détruirait, il est vrai, le mal à sa racine, mais aussi, du même coup, - la colonie. Tout l'art consiste à faire d'une pierre deux coups. Le gouvernement doit donc vendre cette terre vierge à un prix artificiel, officiellement fixé par lui, sans nul égard à la loi de l'offre et la demande. L'immigrant sera ainsi forcé de travailler comme salarié assez longtemps, jusqu'à ce qu'il parvienne à gagner assez d'argent pour être à même d'acheter un champ et de devenir cultivateur indépendant [21]. Les fonds réalisés par la vente des terres à un prix presque prohibitif pour le travailleur immigrant, ces fonds qu'on prélève sur le salaire en dépit de la loi sacrée de l’offre et la demande, seront, à mesure qu'ils s'accroissent, employés par le gouvernement à importer des gueux d'Europe dans les colonies, afin que monsieur le capitaliste y trouve le marché de travail toujours copieusement garni de bras. Dès lors, tout sera pour le mieux dans la meilleure des colonies possibles. Voilà le grand secret de la « colonisation systématique » !
Wakefield s'écrie triomphalement : « Avec ce plan l'offre du travail sera nécessairement constante et régulière - premièrement, en effet, aucun travailleur n'étant capable de se procurer de la terre avant d'avoir travaillé pour de l'argent, tous les émigrants, par cela même qu'ils travailleront comme salariés en groupes combinés, vont produire à leur patron un capital qui le mettra en état d'employer encore plus de travailleurs; secondement, tous ceux qui changent leur condition de salariés en celle de paysans doivent fournir du même coup, par l'achat des terres publiques, un fonds additionnel destiné à l'importation de nouveaux travailleurs dans les colonies [22]. »
Le prix de sol octroyé par l'État devra naturellement être suffisant (sufficient price), c'est-à-dire assez élevé « pour empêcher les travailleurs de devenir des paysans indépendants, avant que d'autres soient venus prendre leur place au marché du travail [23]. » Ce « prix suffisant du sol » n'est donc après tout qu'un euphémisme, qui dissimule la rançon payée par le travailleur au capitaliste pour obtenir licence de se retirer du marché du travail et de s'en aller à la campagne. Il lui faut d'abord produire du capital à son gracieux patron, afin que celui-ci puisse exploiter plus de travailleurs, et puis il lui faut fournir sur le marché un remplaçant, expédié à ses frais par le gouvernement à ce haut et puissant seigneur.
Un fait vraiment caractéristique, c'est que pendant nombre d'années le gouvernement anglais mit en pratique cette méthode d'accumulation primitive recommandée par Wakefield à l'usage spécial des colonies. Le fiasco fut aussi complet et aussi honteux que celui du Bank Act [24] de Sir Robert Peel. Le courant de l'émigration se détourna tout bonnement des colonies anglaises vers les États-Unis. Depuis lors, le progrès de la production capitaliste en Europe, accompagné qu'il est d'une pression gouvernementale toujours croissante, a rendu superflue la panacée de Wakefield. D'une part, le courant humain qui se précipite tous les ans, immense et continu, vers l'Amérique, laisse des dépôts stagnants dans l'est des États-Unis, la vague d'émigration partie d'Europe y jetant sur le marché de travail plus d'hommes que la seconde vague d'émigration n'en peut emporter vers le Far West. D'autre part, la guerre civile américaine a entraîné à sa suite une énorme dette nationale, l'exaction fiscale, la naissance de la plus vile aristocratie financière, l'inféodation d'une grande partie des terres publiques à des sociétés de spéculateurs, exploitant les chemins de fer, les mines, etc., en un mot, la centralisation la plus rapide du capital. La grande République a donc cessé d'être la terre promise des travailleurs émigrants. La production capitaliste y marche à pas de géant, surtout dans les États de l'Est, quoique l'abaissement des salaires et la servitude des ouvriers soient loin encore d'y avoir atteint le niveau normal européen.
Les donations de terres coloniales en friche, si largement prodiguées par le gouvernement anglais à des aristocrates et à des capitalistes, ont été hautement dénoncées par Wakefield lui-même. Jointes au flot incessant des chercheurs d'or et à la concurrence que l'importation des marchandises anglaises fait au moindre artisan colonial, elles ont doté l'Australie d'une surpopulation relative, beaucoup moins consolidée qu'en Europe, mais assez considérable pour qu'à certaines périodes, chaque paquebot apporte la fâcheuse nouvelle d'un encombrement du marché de travail australien (glut ol the Australian labour market) et que la prostitution s'y étale en certains endroits aussi florissante que sur le Hay-market de Londres [25].
Mais ce qui nous occupe ici, ce n'est pas la situation actuelle des colonies, c'est le secret que l'économie politique de l'ancien monde a découvert dans le nouveau, et naïvement trahi par ses élucubrations sur les colonies. Le voici : le mode de production et d'accumulation capitaliste et partant la propriété privée capitaliste, présuppose l'anéantissement de la propriété privée fondée sur le travail personnel; sa base, c'est l'expropriation du travailleur.
Et quel était le pays le plus industrialisé durant la révolution industrielle, manche à couilles ?
On recommence à 0 dans l'ordre :
https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-intracc.htm
La conversion d'une somme d'argent en moyens de production et force de travail, ce premier mouvement de la valeur destinée à fonctionner comme capital, a lieu sur le marché, dans la sphère de la circulation.
Le procès de production, la deuxième phase du mouvement, prend fin dès que les moyens de production sont transformés en marchandises dont la valeur excède celle de leurs éléments constitutifs ou renferme une plus-value en sus du capital avancé.
Les marchandises doivent alors être jetées dans la sphère de la circulation. Il faut les vendre, réaliser leur valeur en argent, puis transformer de nouveau cet argent en capital et ainsi de suite.
C'est ce mouvement circulaire à travers ces phases successives qui constitue la circulation du capital.
La première condition de l'accumulation, c'est que le c?apitaliste ait déjà réussi à vendre ses marchandises et à retransformer en capital la plus grande partie de l'argent ainsi obtenu. Dans l'exposé suivant il est sous-entendu que le capital accomplit d'une manière normale le cours de sa circulation, dont nous remettons l'analyse ultérieure au deuxième livre.
Le capitaliste qui produit la plus-value, c'est-à-dire qui extrait directement de l'ouvrier du travail non payé et fixé dans des marchandises, se l'approprie le premier, mais il n'en reste pas le dernier possesseur. Il doit au contraire la partager en sous-ordre avec d'autres capitalistes qui accomplissent d'autres fonctions dans l'ensemble de la production sociale, avec le propriétaire foncier, etc.
La plus-value se scinde donc en diverses parties, en fragments qui échoient à diverses catégories de personnes et revêtent des formes diverses, apparemment indépendantes les unes des autres, telles que profit industriel, intérêt, gain commercial, rente foncière, etc. Mais ce fractionnement ne change ni la nature de la plus-value, ni les conditions dans lesquelles elle devient la source de l'accumulation. Quelle qu'en soit la portion que le capitaliste entrepreneur retienne pour lui ou transmette à d'autres, c'est toujours lui qui en premier lieu se l'approprie tout entière et qui seul la convertit en capital. Sans nous arrêter à la répartition et aux transformations de la plus-value, dont nous ferons l'étude dans le troisième livre, nous pouvons donc traiter le capitaliste industriel, tel que fabricant, fermier, etc., comme le seul possesseur de la plus-value, ou si l'on veut comme le représentant de tous les partageants entre lesquels le butin se distribue.
