La France a perdu ses colonies indochinoises pas seulement en raison de facteurs militaires, mais aussi politiques, diplomatiques, économiques et socio-culturels.
Il est certain que la chute de Dien bien Phu a marqué une perte de puissance française qui n'a pas échappé aux yeux des populations colonisées. Les Etats-Unis ont fourni un soutien important en matériel et logistique et financé une grande partie de l'effort de guerre contre la menace communiste. Cependant, ils n'ont pas engagé les forces militaires nécessaires pour aider les garnisons assiégées. Ce n'est pas un blâme mais une constatation. Ce qui est surtout à blâmer, c'est l'attitude ou l'opinion publique française qui a érodé le moral de notre corps expéditionnaire.
En ce qui concerne le facteur politique, il faut se rappeler qu'en 1945, Ho Chi Minh a comblé le vide du pouvoir en offrant aux Vietnamiens leur indépendance vis-à-vis de tout étranger. L'apparition des élites vietnamiennes éduquées marque cette transformation intellectuelle, comme condition préalable à la mobilisation de masse sous la révolution. N'oublions surtout pas que la gauche française a également beaucoup inspiré Ho Chi Minh, qui revendiquait l'autorité morale pour rallier les Vietnamiens.
Sur le plan diplomatique, on peut blâmer le gouvernement français de ne pas pleinement réaliser qu'à l'époque, la pacification était terminée et que la décolonisation avait commencé. Il faut se rappeler qu;en 1944, lors de la Conférence de Brazzaville, les inspirations nationalistes vietnamiennes avaient été rejetées. Egalement important est le fait que le président Roosevelt était contre le soutien au retour du colonialisme français en Asie. Les Américains se sont souvent opposés à la France, tout en faisant tout ce qui était en leur pouvoir pour protéger Ho Chi Minh et faire avancer la cause de ses communistes vietnamiens car ce sont eux qui ont formé le VietMinh. Il y avait même un bref flirt avec l'OSS américain qui d'ailleurs s'est vite détérioré.
Le facteur économique est tout aussi important car le résultat de l'expérience coloniale française en Indochine n'a pas été la création d'une société au bord d'un développement économique rapide. Ce fut un exemple classique d'une économie duale avec un petit secteur commercial à prédominance étrangère dans les villes entourées d'une masse de paysans sans formation et souvent miséreux dans les villages. Le mécontentement dans les terres agraires et dans les zones urbanisées, a très certainement fermenté des troubles qui ont défié l'autorité française et brutalement réprimés.
Et puis, le facteur socio-culturel n'est pas à négliger car Ho Chi Minh a su étendre la notion d'une nation vietnamienne une et indivisible parmi les populations. La France a apporté les bienfaits de la civilisation en Indochine mais elle a mené une mission civilisatrice imparfaite dans cette colonie lointaine. L'Empire français est resté très centralisé et dans la majorité des cas, la France a utilisé ses propres colons et agents pour contrôler l'économie. Ce qui eu pour effet sur les Vietnamiens, de se sentir marginalisés dans leur propre société traditionnelle. Ils se sont sentis comme des citoyens de seconde classe. Et comme il fallait s'y attendre, les nationalistes n'ont pas tardé à exploiter ce sentiment de grief de longue date. Ils sont devenus des étrangers dans leur propre pays étant à la fois patronnés et subjugués par une puisssance étrangère indésirable.