Poufpouf
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Poufpouf, ravi je suis, dirait un sicilien, par ton appréciation. Mais il y a dans ce même domaine des tas de choses élémentaires qui ont été interdites par l’église catholique, et qui ne peuvent que laisser songeur. Le chrétien lambda d’aujourd’hui sait-il toujours que jusqu’à l’invention de l’imprimerie, et pratiquement durant au moins le siècle suivant, le temps que cette invention se répande et ne devienne populaire, il était interdit aux chrétiens de lire la Bible et les Évangiles ? Documents qui d’ailleurs étaient très rares, devant être recopiés à la main sur des supports souvent très périssables. Mais seuls les prêtres et les religieux pouvaient le faire.
L’on réalisait pour les nobles et les seigneurs, dont par ailleurs pratiquement jusqu’à la fin de l’Ancien Régime la majorité d’entre eux ne savaient pas lire, (c’est leur curé personnel qui lisaient pour eux), des fausses « Bibles » mêlant des passages choisis non pas de la Bible, mais des Évangiles, des commandements et conseils aux notables pour « guider » le peuple, et des dessins souvent sublimes. Les Archives Nationales à Paris, entre autres établissements, et divers autres musées, en possèdent d’exceptionnels. Les livres scolaires ont montré aux enfants des extraits sublimes des « Très Riches Heures du Duc du Berry », conservé à Chantilly, au musée Condé. Ces documents d’ailleurs présentés souvent comme des « Bibles pour les seigneurs », avaient plus exactement le nom de « Livres d’Heures ». Et ils étaient réalisés sur mesure, et adaptés à ce que l’on pensait du destinataire. Leurs enluminures sont pratiquement les seules véritables œuvres d’Art qu’a produit le Moyen-âge en mille ans.
Il est intéressant d’ailleurs sur un plan général, de préciser un point « amusant ». Tout le monde connaît l’image du moine copiant son manuscrit, penché sur son écritoire. Il est intéressant de préciser que la plupart les parties copiées écrites du parchemin étaient réalisées effectivement par des moines. Mais le manuscrit quittait alors l’établissement dans lequel il était réalisé, et partait dans une abbaye féminine, ou ce sont des moniales qui réalisaient les dessins et les ouvrages les plus fins et difficiles des écrits, enluminures et dessins, des manuscrits du Moyen-âge.
Tu évoques les monastères. Mais en matière de conservation des ouvrages antiques concernés, ce sont les abbayes qui s’y prêtaient. Pas les monastères. Qui d’ailleurs pour la plupart n’existaient pas encore. Ils sont nés plus tard, du temps des Croisades, sous la forme d’Ordres Mendiants. Censés être des collecteurs de dons pour aider les Croisades. Abbaye et monastères sont deux types d’établissements très différents, qui n’ont pas eu la même finalité, ni dans leur création, ni dans leurs résidents, ni dans leur vocation. Les monastères, pour hommes ou femmes, ont été créés après le lancement des Croisades. Généralement les Ordres Mendiants. Les abbayes, elles, ont toutes été créées avant le douzième siècle. L’on peut considérer que les monastères étaient des établissements beaucoup plus « populaires » quant à leurs membres que les abbayes. Les abbayes étaient plus « selects » que les monastères, avec des buts et des finalités plus « élevés ». Plus intellectuels. Les hommes ou femmes qui se retiraient dans des établissements religieux se dirigeaient vers le monastère ou l’abbaye, surtout en fonction de leur rang social dans le monde civil. Les plus favorisés se rendaient à l’abbaye. Les autres au monastère. D’ailleurs, le Père Abbé d’une abbaye avait rang de prince dans l’ordre protocolaire médiéval, dans la vie civile.
Un autre exemple curieux est celui du jubé. L’église ne s’empresse pas d’expliquer son histoire à ses adeptes. Un jubé comme nul ne l’ignore, ou ne devrait l’ignorer, est une séparation entre le chœur de l’église et la nef. L’autel étant situé au centre du chœur, et entouré des sièges des seigneurs et des dignitaires religieux du lieu. Le peuple, lui est groupé dans la nef. Le peuple sait que la messe est dite derrière la cloison du jubé. Il l’entend, mais il ne doit pas voir célébrer cette messe ni voir son desservant « en action ». Il ne peut qu’entendre sans savoir ce qui se passe. Souci d’apporter une touche de mystérieux au petit peuple, pour renforcer l’effet « mystère incompréhensible » pour les pékins de base ? Ou conscience que ce mini show que réalise le prêtre devant son autel, pourrait n’être compris qu’en tant que show et pas en tant que manifestation de grandeur divine ? Sans doute les deux.
Parfois, pour justifier la racine de son nom, de l’argot de cuisine ecclésiastique « domine » ou « reçois l’ordre », il est surmonté d’une petite plate-forme. Elle servira au « lecteur-prêtre » de service, à se tenir là pour que le peuple réuni dans la nef entende ce que l’on va lui dire lors des interventions particulières, genre lectures liturgiques, ou communications « extra-ordinaires », par exemple une missive de l’évêque. Puisque le peuple n’a pas accès au jubé, il faut pouvoir lui parler quand même pour remplacer le sermon qui quelques siècles plus tard, après la Renaissance, sera prononcé en chaire.