Le mouvement intermédiaire de la circulation et le fractionnement de la plus-value en diverses parties, revêtant des formes diverses, compliquent et obscurcissent le procès fondamental de l'accumulation. Pour en simplifier l'analyse, il faut donc préalablement laisser de côté tous ces phénomènes qui dissimulent le jeu intime de son mécanisme et étudier l'accumulation au point de vue de la production.
Quelle que soit la forme sociale que le procès de production revête, il doit être continu ou, ce qui revient au même, repasser périodiquement par les mêmes phases. Une société ne peut cesser de produire non plus que de consommer. Considéré, non sous son aspect isolé, mais dans le cours de sa rénovation incessante, tout procès de production social est donc en même temps procès de reproduction.
Les conditions de la production sont aussi celles de la reproduction. Une société ne peut reproduire, c'est à dire produire d'une manière continue, sans retransformer continuellement une partie de ses produits en moyens de production, en éléments de nouveaux produits. Toutes circonstances restant les mêmes, elle ne peut maintenir sa richesse sur le même pied qu'en remplaçant les moyens de travail, les matières premières, les matières auxiliaires, en un mot les moyens de production consommés dans le cours d'une année par exemple, par une quantité égale d'autres articles de la même espèce. Cette partie du produit annuel, qu'il faut en détacher régulièrement pour l'incorporer toujours de nouveau au procès de production, appartient donc à la production. Destinée dès son origine à la consommation productive, elle consiste pour la plupart en choses que leur mode d'existence même rend inaptes à servir de moyens de jouissance. Si la production possède la forme capitaliste, il en sera de même de la reproduction. Là, le procès de travail sert de moyen pour créer de la plus-value; ici il sert de moyen pour perpétuer comme capital, c'est à dire comme valeur rendant la valeur, la valeur une fois avancée.
Le caractère économique de capitaliste ne s'attache donc à un homme qu'autant qu'il fait fonctionner son argent comme capital. Si cette année, par exemple, il avance cent livres sterling, les transforme en capital et en tire une plus-value de vingt livres sterling, il lui faut répéter l'année suivante la même opération.
Comme incrément périodique de la valeur avancée, la plus-value acquiert la forme d'un revenu provenant du capital [1].
Si le capitaliste emploie ce revenu seulement comme fonds de consommation, aussi périodiquement dépensé que gagné, il y aura, toutes circonstances restant les mêmes, simple reproduction, ou en d'autres termes, le capital continuera à fonctionner sans s'agrandir. Le procès de production, périodiquement recommencé, passera toujours par les mêmes phases dans un temps donné, mais il se répétera toujours sur la même échelle. Néanmoins cette répétition ou continuité lui imprime certains caractères nouveaux ou, pour mieux dire, fait disparaître les caractères apparents qu'il présentait sous son aspect d'acte isolé.
Considérons d'abord cette partie du capital qui est avancée en salaires, ou le capital variable.
Avant de commencer à produire, le capitaliste achète des forces de travail pour un temps déterminé, et renouvelle cette transaction à l'échéance du terme stipulé, après une certaine période de production, semaine, mois, etc. Mais il ne paie que lorsque l'ouvrier a déjà fonctionné et ajouté au produit et la valeur de sa propre force et une plus-value. Outre la plus-value, le fonds de consommation du capitaliste, l'ouvrier a donc produit le fonds de son propre payement, le capital variable, avant que celui-ci lui revienne sous forme de salaire, et il n'est employé qu'aussi longtemps qu'il continue à le reproduire. De là la formule des économistes (voy. ch. XVII) qui représente le salaire comme portion du produit achevé [2]. En effet, des marchandises que le travailleur reproduit constamment, une partie lui fait retour constamment sous forme de salaire. Cette quote-part, il est vrai, lui est payée en argent, mais l'argent n'est que la figure valeur des marchandises.
Pendant que l'ouvrier est occupé à transformer en nouveau produit une partie des moyens de production, le produit de son travail passé circule sur le marché où il se transforme en argent. C'est ainsi qu'une partie du travail qu'il a exécuté la semaine précédente ou le dernier semestre paye son travail d'aujourd'hui ou du semestre prochain.
L'illusion produite par la circulation des marchandises disparaît dès que l'on substitue au capitaliste individuel et à ses ouvriers, la classe capitaliste et la classe ouvrière. La classe capitaliste donne régulièrement sous forme monnaie à la classe ouvrière des mandats sur une partie des produits que celle ci a confectionnés et que celle là s'est appropriés. La classe ouvrière rend aussi constamment ces mandats à la classe capitaliste pour en retirer la quote part qui lui revient de son propre produit. Ce qui déguise cette transaction, c'est la forme marchandise du produit et la forme argent de la marchandise.
Le capital variable [3] n'est donc qu'une forme historique particulière du soi disant fonds d'entretien du travail [4] que le travailleur doit toujours produire et reproduire lui même dans tous les systèmes de production possibles. Si, dans le système capitaliste, ce fonds n'arrive à l'ouvrier que sous forme de salaire, de moyens de payement de son travail, c'est parce que là son propre produit s'éloigne toujours de lui sous forme de capital. Mais cela ne change rien au fait, que ce n'est qu'une partie de son propre travail passé et déjà réalisé, que l'ouvrier reçoit comme avance du capitaliste [5].
Prenons, par exemple, un paysan corvéable qui avec ses moyens de production travaille sur son propre champ trois jours de la semaine et les trois jours suivants fait la corvée sur la terre seigneuriale. Son fonds d'entretien, qu'il reproduit constamment pour lui même et dont il reste le seul possesseur, ne prend jamais vis à vis de lui la forme de moyens de payement dont un tiers lui aurait fait l'avance, mais, en revanche, son travail forcé et gratuit ne prend jamais la forme de travail volontaire et payé. Supposons maintenant que son champ, son bétail, ses semences, en un mot ses moyens de production lui soient arrachés par son maître, auquel il est réduit désormais à vendre son travail. Toutes les autres circonstances restant les mêmes, il travaillera toujours six jours par semaine, trois jours pour son propre entretien et trois jours pour son ex seigneur, dont il est devenu le salarié. Il continue à user les mêmes moyens de production et à transmettre leur valeur au produit. Une certaine partie de celui ci rentre, comme autrefois, dans la reproduction. Mais à partir du moment où le servage s'est converti en salariat, le fonds d'entretien de l'ancien corvéable, que celui ci ne cesse pas de reproduire lui même, prend aussitôt la forme d'un capital dont le ci devant seigneur fait l'avance en le payant.
L'économiste bourgeois, incapable de distinguer la forme du fond, ferme les yeux à ce fait que même chez les cultivateurs de l'Europe continentale et de l'Amérique du Nord, le fonds d'entretien du travail ne revêt qu'exceptionneIlement la forme de capital [6], d'une avance faite au producteur immédiat par le capitaliste entrepreneur.
