Il faut aussi savoir que cette inflation normative, en plus de pourrir la vie des Français, nécessite un nombre accru de fonctionnaires. En effet, plus il y a de normes, plus il y a besoin de fonctionnaires pour les faire appliquer.
Les normes répondent souvent à des besoins. On ne va pas les supprimer toutes. Mais il y a beaucoup de normes qui doublonnent, ou qui sont contradictoires. Il y a aussi un enchevêtrement de compétences entre les différentes administrations.
Je vais essayer de donner quelques exemples, sur des sujets que je connais un peu, mais il y en a probablement beaucoup d'autres :
1°) En matière de droit du travail
L'article R4228-19 du Code du travail interdit aux salariés de manger sur leur lieu de travail, sauf dérogation accordée par l'Inspecteur du travail. A l'origine, il y a probablement l'idée de protéger les salariés. Mais je connais certains salariés (moi-même, par le passé) qui sont très contents de manger le midi à leur bureau. Si l'employeur était pointilleux, il devrait le leur interdire, ou alors solliciter un Inspecteur du travail qui a peut-être autre chose à faire.
2°) En matière de droit de l'urbanisme
Chaque commune doit normalement élaborer son document d'urbanisme (plan local d'urbanisme ou carte communale). La grande majorité des communes françaises est déjà dotée d'un document d'urbanisme. Mais il arrive souvent qu'une commune soit amenée à modifier son document d'urbanisme.
Depuis le 16 octobre 2021, toute commune qui entreprendrait un nouveau plan local d'urbanisme doit inclure dans ce document une évaluation environnementale, qui s'ajoute au plan d'aménagement et de développement durable déjà en vigueur depuis de nombreuses années.
Mais il faut savoir qu'il y a d'autres documents d'urbanisme qui existent, élaborés par d'autres collectivités locales. Et il y a une hiérarchie des normes à respecter. C'est-à-dire que le document d'urbanisme élaboré par la commune (plan local d'urbanisme ou carte communale) doit être conforme au Schéma de cohérence territoriale (SCOT) élaboré par la communauté de communes, qui lui-même doit être conforme au Schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), élaboré, comme son nom l'indique, par la région. Tous ces documents devront bientôt être modifiés dans les prochaines années pour tenir compte des dernières évolutions législatives. Si une commune entreprend aujourd'hui de modifier son PLU ou sa carte communale, alors même que le SCOT et le SRADDET dont elle dépend n'ont pas encore été modifiés, elle devra à nouveau modifier son document une fois que le SCOT et le SRADDET auront été modifiés.
Et comme si ça ne suffisait pas, il faut aussi savoir qu'avant le 22 août 2022, chaque EPCI devra entreprendre un inventaire de l'ensemble des zones d'activités économiques présentes sur son territoire, et le finaliser avant le 22 août 2024.
Tous ces documents sont réalisés selon des procédures assez lourdes, avec des enquêtes publiques, des études d'impact diverses et variées. A chaque fois, les collectivités locales concernées doivent solliciter les services de cabinets de conseil. Autant de contraintes administratives qui coûtent cher. A-t-on besoin de tout ça ? Bien sûr, il y a probablement des préoccupations environnementales derrière tout ça. Mais si toutes ces normes empêchaient le mitage des terres agricoles et l'urbanisation anarchique, ça se saurait. Une rationalisation serait bienvenue, sans pour autant impacter négativement l'environnement.
3°) En matière fiscale :
Le calcul de la taxe d'habitation et de la taxe foncière repose, nous le savons, sur la valeur locative des logements. Dans chaque centre des impôts, il y a donc des équipes de fonctionnaires chargés de mettre à jour régulièrement la base de données des valeurs locatives. Ces équipes envoient de temps en temps des courriers aux contribuables suspectés d'avoir fait des travaux, elles adressent des notifications aux mairies qui doivent répondre en respectant des délais, etc. Ensuite, il y a la procédure de mise en recouvrement : édition des avis de taxe d'habitation, des avis de taxe foncière, etc. Si on intégrait ces deux impôts à l'impôt sur le revenu, cela ferait des tâches en moins pour des fonctionnaires qui dont pourraient être affectés à des tâches plus utiles. Et il y a bien d'autres taxes absurdes qui rapportent peu, qui nécessitent des fonctionnaires pour leur calcul et leur recouvrement, et qu'on pourrait supprimer sans trop de traumatisme pour la population. Lire CECI ou CECI, par exemple.
4°) En matière de droit des successions :
Lorsque les héritiers ont été désignés par le défunt dans un testament olographe, le notaire chargé de la succession doit adresser une copie figurée du testament au Greffe du Tribunal judiciaire, qui doit lui en accuser réception. A la base, il y a probablement un souci de sécurité juridique derrière tout ça. Mais on peut penser que, s'il y a un notaire, il a fait son boulot et vérifié la validité du testament. Le contrôle des testaments constitue une tâche probablement bien inutile pour les greffiers, qui ont probablement autre chose de plus utile à faire.
5°) En matière de marchés publics :
Les procédures sont longues et complexes, et elles génèrent souvent des gaspillages d'argent public. Voir la très pertinente analyse d'Alain Lambert.
= En résumé, on ne dit pas qu'il faut tout supprimer, on dit que, pour arriver à un même objectif, il y a trop de normes, redondantes, superfétatoires, parfois contradictoires, qui coûtent cher et pourrissent la vie des Français.