Worsley
1- C'est le problème mon ami : vous n'y avez pas songé tellement vous êtes ignare. Vous ne voyez pas le mal à honorer un étranger. Je vous l'explique : vous honorez un étranger, plutôt qu'un glorieux ancêtre. Quel est l'intérêt de la cité dans cette opération ? Lier l'homme d'aujourd'hui, à ceux qui ont fait sa patrie, sa communauté, à ceux qui l'ont fait briller ; car la patrie se conçoit au présent, mais aussi au passé.
Et si jamais comme vous dites, cette cité établit comme principe qu'il faut honorer l'humanité, plutôt que ses membres, alors il faut y voir une dissolution : car plutôt que par cet acte, assurer le lien entre le français présent et son passé, vous préférez qu'il songe à une héroïne étrangère ; qui peut être remarquable ou non, mais ne sert pas l'amour qu'il doit porter à sa cité.
La cité a tout intérêt à ce que le citoyen honore ses glorieux ancêtres, qu'il les aime, qu'il aime aussi son histoire : que son amour de sa communauté se manifeste ; qu'il communie avec ses frères en pensant à des ancêtres communs, qu'il honore ceux qui lui permettent aujourd'hui de vivre dans cette cité : une forme de culte commun rendu à la cité par ses membres.
Nommer un lycée n'est jamais qu'avoir une politique dans l'espace public : que l'histoire que l'on veut défendre se trouve à chaque coin de rue : que le citoyen qui se promène y songe, que ce soit un rappel de l'instruction qu'il a reçue, qu'il puisse faire la leçon à son fils, en passant devant le nom d'une place...
Or, le principe défendu, l'universel plutôt que la patrie, tout en respectant comme vous dites l'esprit de la Révolution et de ses successeurs, contribue à la destruction de la communauté : plutôt que d'être patriote, il sera cosmopolite ; plutôt que d'être un fervent défenseur de la nation, il sera un libéral qui défend les droits de l'homme avec conviction. Sera-t-il français ou occidental ?
2- Toute l'équivoque repose sur la confusion entre patrie civile / politique c'est-à-dire adhésion à des idées, qui font la France d'aujourd'hui comme vous dites ; et patrie naturelle, terre des pères où une famille prend racine. D'un côté la France est la patrie des droits de l'homme, de l'autre elle est une patrie naturelle : deux idées qui ne se superposent pas comme à Rome, où Cicéron pouvait être citoyen romain, tout en étant originaire de Tusculum, mais qui s'opposent. D'un côté, des principes universels sans pour autant être ni vouloir (re)devenir un empire ; de l'autre une patrie naturelle.
Commençons par examiner la patrie naturelle. Le français d'aujourd'hui est un nomade : il n'a plus ni lien avec la terre, ni avec la famille s'inscrivant sur cette terre. Il vit dans une famille nucléaire rarement dans la localité ou province qui l'a vu naître, à proximité d'une multitude d'individus qui ne forme pas société : ils vivent les uns à côté des autres, non les uns avec les autres. Il n'y a pas de véritable société, où chacun a sa place, et prend part à la vie de la communauté, comme pouvait être une communauté villageoise par exemple. Autrement dit, pour beaucoup, cette patrie naturelle n'est qu'une fiction, sans réalité : une chimère. En général, le français n'envisage plus sa patrie naturelle que comme une terre et une communauté fantasmées à défendre face à un possible ennemi.
Examinons désormais la patrie civile : les idées qui font la France. Or ces idées ne sont justement pas spécialement françaises. Au XVIIIème, l'on parlait même des idées anglaises, il me semble à juste titre : un Locke est bien plus à l'origine de la sécularisation du pouvoir politique, de la tolérance religieuse, des droits de l'homme qu'un Voltaire qui n'a fait que diffuser l'idée de tolérance religieuse en France. La Révolution américaine précède la Révolution française : un Condorcet s'interroge en 1786 sur les bienfaits que cet exemple produira en Europe. D'ailleurs, si je me souviens bien les années 1780 sont agitées dans toute l'Europe.
Il serait plus juste de parler des idées libérales ou occidentales, que de patrie civile française ; et nous pourrions analyser les grands français depuis la Révolution en fonction de ce double critère : quand défendent-ils les intérêts français ? Quand défendent-ils les idées de la Révolution ? Une politique impériale n'était-elle pas la seule façon de faire coïncider les deux ? Que la France devienne l'hegemon de l'occident, si ce n'est empire universel ? Une paix française, comme il y avait eu une paix romaine ? Un projet aussi stupide qu'irréalisable, non ?
3- Je comprends très bien, que par mes discours, je ne participe pas à l'amour de cette cité ; que je la remets en cause.