Le capital variable ne perd cependant son caractère d'avance [7] provenant du propre fonds du capitaliste que grâce au renouvellement périodique du procès de production. Mais avant de se renouveler, ce procès doit avoir commencé et duré un certain laps de temps, pendant lequel l'ouvrier ne pouvait encore être payé en son propre produit ni non plus vivre de l'air du temps. Ne fallait il donc pas, la première fois qu'elle se présenta au marché du travail, que la classe capitaliste eût déjà accumulé par ses propres labeurs et ses propres épargnes des trésors qui la mettaient en état d'avancer les subsistances de l'ouvrier sous forme de monnaie ? Provisoirement nous voulons bien accepter cette solution du problème, en nous réservant d'y regarder de plus près dans le chapitre sur la soi disant accumulation primitive.
Toutefois, en ne faisant que perpétuer le fonctionnement du même capital, ou répéter sans cesse le procès de production sur une échelle permanente, la reproduction continue opère un autre changement, qui altère le caractère primitif et de la partie variable et de la partie constante du capital avancé.
Si un capital de mille livres sterling rapporte périodiquement, soit tous les ans, une plus-value de deux cents livres sterling que le capitaliste consomme chaque année, il est clair que le procès de production annuel ayant été répété cinq fois, la somme de la plus-value sera égale à 5 x 200 ou mille livres sterling, c'est à dire à la valeur totale du capital avancé. Si la plus-value annuelle n'était consommée qu'en partie, qu'à moitié par exemple, le même résultat se produirait au bout de dix ans, car 10 x 100 = 1000. Généralement parlant : En divisant le capital avancé par la plus-value annuellement consommée, on obtient le nombre d'années ou de périodes de production après l'écoulement desquelles le capital primitif a été consommé par le capitaliste, et a, par conséquent, disparu.
Le capitaliste se figure sans doute qu'il a consommé la plus-value et conservé la valeur capital, mais sa manière de voir ne change rien au fait, qu'après une certaine période la valeur-capital qui lui appartenait égale la somme de plus-value qu'il a acquise gratuitement pendant la même période, et que la somme de valeur qu'il a consommée égale celle qu'il a avancée. De l'ancien capital qu'il a avancé de son propre fonds, il n'existe donc plus un seul atome de valeur.
Il est vrai qu'il tient toujours en main un capital dont la grandeur n'a pas changé et dont une partie, bâtiments, machines, etc., était déjà là lorsqu'il mit son entreprise en train. Mais il s'agit ici de la valeur du capital et non de ses éléments matériels. Quand un homme mange tout son bien en contractant des dettes, la valeur de son bien ne représente plus que la somme de ses dettes. De même, quand le capitaliste a mangé l'équivalent de son capital avancé, la valeur de ce capital ne représente plus que la somme de plus-value qu'il a accaparée.
Abstraction faite de toute accumulation proprement dite, la reproduction simple suffit donc pour transformer tôt ou tard tout capital avancé en capital accumulé ou en plus-value capitalisée. Ce capital, fût il même, à son entrée dans le procès de production, acquis par le travail personnel de l'entrepreneur, devient, après une période plus ou moins longue, valeur acquise sans équivalent, matérialisation du travail d'autrui non payé.
Au début de notre analyse (deuxième section), nous avons vu qu'il ne suffit pas de la production et de la circulation des marchandises pour faire naître le capital. Il fallait encore que l'homme aux écus trouvât sur le marché d'autres hommes, libres, mais forcés à vendre volontairement leur force de travail, parce que d'autre chose à vendre ils n'avaient miette. La séparation entre produit et producteur, entre une catégorie de personnes nanties de toutes les choses qu'il faut au travail pour se réaliser, et une autre catégorie de personnes dont tout l'avoir se bornait à leur propre force de travail, tel était le point de départ de la production capitaliste.
Mais ce qui fut d'abord point de départ devient ensuite, grâce à la simple reproduction, résultat constamment renouvelé. D'un côté le procès de production ne cesse pas de transformer la richesse matérielle en capital et moyens de jouissance pour le capitaliste; de l'autre, l'ouvrier en sort comme il y est entré source personnelle de richesse, dénuée de ses propres moyens de réalisation. Son travail, déjà aliéné, fait propriété du capitaliste et incorporé au capital, même avant que le procès commence, ne peut évidemment durant le procès se réaliser qu'en produits qui fuient de sa main. La production capitaliste, étant en même temps consommation de la force de travail par le capitaliste, transforme sans cesse le produit du salarié non seulement en marchandise, mais encore en capital, en valeur qui pompe la force créatrice de la valeur, en moyens de production qui dominent le, producteur, en moyens de subsistance qui achètent l'ouvrier lui-même. La seule continuité ou répétition périodique du procès de production capitaliste en reproduit et perpétue donc la base, le travailleur dans la qualité de salarié [8].
La consommation du travailleur est double. Dans l'acte de production il consomme par son travail des moyens de production afin de les convertir en produits d'une valeur supérieure à celle du capital avancé. Voilà sa consommation productive qui est en même temps consommation de sa force par le capitaliste auquel elle appartient [9]. Mais l'argent donné pour l'achat de cette force est dépensé par le travailleur en moyens de subsistance, et c'est ce qui forme sa consommation individuelle.
La consommation productive et la consommation individuelle du travailleur sont donc parfaitement distinctes. Dans la première il agit comme force motrice du capital et appartient au capitaliste : dans la seconde il s'appartient à lui-même et accomplit des fonctions vitales en dehors du procès de production. Le résultat de l'une, c'est la vie du capital; le résultat de l'autre, c'est la vie de l'ouvrier lui-même.
Dans les chapitres sur « la journée de travail » et « la grande industrie » des exemples nombreux, il est vrai, nous ont montré l'ouvrier obligé à faire de sa consommation individuelle un simple incident du procès de production. Alors les vivres qui entretiennent sa force jouent le même rôle que l'eau et le charbon donnés en pâture à la machine à vapeur. lis ne lui servent qu'à produire, ou bien sa consommation individuelle se confond avec sa consommation productive. Mais cela apparaissait comme un abus dont la production capitaliste saurait se passer à la rigueur [10].
Néanmoins, les faits changent d'aspect si l'on envisage non le capitaliste et l'ouvrier individuels, mais la classe capitaliste et la classe ouvrière, non des actes de production isolés, mais la production capitaliste dans l'ensemble de sa rénovation continuelle et dans sa portée sociale.
En convertissant en force de travail une partie de son capital, le capitaliste pourvoit au maintien et à la mise en valeur de son capital entier. Mais ce n'est pas tout. Il fait d'une pierre deux coups. Il profite non seulement de ce qu'il reçoit de l'ouvrier, mais encore de ce qu'il lui donne.
Le capital aliéné contre la force de travail est échangé par la classe ouvrière contre des subsistances dont la consommation sert à reproduire les muscles, nerfs, os, cerveaux, etc., des travailleurs existants et à en former de nouveaux. Dans les limites du strict nécessaire la consommation individuelle de la classe ouvrière est donc la transformation des subsistances qu'elle achète par la vente de sa force de travail, en nouvelle force de travail, en nouvelle matière à exploiter par le capital. C'est la production et la reproduction de l'instrument le plus indispensable au capitaliste, le travailleur lui-même. La consommation individuelle de l'ouvrier, qu'elle ait lieu au dedans ou au dehors de l'atelier, forme donc un élément de la reproduction du capital, de même que le nettoyage des machines, qu'il ait lieu pendant le procès de travail ou dans les intervalles d'interruption.