Le jubé de Sainte Cécile à Albi qui vient à l’esprit instantanément en matière de jubé, est une œuvre d’Art exceptionnelle. Mais c’est tout l’édifice qui est une merveille. Le regret que l’on peut avoir est qu’il a été construit pour « expier les crimes des Cathares ». Comme le fromage blanc qui surmonte la Butte Montmartre à Paris, a été construit, beaucoup plus tard, pour « expier les crimes de la Commune. »
Il est curieux de constater que le peuple n’avait pas le droit de voir dire la messe, en même temps qu’il lui était interdit de lire les Évangiles. D’autant qu’à l’époque les neuf dixièmes de la population ne savaient pas lire.
Les IX° et X° siècle ont été des années « bâtardes ». Des années charnières. Du V° ou IX°, cela a été le grand foutoir en France. Dans le reste de l’Europe aussi, mais particulièrement pour ce qui nous concerne, en France. La structure organisée qu’imposait Rome jusqu’à sa disparition, maintenait dans tous les pays de l’Empire une société relativement organisée, quadrillée par les Légions et les percepteurs de l’Empereur. Mais à partir de l’arrivée des envahisseurs asiatiques aux mœurs « brutales », (délicat euphémisme), commencée en Italie du Nord puis étendue à toute l’Europe, les choses ont très mal tourné. Ce qui restait d’état organisé a disparu. Le territoire de la France s’est trouvé partagé en mini royaumes de malandrins sauvages, dont les limites étaient taillées à coups de pillages et de meurtres systématiques par les chefs des bandes de pillards barbares qui s’arrogeaient la possession de chaque « fief ». Mais il faut remarquer que la chevalerie qui va s’installer dans les deux ou trois siècles suivants, va fréquemment s’allier aux malandrins pour devenir les seigneurs des régions concernées. Toujours avec l’aide et l’intercession de l’église. Ce sont leurs petits enfants qui ont constitué ensuite la petite et la grande noblesse de France. Nombre de grands noms de la noblesse française, qui se sont illustrés plus tard avec Saint Louis sur les murailles de Tunis au cours des Croisades, ou à Jérusalem, étaient les rejetons à la fois des seigneurs français et des barbares envahisseurs d’après la chute de Rome.
Les populations vivaient dans la terreur. La moitié du temps cachés dans les bois. Un exemple est particulièrement révélateur. Les bandes de pillards vivaient de raids meurtriers chez les habitants. Une partie de ces raids était destinée à l’approvisionnement en vivres. D’autres, nombreux et réguliers, n’avaient qu’un seul but, le viol systématiques des femmes autochtones. Les humains ne sont toujours que des primates tropicaux. Tous les habitants du pays étaient soumis au même régime. Et dans toutes les agglomérations, et toutes les communautés, n’importe leur religion, il s’est retrouvé de plus en plus de naissances parmi les femmes violées. L’attitude des habitants envers les femmes violées et leurs enfants, dépendaient surtout des communautés concernées. Mais généralement, la femme violée et son enfant étaient sujets à rejets de la part de leurs concitoyens. La femme était devenue « impure », et l’enfant du viol était un sous-bâtard.
Il en était de même pour les communautés juives, comme pour toutes les autres. Mais en outre, le judaïsme prescrivait un rejet de la femme violée de toute vie sociale. Y compris vie sexuelle. Ce qui finit vite par créer un gros problème aux communautés. Une décennies après l’autre, le nombre de femmes qui avaient été violées était tel que les femmes pouvant avoir une vie conjugale normale devenait de plus en plus rares. Et ces femmes, devenues impures par le viol, étaient rejetées à l’écart. Après plus d’un siècle de ce régime, la crise était telle que les rabbins des communautés ont cherché longuement ensemble comment y trouver une parade. Et ils l’ont trouvée. Mais quiconque a lu un jour une page du Talmud, sait qu’en matière de cogitations intellectuelles, les juifs ne sont pas les plus mauvais.
Dans le judaïsme des origines, et jusqu’à cette époque, c’était le père qui transmettait aux enfants la judéité. Si le père était juif, l’enfant était juif. Même si la mère ne l’était pas. De cette manière, l’homme pouvait chercher une épouse hors de la communauté ou de ses propres coreligionnaires. Si le père était juif, l’enfant serait juif dans tous les cas de figure. Les rabbins ont alors décidé que maintenant, ce serait l’inverse. C’est la mère qui transmettrait la judéité. Plus l’homme. De cette manière la femme violée n’était plus à rejeter, et l’enfant issu du viol était bien juif, puisque sa mère l’était. La vie pouvait revenir à peu près normale sur ce plan -là, malgré les barbares violeurs. La communauté pouvait survivre en tant que communauté.
Il est évident qu’après des siècles de violence et de terreur, l’apparition de nouvelles structures dirigeantes plus calmes et moins cruelles vers la fin du millénaire, ne pouvait qu’apparaître un bienfait des dieux. Les nouveaux pouvoirs qui s’installaient avec un début de remise en ordre de la vie sociale, une croissance nette de la démographie et de la vie économique, l’installation progressive de l’Ordre féodal de la Chevalerie, des améliorations importantes des règles monastiques, tous ces éléments allant vers les Capétiens au tournant de l’An mil, améliorent, notablement dans certaines régions, moins dans d’autres, la vie des populations.
Mais de là à utiliser le qualificatif de « festif », c'est peut-être un brin excessif.