Le Dilemme turc, ou les vrais enjeux de la candidature d’Ankara
Alexandre del Valle et Emmanuel Razavi le 07/09/2005
Bien que la Turquie refuse toujours de reconnaître la République de Chypre et occupe le nord de l’île, soit une partie de l’Union européenne, les chefs d’État de l’UE, Tony Blair en tête et la Commission de Bruxelles, s’apprêtent à ouvrir les négociations d’adhésion de la Turquie à l’Europe, le 3 octobre 2005, ainsi que cela a été convenu lors du sommet de Bruxelles du 17 décembre 2004.
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Il est vrai que la Grande Bretagne, qui préside l’Union depuis le 1er juillet 2005, a fait de l’adhésion de la Turquie dans l’Europe l’une de ses priorités, en dépit même des réticences grandissantes formulées ces derniers mois par la France, la Grèce, Chypre et l’Autriche. A cet égard, les récentes déclarations pour le moins réticentes vis-à-vis de la Turquie et de l’élargissement, de Jacques Chirac et de son Premier Ministre Dominique de Villepin, ont permis de relancer le débat sur la Turquie et de prendre conscience que rien n’est encore irréversible, le veto d’un seul Etat pouvant à tout moment suffire à compromettre l’adhésion d’Ankara.
Il est vrai que plus que tout autre nouveau candidat à l’entrée dans l’Union européenne, la Turquie pose à l’Europe un réel problème existentiel : étant donné que la Turquie n’est pas européenne, ou du moins qu’il s’agit du premier Etat candidat dont l’européanité est plus que discutée, la candidature turque oblige pour la première fois l’UE à se poser de vraies questions géopolitiques concernant son identité, ses limites géographiques et civilisationnelles, son avenir, son développement et son projet.
Le débat relancé sur la Turquie dans l’Europe est également une formidable occasion offerte à ce pays, pont entre l’Orient et l’Occident, pour faire le point sur lui-même, sur son identité, ambivalente et complexe. Car la Turquie est fondamentalement un pays déchiré, entre, d’une part, un Ouest prospère et une élite occidentalisée adhérant plus ou moins à l’idéologie officielle laïque héritée du Kémalisme, puis, d’autre part, un Est-anatolien islamo-asiatique majoritaire, tourné vers le Moyen-Orient. Ces « deux faces de Janus » de la Turquie ayant toutes deux voté pour un parti politique islamo-conservateur, durablement ancré dans la vie politique du pays depuis 2002 et issu d’un mouvement islamiste radical en progression constante depuis les années 80...
Dans le contexte international de la lutte contre le terrorisme islamiste, et après les terribles attentats de Madrid puis de l’été 2005 à Istanbul, à Londres et à Charm al Cheikh, cette Turquie à la fois candidate à l’UE et de plus en plus sensible aux sirènes de l’islam politique, ne cesse d’inquiéter non seulement les opposants à sa candidature et les Européens en général, mais aussi les forces vives militaro-kémalistes qui craignent que les Islamistes utilisent les réformes démocratiques européennes dans le but de démanteler les derniers freins à l’islamisation que sont les prérogatives politiques de l’armée et les structures du kémalisme.
Tenant compte à la fois de cette inquiétude légitime et des aspirations contradictoires des milieux politiques turcs rivaux (islamistes tactiquement pro-européens versus kémalistes-militaires de plus euro-sceptiques »), Alexandre del Valle et Emmanuel Razavi s’attachent à présenter dans ce nouvel essai un tableau concret de la Turquie, vue par elle-même, dans tous ses contours et en dehors des sentiers battus du politiquement correct ou du romantisme orientaliste : celui des élites prestigieuses et des universités tournées vers l’Occident et la démocratie, mais aussi celui d’un pays qui continue de nier le génocide arménien, qui rechigne à accorder des droits équitables aux minorités non-musulmanes, lesquelles placent de ce fait tous leurs espoirs dans l’Europe, et qui a du mal à allier respect des droits de l’homme et démocratisation. Une nation fière, au nationalisme intransigeant, qui demeure ancrée dans ses traditions anatoliennes, et dont la population se sent souvent plus proche des pays islamiques que de l’Europe chrétienne, la grande mode actuelle étant au retour de « l’ottomanisme ».
Au réalisme argumenté des réflexions géopolitiques d’Alexandre Del Valle, spécialiste reconnu, s’ajoute le regard journalistique d’Emmanuel Razavi. Les reportages et les observations sur le terrain sont alimentés par des témoignages précieux d’hommes politiques, intellectuels, et de minorités turques, rarement présentes dans le débat.
Une analyse sans concessions de la Turquie, telle qu’elle est en 2005 !
Alexandre Del Valle est chercheur en géopolitique. Il collabore régulièrement à de nombreuses publications et est l’auteur de plusieurs essais traitant de relations internationales, dont le très remarqué Totalitarisme islamiste à l’assaut des démocraties, Syrtes, 2000, et La Turquie dans l’Europe, un cheval de Troie islamiste, Syrtes, 2004.
Emmanuel Razavi est journaliste. Il collabore avec différents titres de la presse internationale en tant qu’envoyé spécial au Moyen-Orient. Il a été nominé pour le prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre pour son reportage «Afghanistan : des Français sur la piste de Ben Laden », publié par le magazine Paris-Match.