Il est vrai que le travailleur fait sa consommation individuelle pour sa propre satisfaction et non pour celle du capitaliste. Mais les bêtes de somme aussi aiment à manger, et qui a jamais prétendu que leur alimentation en soit moins l'affaire du fermier ? Le capitaliste n'a pas besoin d'y veiller; il peut s'en fier hardiment aux instincts de conservation et de propagation du travailleur libre.
Aussi est il à mille lieues d'imiter ces brutaux exploiteurs de mines de l'Amérique méridionale qui forcent leurs esclaves à prendre une nourriture plus substantielle à la place de celle qui le serait moins [11]; son unique souci est de limiter la consommation individuelle des ouvriers au strict nécessaire.
C'est pourquoi l'idéologue du capital, l'économiste politique, ne considère comme productive que la partie de la consommation individuelle qu'il faut à la classe ouvrière pour se perpétuer et s'accroître, et sans laquelle le capital ne trouverait pas de force de travail à consommer ou n'en trouverait pas assez. Tout ce que le travailleur peut dépenser par dessus le marché pour sa jouissance, soit matérielle, soit intellectuelle, est consommation improductive [12]. Si l'accumulation du capital occasionne une hausse de salaire qui augmente les dépenses de l'ouvrier sans mettre le capitaliste à même de faire une plus large consommation de forces de travail, le capital additionnel est consommé improductivement [13]. En effet, la consommation du travailleur est improductive pour lui même; car elle ne reproduit que l'individu nécessiteux; elle est productive pour le capitaliste et l'Etat, car elle produit la force créatrice de leur richesse [14].
Au point de vue social, la classe ouvrière est donc, comme tout autre instrument de travail, une appartenance du capital, dont le procès de reproduction implique dans certaines limites même la consommation individuelle des travailleurs. En retirant sans cesse au travail son produit et le portant au pôle opposé, le capital, ce procès empêche ses instruments conscients de lui échapper. La consommation individuelle, qui les soutient et les reproduit, détruit en même temps leurs subsistances, et les force ainsi à reparaître constamment sur le marché. Une chaîne retenait l'esclave romain; ce sont des fils invisibles qui rivent le salarié à son propriétaire. Seulement ce propriétaire, ce n'est pas le capitaliste individuel, mais la classe capitaliste.
Il n'y a pas longtemps que cette classe employait encore la contrainte légale pour faire valoir son droit de propriété sur le travailleur libre. C'est ainsi que jusqu'en 1815 il était défendu, sous de fortes peines, aux ouvriers à la machine d'émigrer de l'Angleterre.
La reproduction de la classe ouvrière implique l'accumulation de son habileté, transmise d'une génération à l'autre [15]. Que cette habileté figure dans l'inventaire du capitaliste, qu'il ne voie dans l'existence des ouvriers qu'une manière d'être de son capital variable, c'est chose certaine et qu'il ne se gêne pas d'avouer publiquement dès qu'une crise le menace de la perte de cette propriété précieuse.
Par suite de la guerre civile américaine et de la crise cotonnière qui en résulta, la plupart des ouvriers du Lancashire et d'autres Comtés anglais furent jetés sur le pavé. Ils demandaient ou l'assistance de l'Etat ou une souscription nationale volontaire pour faciliter leur émigration. Ce cri de détresse retentissait de toutes les parties de l'Angleterre. Alors M. Edmond Potter, ancien président de la Chambre de commerce de Manchester, publia, dans le Times du 29 mars 1863, une lettre qui fut à juste titre qualifiée dans la Chambre des communes de « manifeste des fabricants [16] ». Nous en citerons quelques passages caractéristiques où le droit de propriété du capital sur la force de travail est insolemment revendiqué.
« On dit aux ouvriers cotonniers qu'il y en a beaucoup trop sur le marché... qu'en réduisant leur nombre d'un tiers, une. demande convenable serait assurée aux deux autres tiers... L'opinion publique persiste à réclamer l'émigration... Le maître (c'est à dire le fabricant filateur, etc.) ne peut pas voir de bon gré qu'on diminue son approvisionnement de travail, à son avis c'est un procédé aussi injuste que peu convenable... Si l'émigration reçoit l'aide du trésor public, le maître a certainement le droit de demander à être entendu et peut-être de protester. »
Le même Potter insiste ensuite sur l'utilité hors ligne de l'industrie cotonnière; il raconte qu'elle a « indubitablement opéré le drainage de la surpopulation de l'Irlande et des districts agricoles anglais », qu'elle a fourni en 1866 cinq treizièmes de tout le commerce d'exportation britannique, qu'elle va s'accroître de nouveau en peu d'années, dès que le marché, surtout celui de l'Inde, sera agrandi, et dès qu'elle obtiendra « une quantité :,de coton suffisante à six pence la livre... Le temps, ajoute-t il, un an, deux ans, trois ans peut-être, produira la quantité nécessaire... Je voudrais bien alors poser cette question : Cette industrie vaut elle qu'on la maintienne; est ce la peine d'en tenir en ordre le machinisme (c'est à dire les machines de travail vivantes), ou plutôt n'est ce pas la folie la plus extravagante que de penser à le laisser échapper ? Pour moi, je le crois. Je veux bien accorder que les ouvriers ne sont pas une propriété (« I allow that the workers are not a property »), qu'ils ne sont pas la propriété du Lancashire et des patrons; mais ils sont la force de tous deux; ils sont la force intellectuelle, instruite et disciplinée qu'on ne peut pas remplacer en une génération; au contraire les machines qu'ils font travailler (« the mere machinery which they work ») pourraient en partie être remplacées avantageusement et perfectionnées dans l'espace d'un an [17]... Encouragez ou permettez l'émigration de la force de travail, et après ? que deviendra le capitaliste ? » (« Encourage or allow the working power to emigrate and what of the capitalist ? ») Ce cri du coeur rappelle le cri plaintif de 1792 : S'il n'y a plus de courtisans, que deviendra le perruquier ? « Enlevez la crème des travailleurs, et le capital fixe sera largement déprécié, et le capital circulant ne s'exposera pas à la lutte avec un maigre approvisionnement de travail d'espèce inférieure... On nous dit que les ouvriers eux-mêmes désirent l'émigration. Cela est très naturel de leur part... Réduisez, comprimez l'industrie du coton en lui enlevant sa force de travail (by taking away its working power), diminuez la dépense en salaires d'un tiers ou de cinq millions de livres sterling, et que deviendra alors la classe immédiatement supérieure, celle des petits boutiquiers ? Et la rente foncière, et la location des cottages ? Que deviendront le petit fermier, le propriétaire de maisons, le propriétaire foncier ? Et dites moi s'il peut y avoir un plan plus meurtrier pour toutes les classes du pays, que celui qui consiste à affaiblir la nation en exportant ses meilleurs ouvriers de fabrique, et en dépréciant une partie de son capital le plus productif et de sa richesse ?... Je propose un emprunt de cinq à six millions, réparti sur deux ou trois années, administré par des commissaires spéciaux, qu'on adjoindrait aux administrations des pauvres dans les districts cotonniers, réglementé par une loi spéciale et accompagné d'un certain travail forcé, dans le but de maintenir la valeur morale des receveurs d'aumônes... Peut il y avoir rien de pis pour les propriétaires fonciers ou maîtres fabricants (can anything be worse for landowners or masters) que de laisser partir leurs meilleurs ouvriers et de démoraliser et indisposer ceux qui restent par une vaste émigration [18] qui fait le vide dans une province entière, vide de valeur et vide de capital. »
