Dans cet interview, Robert Masson a oublié une chose : il a 85 ans, et ses besoins alimentaires ont diminué avec l'âge.
J'ai 70 ans, et moi aussi je mange régulièrement deux oeufs au plat par jour. Mon fils (qui me nourrit) me met toujours deux fois trop de nourriture. Il me dit que j'ai un appétit d'oiseau ! Alors, la frugalité, cela dépend de l'âge.
Non, il le dit, quand il dit au petit jeune que ce qui est bon pour lui, bien en santé et musclé, ce dont il a besoin lui nuirait à lui, le vieux. Il n'oublie pas, il rappelle plusieurs fois que ça doit être personnalisé, un régime alimentaire, et que ce qui va bien pour les chauve-souris, tant mieux pour elles, mais nous sommes des hommes, et après des individus différents.
Je ne vais pas me donner le ridicule de commenter l'aspect scientifique, mais cette interviouve, assez passionnante, suscite deux trois remarques :
D'abord, un détail, il abuse du terme "bio", qui, dans sa bouche signifie plusieurs choses entre lesquelles il glisse ou laisse des ambiguïtés, puisque tantôt il le prend dans le sens d'un synonyme de "végétarien" ou "végétalien", tantôt au sens normal, c'est-à-dire d'un produit fait selon les méthodes traditionnelles, comme par exemple une viande (donc ça n 'est pas végétarien) qu'on n'a pas boostée avec des piquouses aux hormones et autres saloperies chimiques, qu'on a élevée avec des produits naturels, etc. (pratiques qu'évidemment il condamne).
Deuzio, l'argument de "faites ce que je dis ne faites pas ce que je fais", en l'espèce : soyez végétarien, mais moi le médecin qui vous dit cela, je ne mange que de la côte de boeuf bleue et du steak tartare, c'est amusant, ça a une certaine force, mais rhétorique surtout et à double tranchant
comme tout
Enfin et surtout, le problème avec ces grandes pontes de la médecine, c'est qu'ils s'expriment avec beaucoup d'autorité et de certitude et ils emportent la conviction des ignares, naturellement (mais souvent aussi de leurs confrères), mais que le ton péremptoire et définitif doit être mis en perspective, et qu'on aimerait que cette mise en perspective, ils se l'appliquent aussi à eux-mêmes.
Ainsi, quand juste après avoir expliqué qu'un de ses confrères a réputé que le chou-fleur était un cancérigène (il ne le dit pas comme ça, je résume) et que cela s'est avéré plus tard une idée ridicule, il ne faudrait pas qu'il vienne nous dire la même chose maintenant au sujet du soja. De la même façon que du temps du Président Mendès, les médecins racontaient que le lait de vache était indispensable aux enfants, alors qu'on en trouve d'autres aujourd'hui qui vous disent que c'est un poison et qui culpabilisent les parents en leur disant : faites leur boire du lait, mais ne vous étonnez pas après s'ils meurent.
L'histoire de la médecine fourmille de Diafoirus successifs qui traitent de criminels leurs prédécesseurs, mais dont les dénonciations elles-mêmes sont renvoyées régulièrement au même abime.
J'ai pris l'exemple des enfants parce que c'est évidemment un point où le médecin tient un levier très facile pour manipuler les gens. Et Masson, à plusieurs reprises, joue sur ce ressort. Les conseils du médecin, on les entend et on les applique ou pas, mais dès qu'il s'agit des gamins, on est très influençable et très fragile. (On parle beaucoup de la volonté de puissance des politiques, mais il faudrait aussi aborder celle des médecins, qui n'est pas moindre, bien loin de là).
Je suis un peu rangé des voitures maintenant, sur ce chapitre, mais de mon temps, on parlait encore beaucoup de la mort subite du nourrisson (le bébé que vous couchez en pleine forme le soir et que vous retrouvez mort le lendemain matin, sans cause assignable). On incriminait le couchage et on culpabilisait les parents : mais comment, mais vous l'avez couché sur le dos ? Mais vous êtes fou, vous l'avez étouffé, malheureux ! C'est sur le ventre qu'il faut le mettre. Ceci pendant trois ans, et plus tard, on traitait ceux qui avaient dit cela de criminels, puisqu'il est évident qu'il faut les coucher sur le côté, etc. Tout cela avec des arguments imparables.
Quand il s'agit de chapeaux ou de maillots de bain, on veut bien entendre qu'il y a des modes et que les vérités d'hier ne sont pas celles d'aujourd'hui, mais d'une part c'est moins grave que la médecine, et d'autre part on ne vous traite pas de criminel si vos godasses sont ringardes.