courtial
courtial La difficulté vient de plus haut : on n'est pas très sûr de savoir ce qui distingue un ouvrier et un esclave. La question m'a beaucoup tourmenté.
J'ai lu dans Aristote, quand il parle du salaire, que cela fait de l'ouvrier un esclave à temps partiel, propos auquel je n'ai accordé aucun sens pour moi, rien pigé à ce qu'il voulait dire. Ca m'avait turlupiné à l'époque, puis j'ai oublié.
Qu'est-ce que l'esclavage ? Une relation juridique, en l'occurrence le droit de propriété d'un maître sur un serviteur, réduit à l'état d'objet animé : dans les faits, le maître l'entretient et le conserve, à sa guise, en échange de son travail.
Qu'est-ce que le salariat ? Une autre relation juridique, qui établit toujours un rapport entre un maître et un serviteur, par le contrat de travail, sorte de contrat de location pour celui qui veut réintroduire la problématique de l'esclavage : pendant un temps donné, un maître loue un autre homme, pas seulement sa force de travail comme vous dites, car on ne peut dissocier la force de travail d'un homme, de l'homme en question : un serviteur/esclave à temps partiel. Ajoutons, la plupart du temps, que le maître est aujourd'hui, une personne juridique, une abstraction : Etat, entreprises… et qu'il cache au serviteur, dans beaucoup de cas, le véritable maître ou disons plutôt une association de maîtres.
La difficulté de ces considérations repose, comme vous l'avez souligné, sur les multitudes de conditions dont il est question. Il y aurait probablement deux variétés d'esclaves ou de serviteurs à différencier : l'esclave autonome, qui au quotidien se fixe sa propre loi, participe ou coopère au projet du maître, a une tâche qui lui demande de l'intelligence ; de l'esclave que l'on force au travail, seulement par la contrainte, qui a une tâche qui n'exige quasiment aucune intelligence, condition douloureuse dans la mesure où elle constitue une insulte à la raison de la plupart des hommes. Il ne s'agit que d'une ébauche de réflexion : il faudrait développer cette distinction entre esclavage « doux » et esclavage « dur », la nuancer, établir les critères à partir des différentes conditions existantes dans telle ou telle société, à telle ou telle époque donnée, qui permettent progressivement de passer de l'un à l'autre.
En quoi le salariat est-il progrès par rapport à l'esclavage antique, pour le salarié ? Le salarié est esclave/serviteur lorsqu'il travaille pour son employeur : il commence à être esclave au début de sa journée, et cesse de l'être lorsqu'il il la termine. Dès lors, il peut avoir tous les droits de l'homme-libre : par exemple, se marier, avoir un logement… relativement à s'il est seulement homme-libre, ou citoyen, selon la cité considérée…
courtial __Pour que le possesseur d'argent trouve sur le marché la force de travail à titre de marchandise, il faut cependant que diverses conditions soient préalablement remplies. L'échange des marchandises, par lui même, n'entraine pas d'autres rapports de dépendance que ceux qui découlent de sa nature. Dans ces données, la force de travail ne peut se présenter sur le marché comme marchandise, que si elle est offerte ou vendue par son propre possesseur. Celui-ci doit par conséquent pouvoir en disposer, c'est à dire être libre propriétaire de sa puissance de travail, de sa propre personne [2]. Le possesseur d'argent et lui se rencontrent sur le marché et entrent en rapport l'un avec l'autre comme échangistes au même titre. Ils ne diffèrent qu'en ceci : l'un achète et l'autre vend, et par cela même, tous deux sont des personnes juridiquement égales.
En tant que l'homme est libre, il peut se choisir et son maître, et ses chaînes, relativement aux offres qui peuvent exister : il peut négocier son contrat. Une fois qu'il a signé son contrat, il s'est constitué salarié ou esclave à temps partiel, de telle personne juridique donnée ou entreprise ou de l'Etat, ou d'un simple maître, et il a choisi ses chaînes : une nouvelle relation naît, maître à serviteur. Rappelons de simples faits: la personne juridique en question vous paie, peut vous sanctionner, et vous virer, certes plus ou moins difficilement selon le droit du travail de la cité en question.
Chacun peut en appeler au contrat pour contraindre l'autre. De ce point de vue, le contrat lie le maître, comme le serviteur ; car par le contrat, entre dans l'équation, un troisième acteur, beaucoup plus présent que dans la cité antique : « l'Etat » ou la cité. Ainsi, il existe un droit du travail qui lie aussi le maître, souvent personne juridique, et l'employé. En résulte aussi la promesse de justice étatique : si le contrat n'est pas respecté, justice possible ; si les droits sociaux ne sont pas respectés, justice possible… Reste le cas embrouillé de l'Etat employeur…
Si effectivement, il s'agit de nouveau d'un très grand progrès, pour le salarié, si on le compare à l'esclave antique, il en résulte néanmoins un inconvénient : le maître n'a plus à se soucier des besoins de son serviteur : peu importe que le salaire permette à l'ouvrier de vivre, survivre, ou moins, il suffit que celui qui se constitue salarié l'accepte, relativement aux offres qu'il peut avoir. Ajoutons, qu'au contraire de l'esclave antique, dans la mesure où il a choisi de se constituer serviteur, a signé un contrat, il a aussi l'obligation morale, pas juridique certes, d'être productif.
Note 1: Je me permets une petite précision sur un point de mon argumentation : la diversité des conditions.
A partir des compétences ou métiers, les « sciences » à acquérir si l'on veut être plus que des bras, se dessine une hiérarchie parmi les esclaves ou serviteurs, avec des supérieurs qui commandent des inférieurs, tout en rendant compte eux-mêmes aux supérieurs, ou en bout de chaîne seulement, au maître, ou à l'association de maîtres, derrière l'entreprise en tant que maître ou personne juridique. Si l'esclavage partiel ou salariat est dur au plus bas, c'est aussi bien en raison du maître ou des maîtres eux-mêmes, que d'un ou d'autres salariés, parfois ou souvent, à peine au-dessus.
Si l'on affirme que le maître commande, et que le serviteur obéit, il faut alors préciser qu'une telle définition n'exclut ni la hiérarchie des serviteurs, ni l'autonomie de certains d'entre eux.
Note 2 : Dès lors que nous multiplions les abstractions en matière juridique, s'ensuit une certaine opacité, que je peine à éclaircir : les distinctions qui sont vraies, celles qui ne le sont pas.