Extraits
Depuis mi-novembre 2022, les évolutions du front principal sont minimes de part et d’autre, se chiffrant à quelques km² gagnés ou perdus chaque jour pour s’emparer de villages ou de petites villes comme Bakhmut. C’est là que se décidera le sort de la guerre, mais les choses s’y passent lentement et plutôt en faveur des Russes qui grignotent inexorablement le terrain et s’approchent dangereusement d’objectifs importants, comme Pokrovsk.
N’importe quel officier d’état-major exposant à Moscou les possibilités ukrainiennes a dû forcément expliquer à ses chefs que les Ukrainiens pouvaient mener de nombreuses opérations périphériques, et qu'il aura présenté également les possibilités russes en la matière, comme par exemple l’attaque limitée dans la province de Kharkiv en mai dernier. Aussi lorsqu’une de ces attaques ukrainiennes est survenue le 6 août 2024 dans la province de Koursk, cela n’aurait dû surprendre personne. Et pourtant elle a provoqué de profondes secousses en Russie, où on imaginait sans doute cela impossible non pas militairement, mais politiquement.
L’audace ukrainienne et l’habileté technique à masquer les préparatifs d’une offensive importante ont totalement surpris les Russes. Il semble qu’outre le classique camouflage-dispersion des forces, les Ukrainiens soient parvenus à aveugler tout ou partie les capteurs russes, par drones, guerre électronique et infiltration d’équipes de rangers dont c’est peut-être le premier emploi opérationnel. Le retour de l’infanterie légère et furtive, logique dans un champ de bataille jugée transparent, est à souligner une nouvelle fois [NDR : faux, les Russes procèdent ainsi depuis plusieurs mois sur le front Est].
Le 6 août, le groupe mobile opérationnel ukrainien perce la frontière en six endroits, les faibles défenses des gardes-frontières sont rapidement débordées. Il n’est pas exclu qu’une patrouille d’avions F-16 soit également engagée en défense du ciel depuis la région de Soumy. Des frappes d’interdiction en profondeur sont planifiées pour encager autant que possible la zone d’opérations, comme celle, très destructrice, réalisée sur la base aérienne de Lipetsk le 9 août. Cette phase initiale témoigne déjà de la bonne maîtrise ukrainienne des opérations mobiles complexes et qu'ils restent visiblement supérieurs aux Russes dans le combat de manœuvre, et ont donc tout intérêt à le privilégier.
A J+6, on compte une trentaine de compagnies de manœuvre mécanisées ou de reconnaissance pour plus de 900 km², soit une trentaine de km² par unité, ce qui est considérable. Au bout d’une semaine de combat, la défense russe se densifie progressivement, avec déjà 7 brigades ou régiments signalés, alors que les brigades ukrainiennes s’éloignent de plus en plus de leurs appuis et soutiens.
Il leur sera possible de progresser quelques jours, sans imaginer pouvoir atteindre des objectifs stratégiques. On ne sait pas encore qu’elle est la décision prévue par les Ukrainiens à ce moment-là entre repli derrière la frontière, et l’opération Triangle blanc aura été un grand raid de cosaques avec le risque d’être finalement refoulé par la force et avec pertes ou installation d'une ligne défendable en territoire russe afin de conserver un gage de territoire et de créer un nouveau front fixant un grande nombre d’unités russes dans la région. On verra alors seulement si cette opération, pour l’instant un succès opérationnel très clair pour les Ukrainiens, produira des effets stratégiques importants. En clair, on verra si cette opération périphérique valait le coup alors que les choses deviennent critiques sur le front principal.