Potter, l'avocat choisi des fabricants, distingue donc deux espèces de machines, qui toutes deux appartiennent au capital, et dont l'une reste fixée à la fabrique, tandis que l'autre la quitte après avoir fait sa besogne quotidienne. L'une est morte, l'autre vivante. Non seulement la première se détériore et se déprécie chaque jour, mais elle devient en grande partie si surannée, grâce au progrès constant de la technologie, qu'on pourrait la remplacer avantageusement au bout de quelques mois. Les machines vivantes au contraire s'améliorent à mesure qu'elles durent et que l'habileté transmise de génération en génération s'y est accumulée davantage. Aussi le Times répond il au magnat de fabrique :
« M. E. Potter est si pénétré de l'importance extraordinaire et absolue des maîtres du coton (cotton masters), que pour maintenir cette classe et en éterniser le métier, il veut enfermer malgré eux un demi million de travailleurs dans un grand work house moral. L'industrie cotonnière mérite t elle qu'on la soutienne ? - demande M. Potter. Assurément, répondons nous, par tous les moyens honorables ! Est ce la peine de tenir le machinisme en ordre ? demande de nouveau M. Potter. Ici nous hésitons, car MM. Potter entend par machinisme le machinisme humain, puisqu'il proteste qu'il n'a pas l'intention de le traiter comme une propriété absolue. Il nous faut avouer que nous ne croyons pas qu'il « vaille la peine » ou qu'il soit même possible de tenir en ordre le machinisme humain, c'est à dire de l'enfermer et d'y mettre de l'huile, jusqu'à ce qu'on ait besoin de s'en servir. Ce machinisme a la propriété de se rouiller s'il reste inactif, qu'on l'huile ou qu'on le frotte tant qu'on voudra. Il est même capable, à voir ce qui se passe, de lâcher de lui-même la vapeur et d'éclater, ou de faire pas mal de tapage dans nos grandes villes. Il se peut bien, comme le dit M. Potter, que la reproduction des travailleurs exige beaucoup de temps, mais avec des mécaniciens et de l'argent on trouvera toujours des hommes durs, entreprenants et industrieux, de quoi fabriquer plus de maîtres de fabrique qu'il n'en sera jamais consommé... M. Potter nous annonce que l'industrie ressuscitera de plus belle dans un, deux ou trois ans, et réclame que nous n'allions pas encourager ou permettre l'émigration de la force de travail ! Il est naturel, dit il, que les ouvriers désirent émigrer, mais il pense que la nation doit enfermer malgré eux dans les districts cotonniers ce demi million de travailleurs, avec les sept cent mille qui leur sont attachés, et qu'elle doit en outre, par une conséquence nécessaire, refouler par la force leur mécontentement et les entretenir au moyen d'aumônes, et tout cela pour que les maîtres fabricants les trouvent tout prêts au moment où ils en auront besoin... Le temps est venu, où la grande opinion publique de cette île doit enfin faire quelque chose pour protéger cette force de travail contre ceux qui veulent la traiter comme ils traitent le charbon, le coton et le fer. » (« To save this working power from those who would deal with It as they deal with iron, coal and cotton [19]. »)
L'article du Times n'était qu'un jeu d'esprit. La « grande opinion publique » fut en réalité de l'avis du sieur Potter, que les ouvriers de fabrique font partie du mobilier des fabricants. On mit obstacle à leur émigration [20]; on les enferma dans le « workhouse moral » des districts cotonniers, où ils ont toujours l'honneur de former « la force (the strength) des fabricants cotonniers du Lancashire ».
Le procès de production capitaliste reproduit donc de lui-même la séparation entre travailleur et conditions du travail. Il reproduit et éternise par cela même les conditions qui forcent l'ouvrier à se vendre pour vivre, et mettent le capitaliste en état de l'acheter pour s'enrichir [21]. Ce n'est plus le hasard qui les place en face l'un de l'autre sur le marché comme vendeur et acheteur. C'est le double moulinet du procès lui-même qui rejette toujours le premier sur le marché comme vendeur de sa force de travail et transforme son produit toujours en moyen d'achat pour le second. Le travailleur appartient en fait à la classe capitaliste, avant de se vendre à un capitaliste individuel. Sa servitude économique [22] est moyennée et en même temps dissimulée par le renouvellement périodique de cet acte de vente, par la fiction du libre contrat, par le changement des maîtres individuels et par les oscillations des prix de marché du travail [23].
Le procès de production capitaliste considéré dans sa continuité, ou comme reproduction, ne produit donc pas seulement marchandise, ni seulement plus-value; il produit et éternise le rapport social entre capitaliste et salarié [24].
Dans les sections précédentes nous avons vu comment la plus-value naît du capital; nous allons maintenant voir comment le capital sort de la plus-value.
Si, au lieu d'être dépensée, la plus-value est avancée et employée comme capital, un nouveau capital se forme et va se joindre à l'ancien. On accumule donc en capitalisant la plus-value [1].
Considérons cette opération d'abord au point de vue du capitaliste individuel.
Un filateur, par exemple, a avancé deux cent cinquante mille francs dont quatre cinquièmes en coton, machines, etc., un cinquième en salaires, et produit annuellement deux cent quarante mille livres de filés d'une valeur de trois cent mille francs. La plus-value de cinquante mille francs existe dans le produit net de quarante mille livres un sixième du produit brut que la vente convertira en une somme d'argent de cinquante mille francs. Cinquante mille francs sont cinquante mille francs. Leur caractère de plus-value nous indique la voie par laquelle ils sont arrivés entre les mains du capitaliste, mais n'affecte en rien leur caractère de valeur ou d'argent.
Pour capitaliser la somme additionnelle de cinquante mille francs, le filateur n'aura donc, toutes autres circonstances restant les mêmes, qu'à en avancer quatre cinquièmes dans l'achat de coton, etc., et un cinquième dans l'achat de fileurs additionnels qui trouveront sur le marché les subsistances dont il leur a avancé la valeur. Puis le nouveau capital de cinquante mille francs fonctionne dans le filage et rend à son tour une plus-value de cent mille francs, etc.
La valeur capital a été originairement avancée sous forme-argent; la plus-value, au contraire, existe de prime abord comme valeur d'une quote-part du produit brut. La vente de celui-ci, son échange contre de l'argent, opère donc le retour de la valeur-capital à sa forme primitive, mais transforme le mode d'être primitif 'de la plus-value. A partir de ce moment, cependant, valeur capital et plus-value sont également des sommes d'argent et la conversion ultérieure en capital s'opère de la même manière pour les deux sommes. Le filateur avance l'une comme l'autre dans l'achat des marchandises qui le mettent à même de recommencer, et cette fois sur une plus grande échelle, la fabrication de son article. Mais pour en acheter les éléments constitutifs, il faut qu'il les trouve là sur le marché.
