Pourquoi les Français se désintéressent-ils des performances de leur pays ?
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Les Français se montrent hermétiques aux «équilibres financiers» dont le président de la République se sent légitimement responsable. Tout comme ils le sont de nos résultats économiques. On n’ose dire «macroéconomiques», tant ce mot techno est éloigné des «vraies gens» trop occupés à boucler leurs fins de mois pour se soucier des comptes de la nation. Alors que tout un chacun est obsédé par son pouvoir d’achat, «les Gaulois réfractaires au changement», comme les avait qualifiés l’hôte de l’Élysée en 2018, se désintéresseraient-ils des performances de leur pays?
Le déni d’une Réalité peu réjouissante
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«Les éléments de comparaison, qu’ils soient nationaux ou internationaux, laissent de marbre les Français», observe Philippe Crevel, le directeur du Cercle de l’épargne. «Que l’âge moyen à la retraite soit supérieur à 65 ans au sein de l’OCDE ne saurait servir d’argument pour relever celui en vigueur en France. Travailler plus est de moins en moins entendu ; quant à travailler plus pour améliorer la compétitivité du pays, cela n’a pas de sens: augmenter le nombre d’heures de travail est perçu comme un cadeau injustifié aux patrons.»
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«Entre 1995 et 2015, le pays s’est vidé de près de la moitié de ses usines et du tiers de son emploi industriel», s’alarme Nicolas Dufourcq, directeur général de la Banque publique d’investissement, dans son livre La Désindustrialisation. «Elle est couverte d’un halo de mystère», reconnaît-il. Il est stupéfiant en effet que la société française ait laissé faire cela des décennies durant. Étrange insouciance.
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Malgré un parcours politique rocambolesque depuis quarante ans - les cohabitations gauche-droite et l’effondrement des partis de gouvernement -, la politique économique a fait preuve d’une étonnante continuité. «Comparée aux autres pays de la zone euro, la France montre clairement un biais pro-consommateurs», juge Patrick Artus, le conseiller économique de Natixis. Ce tropisme en faveur des ménages s’exprime de multiples façons. Par l’importance des prestations sociales et des politiques redistributives, dans les relations entre producteurs et distributeurs favorables à ces derniers. Le but est d’avoir les prix les plus bas au profit du consommateur. Ce qu’on appelait, dans le langage des années 1980-1990, la «désinflation compétitive». L’ampleur des délocalisations d’entreprises a répondu au même objectif de «lutte contre la vie chère», le slogan des six grandes enseignes de distribution qui quadrillent l’Hexagone, occupant les friches industrielles. Tout un programme!
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Absence de projet politique depuis 1983
L’impératif du pouvoir d’achat individuel est devenu le grand projet du pays, l’ardente obligation quoi qu’il arrive. «Les Français ne sont sensibles qu’à leur sort personnel. Longtemps ils ont été obsédés par le chômage. Même si ce dernier touche encore 3 millions de personnes, il concerne des catégories spécifiques. Il n’y a plus de projet collectif, sauf l’Europe, depuis le tournant de la rigueur de François Mitterrand en 1983 et son slogan «La France est notre patrie et l’Europe notre avenir». Or, l’Europe ne touche qu’une certaine élite», regrette l’économiste Jean-Marc Daniel. Beaucoup de gens en sont restés au programme de 1981 de «Changer la vie». La retraite à 60 ans, instaurée alors, «s’est imprimée dans la rétine de générations de Français», selon l’expression de Jérôme Fourquet, le sociologue de l’Ifop. Par ailleurs, l’euro, la grande conquête de l’Europe, a été présenté chez nous comme «un bouclier nous préservant à jamais des dévaluations du franc» (Dominique Strauss-Kahn, ministre des Finances à sa création, en 1999).
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