(1) La genèse de l'économie politique du prostitutionnel
Tout a commencé dans la Cité antique, avec le chrématistique qui est l'art de s'enrichir, activité pour laquelle
Aristote manifeste peu de considération. En même temps, apparaît « le plus vieux métier du monde ».
Le profit, prix de lapasse ?
La prostituée est « la marchandise-clé » de l'économie politique parallèle et souterraine. Elle est à l'origine de
Pengendrement réciproque du marché et du désir.
Et le proxénète ? Le dernier des métiers ?
Vous posez le problème : est-ce l'homme qui vend lafemme ou la femme qui se vend ? Pour répondre, il faut
proposer un préalable méthodologique : l'interprétation contradictoire. Il s'agit de faire apparaître l'aporie constitutive de l'idéologie, de reconstituer la contradiction qu'elle met en place et d'éliminer la fausse question. Cette méthode interviendra constamment dans notre entretien.
Il faut - méthodologie exige - renvoyer les deux thèses dos à dos et ne considérer que la résultante en son ambiguïté
constitutive : dans les deux cas, il y a consommation libidinale caractérisée, référentielle. Le plaisir s'achète, le désir est un marché : Albéric fait de l'or du Rhin le prix du plaisir ; la femme a valeur originelle de marchandise.
La prostituée est la marchandise idéale du marché du désir. Elle ne coûte rien, au marchand, à l'entremetteur, au
souteneur, au taulier. La matière première - la chair — est inépuisable, toujours renouvelée, toujours disponible. Il
suffit de la mettre en valeur, en plus value. Elle ne nécessite aucun investissement en main d'oeuvre ou équipement. Mais
cette marchandise qui ne coûte rien peut rapporter beaucoup.
La prostitution est une bien mauvaise affaire pour la femme : si nous avons, en termes de méthodologie, renvoyé
dos à dos le plus vieux et le dernier métier, c'est pour mieux préciser le genre d'aliénation dont la femme est victime.
C'est une réification, une aliénation, une servitude.
Le marché du désir est l'envers de l'économie politique. Il révèle ce qui doit être exclu pour constituer l'économie
politique licite et normative. C'est le marché qui décide de l'interdit. C'est qu'il doit exclure la marchandise
prostitutionnelle. Alors, il peut se déployer dans l'espace du sérieux, de la production, du besoin : l'économie politique
des économistes anglais et... de Marx.
Mais la marchandise prostitutionnelle n'est pas pour autant rejetée et anéantie, abolie ou dépassée. Tout au
contraire : elle se fait clandestine, une autre économie, souterraine, celle qui se constitue par l'engendrement
réciproque de l'incivisme et du consumérisme. Elle constitue l'inconscient : ce qu'il ne faut pas savoir, qui doit même être
nié, pour que la production matérielle puisse se développer.
Alors se constituent deux univers parallèles qui doivent s'ignorer. Celui du marché licite, de l'économie domestique,
qui commence aux Pénates, se développe sous la direction de la matrone et de la ménagère de moins de cinquante ans et qui s'achève par l'accession aux biens d'équipement des ménages qui peuvent même atteindre le confort. En dessous,
le marché de la consommation mondaine, ludique, libidinale, marginale.
Celui que vous avez défini dans « Le Capitalisme de la Séduction » ?
En effet, « Le Capitalisme de la Séduction » est l'analyse du développement du libéralisme libertaire. Et de cette
caractéristique nouvelle : le libéralisme libertaire accède à deux systèmes de profit. C'est une opération dialectique qui
révèle et accomplit l'essence du capitalisme.
Première opération : exclusion, contradiction. C'est la mise en place de la dualité des deux économies politiques,
comme contradiction de la prostituée et de la femme honnête. C'est la constitution du « marché du vice » et du
marché de la vie domestique. Deux univers juxtaposés, la double vie de la marchandise.
Deuxième opération : l'inclusion, la réintroduction de ce qui a été « refoulé », rejeté. C'est l'ordre social lui-même qui
se fait le vecteur de cette opération. Ce n'est plus la contradiction du vice et de la vertu ; ce sera l'engendrement
réciproque du narcissisme et de l'économie de marché.
Ces deux opérations constituent la légalité, la légitimité, le normatif: le prostitutionnel n'est-il pas écarté, la
marchandise prostitutionnelle exclue ? L'hypocrisie se fait mauvaise foi — sartrienne - et économie de marché. Ainsi se
constituent la conscience et le marché. La religion et la morale seront les traductions idéologiques de cette
constitution originelle de la marchandise. Mais l'économie politique, en donnant un prix à chaque chose crée aussi la chose sans prix, donc hors marché. Il y aura la femme qui a son prix et « l'honnête femme » qui prend la valeur de ce qui
n'a pas de prix.
C'est dans cet univers que Narcisse doit vivre le mimétisme concurrentiel : sa consommation libidinale,
ludique, marginale doit s'accomplir selon la transgression constitutive du marché du désir.
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Il en est de même pour Don Juan. Son « brevet » de personnage subversif peut être retourné. Écoutez le chant de
la lavandière : «Le saviez-vous, le hussard de la garde, eh bien ma chère, il était mon amant ». La partenaire de Don
Juan peut se vanter « d'avoir fait » Don Juan. C'est un brevet de séduction, d'appellation contrôlée ; elle fait partie du
catalogue.
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La femme pourvoit à la gratification narcissique. Narcisse cherche la preuve de sa beauté à lui, valeur de son image. La
femme la lui apporte : « Il a fait ma conquête ». Elle se fait alors pouvoir sur l'homme, dans la mesure où l'homme croit
la séduire.
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Don Juan serait le manipulé de base, l'homme de paille qui met en scène et en pratique le pouvoir de la féminité !
C'est ce jeu du désir qui est à l'origine du « mondain », catégorie nécessaire à la connaissance du libéralisme libertaire.