Ses propres filés ne circulent que parce qu'il apporte son produit annuel sur le marché, et il en est de même des marchandises de tous les autres capitalistes. Avant de se trouver sur le marché, elles devaient se trouver dans le fonds de la production annuelle qui n'est que la somme des articles de toute sorte dans lesquels la somme des capitaux individuels où le capital social s'est converti pendant le cours de l'année, et dont chaque capitaliste individuel ne tient entre les mains qu'une aliquote. Les opérations du marché ne font que déplacer ou changer de mains les parties intégrantes de la production annuelle sans agrandir celle-ci ni altérer la nature des choses produites. L'usage auquel le produit annuel tout entier peut se prêter, dépend donc de sa propre composition et non de la circulation.
La production annuelle doit en premier lieu fournir tous les articles propres à remplacer en nature les éléments matériels du capital usés pendant le cours de l'année. Cette déduction faite, reste le produit net dans lequel réside la plus-value.
En quoi consiste donc ce produit net ?
Assurément en objets destinés à satisfaire les besoins et les désirs de la classe capitaliste, ou à passer à son fonds de consommation. Si c'est tout, la plus-value sera dissipée en entier et il n'y aura que simple reproduction.
Pour accumuler, il faut convertir une partie du produit net en capital. Mais, à moins de miracles, on ne saurait convertir en capital que des choses propres à fonctionner dans le procès de travail, c'est à dire des moyens de production, et d'autres choses propres à soutenir le travailleur, c'est à dire des subsistances. Il faut donc qu'une partie du surtravail annuel ait été employée à produire des moyens de production et de subsistance additionnels, en sus de ceux nécessaires au remplacement du capital avancé. En définitive, la plus-value n'est donc convertible en capital que parce que le produit net, dont elle est la valeur, contient déjà les éléments matériels d'un nouveau capital [2].
Pour faire actuellement fonctionner ces éléments comme capital, la classe capitaliste a besoin d'un surplus de travail qu'elle ne saura obtenir, à part l'exploitation plus extensive ou intensive des ouvriers déjà occupés, qu'en enrôlant des forces de travail supplémentaires. Le mécanisme de la production capitaliste y a déjà pourvu en reproduisant la classe ouvrière comme classe salariée dont le salaire ordinaire assure non seulement le maintien, mais encore la multiplication.
Il ne reste donc plus qu'à incorporer les forces de travail additionnelles, fournies chaque année à divers degrés d’âge par la classe ouvrière, aux moyens de production additionnels que la production annuelle renferme déjà.
Considérée d'une manière concrète, l'accumulation se résout, par conséquent, en reproduction du capital sur une échelle progressive. Le cercle de la reproduction simple s'étend et se change, d'après l'expression de Sismondi [3], en spirale.
Revenons maintenant à notre exemple. C'est la vieille histoire : Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob, etc. Le capital primitif de deux cent cinquante mille francs rend une plus-value de cinquante mille francs qui va être capitalisée. Le nouveau capital de cinquante mille francs rend une plus-value de dix mille francs, laquelle, après avoir été à son tour capitalisée ou convertie en un deuxième capital additionnel, rend une plus-value de deux mille francs, et ainsi de suite.
Nous faisons ici abstraction de l'aliquote de plus-value mangée par le capitaliste. Peu nous importe aussi pour le moment que les capitaux additionnels s'ajoutent comme incréments au capital primitif ou s'en séparent et fonctionnent indépendamment, qu'ils soient exploités par le même individu qui les a accumulés, ou transférés par lui à d'autres mains. Seulement il ne faut pas oublier que côte à côte des capitaux de nouvelle formation, le capital primitif continue à se reproduire et à produire de la plus-value et que cela s'applique de même à chaque capital accumulé par rapport au capital additionnel qu'il a engendré à son tour.
Le capital primitif s'est formé par l'avance de deux cent cinquante mille francs. D'où l'homme aux écus a t il tiré cette richesse ? De son propre travail ou de celui de ses aïeux, nous répondent tout d'une voix les porte parole de l'économie politique [4], et leur hypothèse semble en effet la seule conforme aux lois de la production marchande.
Il en est tout autrement du capital additionnel de cinquante mille francs. Sa généalogie nous est parfaitement connue. C'est de la plus-value capitalisée. Dès son origine il ne contient pas un seul atome de valeur qui ne provienne du travail d'autrui non payé. Les moyens de production auxquels la force ouvrière additionnelle est incorporée, de même que les subsistances qui la soutiennent, ne sont que des parties intégrantes du produit net, du tribut arraché annuellement à la classe ouvrière par la classe capitaliste. Que celle-ci, avec une quote-part de ce tribut, achète de celle-là un surplus de force, et même à son juste prix, en échangeant équivalent contre équivalent, cela revient à l'opération du conquérant tout prêt à payer de bonne grâce les marchandises des vaincus avec l'argent qu'il leur a extorqué.
Si le capital additionnel occupe son propre producteur, ce dernier, tout en continuant à mettre en valeur le capital primitif, doit racheter les fruits de son travail gratuit antérieur par plus de travail additionnel qu'ils n'en ont coûté. Considéré comme transaction entre la classe capitaliste et la classe ouvrière, le procédé reste le même quand, moyennant le travail gratuit des ouvriers occupés, on embauche des ouvriers supplémentaires. Le nouveau capital peut aussi servir à acheter une machine, destinée à jeter sur le pavé et à remplacer par un couple d'enfants les mêmes hommes auxquels il a dû sa naissance. Dans tous les cas, par son surtravail de cette année, la classe ouvrière a créé le capital additionnel qui occupera l'année prochaine du travail additionnel [5], et c'est ce qu'on appelle créer du capital par le capital.
L'accumulation du premier capital de cinquante mille francs présuppose que la somme de deux cent cinquante mille francs, avancée comme capital primitif, provient du propre fonds de son possesseur, de son « travail primitif ». Mais le deuxième capital additionnel de dix mille francs ne présuppose que l'accumulation antérieure du capital de cinquante mille francs, celui-là n'étant que la plus-value capitalisée de celui-ci. Il s'ensuit que plus le capitaliste a accumulé, plus il peut accumuler. En d'autres termes : plus il s'est déjà approprié dans le passé de travail d'autrui non payé, plus il en peut accaparer dans le présent. L'échange d'équivalents, fruits du travail des échangistes, n'y figure pas même comme trompe-l’œil.
Ce mode de s'enrichir qui contraste si étrangement avec les lois primordiales de la production marchande, résulte cependant, il faut bien le saisir, non de leur violation, mais au contraire de leur application. Pour s'en convaincre, il suffit de jeter un coup d’œil rétrospectif sur les phases successives du mouvement qui aboutit à l'accumulation.
En premier lieu nous avons vu que la transformation primitive d'une somme de valeurs en capital se fait conformément aux lois de l'échange. L'un des échangistes vend sa force de travail que l'autre achète. Le premier reçoit la valeur de sa marchandise dont conséquemment l'usage, le travail, est aliéné au second. Celui-ci convertit alors des moyens de production qui lui appartiennent à l'aide d'un travail qui lui appartient en un nouveau produit qui de plein droit va lui appartenir.
La valeur de ce produit renferme d'abord celle des moyens de production consommés, mais le travail utile ne saurait user ces moyens sans que leur valeur passe d'elle-même au produit, et, pour se vendre, la force ouvrière doit être apte à fournir du travail utile dans la branche d'industrie où elle sera employée.
