[supprimé] Maurras était un abruti germanophobe primaire
Mon instinct anti-germaniste
"Je parle d'abord de ce qu'il y a en moi d'instinct profondément anti-germaniste .
Je suis né le 20 avril 1868, en Provence, à Martigues (Bouches-du-Rhône), un peu plus de deux ans avant la guerre de 1870, bien loin de son théâtre, mais la répercussion en fut immense en moi et autour de moi. Tous mes lecteurs habituels savent que les souvenirs de ma petite enfance remontent très loin. Je suis sûr, ici, de n'être dupe d'aucun mirage. Je vois encore dans le bureau de mon père les portraits de l'empereur, de l'impératrice et du petit prince. Ce ne pouvait être qu'avant le mois de mai 1871 où l'on m'emmenait à la campagne ; au retour, après le Quatre-Septembre, je ne revois plus ces portraits. Dans le trajet, il me souvient parfaitement d'avoir traversé Marseille, par un jour d'émeute sur la Plaine Saint-Michel ; mon père était venu nous chercher précipitamment à Roquevaire, ma mère et moi, afin d'être tous réunis en cas de désordre. Les semaines suivantes, je vois mon père rapporter de la Mairie les mauvaises dépêches, et mon père et ma mère, front contre front, les yeux en larmes, suivre sur la carte les progrès de l'invasion, dans un atlas brun que j'appelais« Le Live des Pussiens ».
Je vois, au delà du canal, sur le Cours, la garde nationale faisant ses exercices, commandée par mon parrain, le professeur d'hydrographie, et dont le commis de mon père, nommé Corneille, était le clairon.
Je vois un peu plus tard, à la maison, la halte des mobiles que l'on embarquait pour réprimer l'insurrection algérienne et je me vois touchant avec respect les shakos, les gibernes et les ceinturons dénoués.
Ces souvenirs m'ont obsédé. Ils sont les seules tristesses de ma petite enfance, entourée, turbulente et gaie. Ce coin est bien le seul qui fût voilé d'un crêpe qui a pesé sur toute ma vie. En 1943, devant les sentinelles allemandes aux fusils braqués sur nos ponts, je disais à mes concitoyens :
— Voilà réalisé le cauchemar de mon existence. J'ai toujours redouté qu'ils ne viennent en Provence, jusqu'à Martigues.
L'antagonisme des Français et des Allemands a dominé ma jeunesse.
Dans les familles les plus paisibles, on ne donnait pas à un marmot de sabre de fer blanc qui ne fût destiné à planter le drapeau français sur les murs de Berlin.
Arrivé à Aix pour y commencer ma huitième, j'eus un vrai coup de foudre en apprenant que mon professeur allait être un Lorrain, le propre beau-frère de l'abbé Wetterlé qui, lui-même, un peu plus tard, devait venir surveiller nos études et nos cours de récréation pendant quelques mois.
Des Lorrains !… Et qui avaient opté pour la France !…
Dans la maison où nous avions loué le premier étage, une famille de Messins, réfugiés pour la même raison, habitait le second et le troisième. Leur contact nous émut par la dignité du foyer, sa gaîté charmante et simple, son esprit religieux et national, son ardente fidélité au paradis perdu. Le vieux père, la vieille mère, leur fille, leur fils, se ressemblaient par les mêmes traits ; il fallait les voir réunis, un jour entre les jours, graves, sombres, commémorant la capitulation de leur belle ville inviolée ; on tirait d'un petit coffret certain objet mystérieux, enveloppé d'étoffe précieuse, et qu'on démaillottait avec respect ; un morceau de « pain du siège » apparaissait, tout noir. Après six ans, sept ans, il était devenu plus dur que la pierre. La relique sacrée !… On la prenait en main, chacun la saluait et la caressait, les femmes avec des larmes, les hommes avec le dur accent d'un regard plein de foi… Car toutes les années qui suivirent, ce fut aussi, dans notre escalier, au temps des congés militaires, le même gai fracas des sabres contre l'éperon de Saint-Cyr ou de Polytechnique annonçant l'avenir des fils, tous officiers.
Je me destinais à l'École Navale. Devenu sourd à quatorze ans, il y fallut renoncer. Le plus dur fut, il m'en souvient bien, de quitter mon vieux rêve d'aller canonner quelque port allemand et traquer, dans la mer du Nord ou en Baltique, cette entrée du canal de Kiel que l'on commençait à construire avec les milliards de notre indemnité !
Vers 1882, quand Jules Ferry conseilla de ne pas nous hypnotiser sur « la ligne bleue des Vosges », ce fut un scandale que les adolescents de mon âge ressentirent très vivement. Quoique riverains de la mer, ils étaient contre la politique coloniale, pour la politique de recueillement, en vue de la reprise des provinces perdues. L'Alsace-Lorraine avant tout !… Ce fut le mot d'ordre général.
Vers 1882, quand Jules Ferry conseilla de ne pas nous hypnotiser sur « la ligne bleue des Vosges », ce fut un scandale que les adolescents de mon âge ressentirent très vivement. Quoique riverains de la mer, ils étaient contre la politique coloniale, pour la politique de recueillement, en vue de la reprise des provinces perdues. L'Alsace-Lorraine avant tout !… Ce fut le mot d'ordre général.
J'emportai à Paris ce bagage moral. "