Lettre ouverte, d’infectiologue à infectiologue
Voici une bonne partie de la lettre ouverte. Très longue. Quelques morceaux ont été coupés.
"Didier Raoult, par pitié, arrête !!! Je me permets de te tutoyer parce que nous sommes tous les deux infectiologues de la même génération et avons fait connaissance il y a environ quarante-cinq ans, déjà !, dans diverses réunions. Ta récente déclaration sur le supposé "alarmisme" des médecins hospitaliers de l’AP-HM (1) est inacceptable.
Je dois dire que depuis le mois de janvier, toutes tes déclarations se sont, malheureusement pour toi et pour nous tous, avérées fausses : - Les trois malades chinois qui ne devaient pas nous inquiéter… - Ce sera une grippette. – La comparaison avec les accidents de trottinette qui tueraient plus… - Le risque de deuxième vague est un fantasme. – Il n’y aura plus de cas à partir du mois d’août. - L’hydroxychloroquine associée à l’azithromycine a résolu le problème, la partie est terminée. - Il n’est pas nécessaire, et même il n’est pas éthique de faire des essais cliniques comparatifs pour valider ton intuition d’efficacité et de bonne tolérance du traitement que tu as proposé, qui s’est tout de même avéré notoirement inefficace.
- Tu as nié le fait que l’association hydroxychloroquine + azithromycine […] pouvait poser des problèmes de toxicité cardiologique, et nécessiter une validation par des essais comparatifs rigoureux. - Tu as dénigré la démarche des essais comparatifs, notamment en maladies infectieuses, de façon délirante. Certes, tu n’as pas dit de bêtises quand tu as dit que le nombre de cas baissait quand les courbes le montraient. Bref, tu ne t’es pas trompé quand tu as dit qu’il pleuvait en regardant à travers la fenêtre… Enfoncer une porte ouverte, cela mérite-t-il autant de bruit ?
"Tu as insulté le comité scientifique"
Tu as pris des libertés incroyables en ce qui concerne la conduite d’études observationnelles ou thérapeutiques et leur déclaration à un CPP (Comité d’éthique). L’ANSM (2) te demande des comptes : quoi de plus normal ? Tu as laissé penser que la science, c’est du travail bâclé et des publications précipitées et non validées par les pairs […]. Tu as insulté les membres du comité scientifique et tous tes confrères infectiologues, en utilisant des termes du genre "incompétents", "blaireaux", "criminels", et j’en passe, ce qui ne t’a pas empêché de jouer les victimes outragées chaque fois que quelqu’un a dit qu’il n’était pas d’accord avec toi. En méprisant le devoir de confraternité le plus élémentaire tu ne peux guère t’étonner que finalement il y ait des réactions… Tu aimes agresser mais tu ne supportes pas qu’on te réponde. Tu n’as pas permis qu’on reste au niveau des débats médicaux et scientifiques qui sont notre culture, tu as acculé des gens posés et sérieux à venir sur le terrain que tu as choisi, celui des réseaux sociaux, de l’invective, des considérations personnelles dont à la base nous n’avons rien à faire.
"Mais enfin, jusqu’où ira le délire ?"
Tu as utilisé des canaux de communication totalement inadaptés, tes vidéos virales sur les réseaux sociaux, en refusant toute controverse exprimée par des gens qui connaissent le sujet. […] Tu as encouragé sans vergogne les tendances complotistes et populistes les plus basses, porté par l’enthousiasme des foules en délire qui te confortaient dans ton idée d’être une sorte de divinité et te rendaient aveugle à la réalité.
Ta popularité a donné un impact énorme et disproportionné à des affirmations à peu près toutes fausses, a désorienté la population, a conduit à des études inutiles, à des traitements injustifiés, à une perte de confiance très préjudiciable envers la médecine, etc. […] Certes le gouvernement a commis quelques impairs étonnants et remarqués… mais cela ne te donne pas plus de crédit pour autant ! […]
Mais enfin, jusqu’où ira le délire ? Tu as eu l’occasion à diverses reprises, notamment avant l’été, de revenir à des discours sensés, mais tu ne l’as pas fait, tu t’es enfoncé encore plus dans ton ornière, pris par une arrogance qui ne connaît plus de limites. Tu vas laisser dans l’histoire de la médecine et de la science une image désastreuse, tu seras l’exemple emblématique des scientifiques qui dérapent, qui se croient tout permis, et qui en fin de compte font honte à la science et à leur pays.
Donc, par pitié, arrête de dire toutes tes stupidités qui nuisent tellement à la société, aux patients, à la médecine et à la science ! Laisse les professionnels faire leur travail et cesse de faire le malin.
Docteur Gilles Roche, Montpellier
PS : j’ai un bagage similaire au tien : CES et maîtrise de microbiologie clinique, maîtrise de biostatistiques, maîtrise de pharmacologie, diplôme de médecine tropicale de l’université de Nancy (que j’ai co-créé), titre de spécialiste en médecine interne, avec le CES de pédiatrie en plus.