La valeur du nouveau produit renferme en outre l'équivalent de la force du travail et une plus-value. Ce résultat est dû à ce que la force ouvrière, vendue pour un temps déterminé, un jour, une semaine, etc., possède moins de valeur que son usage n'en produit dans le même temps. Mais en obtenant la valeur d'échange de sa force, le travailleur en a aliéné la valeur d'usage, comme cela a lieu dans tout achat et vente de marchandise.
Que l'usage de cet article particulier, la force de travail, soit de fournir du travail et par là de produire de la valeur, cela ne change en rien cette loi générale de la production marchande. Si donc la somme de valeurs avancée en salaires se retrouve dans le produit avec un surplus, cela ne provient point d'une lésion du vendeur, car il reçoit l'équivalent de sa marchandise, mais de la consommation de celle-ci par l'acheteur.
La loi des échanges ne stipule l'égalité que par rapport à la valeur échangeable des articles aliénés l'un contre l'autre, mais elle présuppose une différence entre leurs valeurs usuelles, leurs utilités, et n'a rien à faire avec leur consommation qui commence seulement quand le marché est déjà conclu.
La conversion primitive de l'argent en capital s'opère donc conformément aux lois économiques de la production marchande et au droit de propriété qui en dérive.
Néanmoins elle amène ce résultat :
Que le produit appartient au capitaliste et non au producteur;
Que la valeur de ce produit renferme et la valeur du capital avancé et une plus-value qui coûte du travail à l'ouvrier, mais rien au capitaliste, dont elle devient la propriété légitime;
Que l'ouvrier a maintenu sa force de travail et peut la vendre de nouveau si elle trouve acheteur.
La reproduction simple ne fait que répéter périodiquement la première opération; à chaque reprise elle devient donc à son tour conversion primitive de l'argent en capital. La continuité d'action d'une loi est certainement le contraire de son infraction. « Plusieurs échanges successifs n'ont fait du dernier que le représentant du premier [6]. »
Néanmoins nous avons vu que la simple reproduction change radicalement le caractère du premier acte, pris sous son aspect isolé. « Parmi ceux qui se partagent le revenu national, les uns (les ouvriers) y acquièrent chaque année un droit nouveau par un nouveau travail, les autres (les capitalistes) y ont acquis antérieurement un droit permanent par un travail primitif [7]. » Du reste, ce n'est pas seulement en matière de travail que la primogéniture fait merveille.
Qu'y a t il de changé quand la reproduction simple vient à être remplacée par la reproduction sur une échelle progressive, par l'accumulation ?
Dans le premier cas, le capitaliste mange la plus-value tout entière, tandis que dans le deuxième, il fait preuve de civisme en n'en mangeant qu'une partie pour faire argent de l'autre.
La plus-value est sa propriété et n'a jamais appartenu à autrui. Quand il l'avance il fait donc, comme au premier jour où il apparut sur le marché, des avances tirées de son propre fonds quoique celui-ci provienne cette fois du travail gratuit de ses ouvriers. Si l'ouvrier B est embauché avec la plus-value produite par l'ouvrier A, il faut bien considérer, d'un côté, que la plus-value a été rendue par A sans qu'il fût lésé d'un centime du juste prix de sa marchandise et que, de l'autre côté, B n'a été pour rien dans cette opération. Tout ce que celui-ci demande et qu'il a le droit de demander, c'est que le capitaliste lui paye la valeur de sa force ouvrière. « Tous deux gagnaient encore; l'ouvrier parce qu'on lui avançait les fruits du travail (lisez du travail gratuit d'autres ouvriers) avant qu'il fût fait (lisez avant que le sien eût porté de fruit); le maître, parce que le travail de cet ouvrier valait plus que le salaire (lisez : produit plus de valeur que celle de son salaire) [8]. »
Il est bien vrai que les choses se présentent sous un tout autre jour, si l'on considère la production capitaliste dans le mouvement continu de sa rénovation et qu'on substitue au capitaliste et aux ouvriers individuels la classe capitaliste et la classe ouvrière. Mais c'est appliquer une mesure tout à fait étrangère à la production marchande.
Elle ne place vis-à-vis que des vendeurs et des acheteurs, indépendants les uns des autres et entre qui tout rapport cesse à l'échéance du terme stipulé par leur contrat. Si la transaction se répète, c'est grâce à un nouveau contrat, si peu lié avec l'ancien que c'est pur accident que le même vendeur le fasse avec le même acheteur plutôt qu'avec tout autre.
Pour juger la production marchande d'après ses propres lois économiques, il faut donc prendre chaque transaction isolément, et non dans son enchaînement, ni avec celle qui la précède, ni avec celle qui la suit. De plus, comme ventes et achats se font toujours d'individu à individu, il n'y faut pas chercher des rapports de classe à classe.
Si longue donc que soit la filière de reproductions périodiques et d'accumulations antérieures par laquelle le capital actuellement en fonction ait passé, il conserve toujours sa virginité primitive. Supposé qu'à chaque transaction prise à part les lois de l'échange s'observent, le mode d'appropriation peut même changer de fond en comble sans que le droit de propriété, conforme à la production marchande, s'en ressente. Aussi est il toujours en vigueur, aussi bien au début, où le produit appartient au producteur et où celui-ci, en donnant équivalent contre équivalent, ne saurait s'enrichir que par son propre travail, que dans la période capitaliste, où la richesse est accaparée sur une échelle progressive grâce à I'appropriation successive du travail d'autrui non payé [9].
Ce résultat devient inévitable dès que la force de travail est vendue librement comme marchandise par le travailleur lui-même. Mais ce n'est aussi qu'à partir de ce moment que la production marchande se généralise et devient le mode typique de la production, que de plus en plus tout produit se fait pour la vente et que toute richesse passe par la circulation. Ce n'est que là où le travail salarié forme la base de la production marchande que celle-ci non seulement s'impose à la société, mais fait, pour la première fois, jouer tous ses ressorts. Prétendre que l'intervention du travail salarié la fausse revient à dire que pour rester pure la production marchande doit s'abstenir de se développer. A mesure qu'elle se métamorphose en production capitaliste, ses lois de propriété se changent nécessairement en lois de l'appropriation capitaliste. Quelle illusion donc que celle de certaines écoles socialistes qui s'imaginent pouvoir briser le régime du capital en lui appliquant les lois éternelles de la production marchande !
On sait que le capital primitivement avancé, même quand il est dû exclusivement aux travaux de son possesseur, se transforme tôt ou tard, grâce à la reproduction simple, en capital accumulé ou plus-value capitalisée. Mais, à part cela, tout capital avancé se perd comme une goutte dans le fleuve toujours grossissant de l'accumulation. C'est là un fait si bien reconnu par les économistes qu'ils aiment à définir le capital : « une richesse accumulée qui est employée de nouveau à la production d'une plus-value [10] », et le capitaliste : « le possesseur du produit net [11] ». La même manière de voir s'exprime sous cette autre forme que tout le capital actuel est de l'intérêt accumulé ou capitalisé, car l'intérêt n'est qu'un fragment de la plus-value. « Le capital, dit I'Economiste de Londres, avec l'intérêt composé de chaque partie de capital épargnée, va tellement en grossissant que toute la richesse dont provient le revenu dans le monde entier n'est plus depuis longtemps que l'intérêt du capitaI [12]. » L'Economiste est réellement trop modéré. Marchant sur les traces du docteur Price, il pouvait prouver par des calculs exacts qu'il faudrait annexer d'autres planètes à ce monde terrestre pour le mettre à même de rendre au capital ce qui est dû au capital.
