Une question s'impose : est-ce tout à fait exact de nommer le 10ème siècle "le siècle des ténèbres " de l'An Mille ?
Il est certain que dans les premiers temps du 9ème siècle, depuis la mort de Charles le Chauve, on avait assisté à un obscurcissement croissant. Il faut dire que l'élan donné par Charlemagne s'était peu à peu amorti et l'inertie des esprits redevenait la loi. Dans le chaos des invasions et des luttes fratricides, les moyens de la culture s'étaient trouvés en péril. Suite au pillage et à l'incendie, les bibliothèques des monastères avaient souvent disparu. L'échange des manuscrits avait pratiquement cesse. Rien qu'à y penser, il est surprenant que le 10ème siècle qui fut un temps obscur, ne l'ait pas été davantage. Mais fort heureusement, des îlots de culture et de pensée et d'art, ont pu subsister car, l'empreinte mise sur l'Occident par la renaissance carolingienne avait été si profonde que deux cent cinquante ans de retour à la barbarie ne purent l'effacer. Certes, l'aube douloureuse de l'An Mille était présente mais, les centres de formation intellectuelle n'avaient pas tous disparu. Dans les écoles monastiques, jeunes nobles et roturiers se coudoyaient toujours dans l'égalité chrétienne. Et vers l'An Mille, les écoles cathédrales tendaient à les supplanter. Le latin, cette langue indispensable à quiconque voulait parfaire son éducation et atteindre une haute position, était toujours en grand respect. Bien que peu nombreux et menacés, ces centres intellectuels préparaient l'avenir. Les monastères s'acharnaient toujours à copier les manuscrits, à traduire les grandes oeuvres latines. En Lorraine, pour faire plaisir à notre ami marcopolo, maintes influences se composaient, c'est là que naissait l'ancêtre latin du célèbre Roman de Renart, que je ne manquerai pas de mettre en lumière dès que possible. La bibliothèque Saint-Gall et le scriptorium étaient partout célèbres. J'ai même lu que des moines grecs y venaient pour recopier les manuscrits de leur langue. C'est dire son importance.
Donc, une activité réelle subsistait encore tout au long du 10ème siècle, laquelle ne manquera pas de s'accroître après l'An Mille, lorsque les circonstances se feront meilleures, préparant ainsi l'épanouissement prochain. Maintenant, il est un fait que cette période ne fut pas si stérile après tout, en y regardant bien. Certes, la production théologique y resta pauvre, et inférieure en science. Cela est peut-être paradoxal mais, aux pires moments du 10ème siècle, où la civilisation se débat parmi les pires menaces, des artistes travaillent, créent et inventent, exaltés par la foi. Peu après l'An Mille, les constructions religieuses se multiplièrent et de toutes parts, notre pays se revêta d'un blanc manteau d'églises.
Ces églises de l'An Mille sont émouvantes à voir et à visiter. Maints specimens nous en restent, surtout dans des coins perdus des campagnes de notre beau pays. Ces églises du 10ème siècle, sont bien sûr, encore loin d'avoir l'ornementation fastueuse que nous connaissons mais, leur beauté tient actuellement en leur nudité. Si la sculpture était encore chétive, la peinture s'est beaucoup développée. Je pense particulièrement à la peinture de verre les "vitraux". En effet, vers 980, les fenêtres de la cathédrale de Reims raconaient toutes sortes d'histoires bibliques. Déjà, de véritables bibles en images apprenaient aux fidèles les épisodes sacrés.