Les marchandises que le capitaliste achète, avec une partie de la plus-value, comme moyens de jouissance, ne lui servent pas évidemment de moyens de production et de valorisation [1]; le travail qu'il paie dans le même but n'est pas non plus du travail productif. L'achat de ces marchandises et de ce travail, au lieu de l'enrichir, l'appauvrit d'autant. Il dissipe ainsi la plus-value comme revenu, au lieu de la faire fructifier comme capital.
En opposition à la noblesse féodale, impatiente de dévorer plus que son avoir, faisant parade de son luxe, de sa domesticité nombreuse et fainéante, l'économie politique bourgeoise devait donc prêcher l'accumulation comme le premier des devoirs civiques et ne pas se lasser d'enseigner que, pour accumuler, il faut être sage, ne pas manger tout son revenu, mais bien en consacrer une bonne partie à l'embauchage de travailleurs productifs, rendant plus qu'ils ne reçoivent.
Elle avait encore à combattre le préjugé populaire qui confond la production capitaliste avec la thésaurisation et se figure qu'accumuler veut dire ou dérober à la consommation les objets qui constituent la richesse, ou sauver l'argent des risques de la circulation. Or, mettre l'argent sous clé est la méthode la plus sûre pour ne pas le capitaliser, et amasser des marchandises en vue de thésauriser ne saurait être que le fait d'un avare en délire [2]. L'accumulation des marchandises, quand elle n'est pas un incident passager de leur circulation même, est le résultat d'un encombrement du marché ou d'un excès de production [3].
Le langage de la vie ordinaire confond encore l'accumulation capitaliste, qui est un procès de production, avec deux autres phénomènes économiques, savoir : l'accroissement des biens qui se trouvent dans le fonds de consommation des riches et ne s'usent que lentement [4], et la formation de réserves ou d'approvisionnements, fait commun à tous les modes de production.
L'économie politique classique a donc parfaitement raison de soutenir que le trait le plus caractéristique de l'accumulation, c'est que les gens entretenus par le produit net doivent être des travailleurs productifs et non des improductifs [5]. Mais ici commence aussi son erreur. Aucune doctrine d'Adam Smith n'a autant passé à l'état d'axiome indiscutable que celle-ci : que l'accumulation n'est autre chose que la consommation du produit net par des travailleurs productifs ou, ce qui revient au même, que la capitalisation de la plus-value n'implique rien de plus que sa conversion en force ouvrière.
Ecoutons, par exemple, Ricardo :
« On doit comprendre que tous les produits d'un pays sont consommés, mais cela fait la plus grande différence qu'on puisse imaginer, qu'ils soient consommés par des gens qui produisent une nouvelle valeur ou par d'autres qui ne la reproduisent pas. Quand nous disons que du revenu a été épargné et joint au capital, nous entendons par là que la portion du revenu qui s'ajoute au capital est consommée par des travailleurs productifs au lieu de l'être par des improductifs. Il n'y a pas de plus grande erreur que de se figurer que le capital soit augmenté par la non consommation [6]. »
Il n'y a pas de plus grande erreur que de se figurer que « la portion du revenu qui s'ajoute au capital soit consommée par des travailleurs productifs ». D'après cette manière de voir, toute la plus-value transformée en capital deviendrait capital variable, ne serait avancée qu'en salaires. Au contraire, elle se divise, de même que la valeur capital dont elle sort, en capital constant et capital variable, en moyens de production et force de travail. Pour se convertir en force de travail additionnelle, le produit net doit renfermer un surplus de subsistances de première nécessité, mais, pour que cette force devienne exploitable, il doit en outre renfermer des moyens de production additionnels, lesquels n'entrent pas plus dans la consommation personnelle des travailleurs que dans celle des capitalistes.
Comme la somme de valeurs supplémentaire, née de l'accumulation, se convertit en capital de la même manière que tout autre somme de valeurs, il est évident que la doctrine erronée d'Adam Smith sur l'accumulation ne peut provenir que d'une erreur fondamentale dans son analyse de la production capitaliste. En effet, il affirme que, bien que tout capital individuel se divise en partie constante et partie variable, en salaires et valeur des moyens de production, il n'en est pas de même de la somme des capitaux individuels, du capital social. La valeur de celui-ci égale, au contraire, la somme des salaires qu'il paie, autrement dit, le capital social n'est que du capital variable.
Un fabricant de drap, par exemple, transforme en capital une somme de deux cent mille francs. Il en dépense une partie à embaucher des ouvriers tisseurs, l'autre à acheter de la laine filée, des machines, etc. L'argent, ainsi transféré aux fabricants des filés, des machines, etc., paie d'abord la plus-value contenue dans leurs marchandises, mais, cette déduction faite, il sert à son tour à solder leurs ouvriers et à acheter des moyens de production, fabriqués par d'autres fabricants, et ainsi de suite. Les deux cent mille francs avancés par le fabricant de draps sont donc peu à peu dépensés en salaires, une partie par lui-même, une deuxième partie par les fabricants chez lesquels il achète ses moyens de production, et ainsi de suite, jusqu'à ce que toute la somme, à part la plus-value successivement prélevée, soit entièrement avancée en salaires, ou que le produit représenté par elle soit tout entier consommé par des travailleurs productifs.
Toute la force de cet argument gît dans les mots : « et ainsi de suite », qui nous renvoient de Caïphe à Pilate sans nous laisser entrevoir le capitaliste entre les mains duquel le capital constant, c'est à dire la valeur des moyens de production, s'évanouirait finalement. Adam Smith arrête ses recherches précisément au point où la difficulté commence [7].
La reproduction annuelle est un procès très facile à saisir tant que l'on ne considère que le fonds de la production annuelle, mais tous les éléments de celle-ci doivent passer par le marché. Là les mouvements des capitaux et des revenus personnels se croisent, s'entremêlent et se perdent dans un mouvement général de déplacement la circulation de la richesse sociale qui trouble la vue de l'observateur et offre à l'analyse des problèmes très compliqués [8]. C'est le grand mérite des physiocrates d'avoir les premiers essayé de donner, dans leur tableau économique, une image de la reproduction annuelle telle qu'elle sort de la circulation. Leur exposition est à beaucoup d'égards plus près de la vérité que celle de leurs successeurs.
Après avoir résolu toute la partie de la richesse sociale, qui fonctionne comme capital, en capital variable ou fonds de salaires, Adam Smith aboutit nécessairement à son dogme vraiment fabuleux, aujourd'hui encore la pierre angulaire de l'économie politique, savoir : que le prix nécessaire des marchandises se compose de salaire, de profit (l'intérêt y est inclus), et de rente foncière, en d'autres termes, de salaire et de plus-value. Partant de là, Storch a au moins la naïveté d'avouer que : « Il est impossible de résoudre le prix nécessaire dans ses éléments simples [9] ».
Enfin, cela va sans dire, l'économie politique n'a pas manqué d'exploiter, au service de la classe capitaliste, cette doctrine d'Adam Smith : que toute la partie du produit net qui se convertit en capital est consommée par la classe ouvrière.