Confronté à des manifestations, Bagdad ne cache plus son impatience face aux hésitations de Paris.
L’Irak vient d’accorder 200 visas aux membres des forces spéciales françaises stationnés jusqu’à maintenant dans le Nord-Est syrien, révèle au Figaro une source diplomatique irakienne à Bagdad. Même partiel, le retrait militaire américain de cette région fragilise la présence des commandos français aux côtés des Kurdes syriens, qui pourraient donc le moment venu se replier plus à l’est de l’autre côté de la frontière, en Irak. Si des unités resteront dans le Nord-Est syrien, d’autres devraient également être redéployées en Jordanie et au Liban.
Le 13 novembre, le ministre irakien de la Défense, Najah al-Shammari, sera en visite à Paris. «Il faut mettre en pratique l’accord stratégique signé entre nos deux pays lors de la visite en France du premier ministre Adel Abdel-Mahdi en mai», explique la source irakienne pour qui «son volet militaire et sécuritaire est très important». Mais d’ores et déjà une composante essentielle de ce dialogue stratégique a été tranchée lors de la visite à Bagdad, le 17 octobre, du ministre des Affaires étrangères. Jean-Yves Le Drian a été prestement dépêché pour voir si l’Irak pourrait accueillir la soixantaine de djihadistes français toujours aux mains des Kurdes syriens, mais qui pourraient profiter du chaos né du départ américain pour se faire la belle. «L’Irak ne sera pas un dépotoir des djihadistes étrangers», lui ont fait savoir ses interlocuteurs. Bagdad n’est prêt à récupérer que ses ressortissants, déjà nombreux - plus de 30.000 - qui croupissent dans des geôles ou des camps dans le Nord-Est syrien.
La fin de non-recevoir irakienne est un camouflet pour la France. «Il y a de la déception vis-à-vis des Français, explique le diplomate irakien. En 2017, nous avions fait une proposition de mémorandum commun avec le ministère français de la Justice dont le cœur était le devenir des djihadistes étrangers. Mais nous n’avons jamais eu de réponse claire, on nous répète depuis que ce mémorandum est en relecture.» Sollicité, le ministère français de la Justice renvoie vers le Quai d’Orsay.
En début d’année, les services de renseignements irakiens, accompagnés d’une poignée d’agents français, avaient récupéré à la frontière syro-irakienne au moins une douzaine de djihadistes français - mais probablement plus - transférés des geôles kurdes, que la justice irakienne condamna à mort ensuite. «Nous avons accepté d’en récupérer uniquement avec la France, reconnaît le diplomate irakien, car des soldats français nous ont aidés contre Daech, vous nous avez fourni des canons Caesar et de l’aide logistique. Adel Abdel-Mahdi l’a dit à Emmanuel Macron en mai, l’Irak est prêt à vous aider. C’était le deal. Mais après ces transferts, chez vous, les journaux et les ONG ont commencé de critiquer ces transferts. Nous ne savions plus ce que les Français voulaient. Vous voulez les reprendre, reprenez-les, comme Trump l’a dit. Vous voulez qu’on fasse le travail? Alors on va le faire, d’autant qu’en privé plusieurs de nos interlocuteurs français disaient qu’ils ne nous en voudraient pas si on les liquidait. Vous voulez quoi? Lutter contre le terrorisme ou émouvoir l’opinion avec des articles sur les épouses des djihadistes qui jurent être en Irak ou en Syrie par hasard.» La France, qui ne reconnaît pas la peine de mort, répond que les djihadistes doivent être jugés là où ils ont commis des crimes. Paris n’est prêt à reprendre que certains enfants, mais ni les épouses, ni les adultes.
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Aujourd’hui, le «chapitre est clos», assure le diplomate irakien et d’ajouter que «nous aussi, nous avons une opinion publique». «Pourquoi devrions-nous accueillir ces Français qui sont venus combattre Assad?», s’interroge Hussein, un ingénieur. De toute façon, avec les manifestations inédites contre «un pouvoir corrompu et inefficace» qui secouent l’Irak et ont fait plus de 250 tués, «nous avons d’autres chats à fouetter», souligne le diplomate irakien.
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Mais «si nous voulons avoir de vraies relations stratégiques, estime-t-on au ministère des Affaires étrangères à Bagdad, elles doivent être plus directes et plus fluides. Ne pas se cacher derrière l’opinion publique pour agir ou ne pas agir. La décision doit être prise au plus haut niveau, et appliquée ensuite, ainsi la confiance grandira entre nous».
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Or un autre dossier antiterroriste plombe la relation franco-irakienne. Il concerne la détention en France d’Ahmed al-Aswadi, un Irakien de 34 ans, auquel Paris a accordé le statut de réfugié avant de le faire interpeller à Lisieux en mars 2018, puis de le mettre en examen pour «crime de guerre» et «assassinats en relation avec une entreprise terroriste». Il aurait été un cadre dirigeant de Daech. «Depuis, nous le réclamons, affirme l’un des diplomates précités. Malheureusement, la France invoque des procédures en cours et ne veut pas nous le redonner. C’est un criminel, on veut le juger, et comme vous le dites à l’égard de vos djihadistes, là où il a commis ses crimes, dans le camp de Speicher, près de Tikrit, chez nous. Le renseignement a été donné directement à M. Nuñez (alors directeur général de la sécurité intérieure) par le vice-ministre irakien en charge des investigations fédérales. La démocratie je la respecte, mais dans certains cas, c’est un obstacle à la lutte antiterroriste», lâche avec amertume le responsable irakien. À Paris, la Chancellerie nous a répondu que «comme toute demande émanant d’un pays étranger, celle-ci se faisait dans un cadre judiciaire précis». Et, manifestement, assez long.
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https://www.lefigaro.fr/international/pourquoi-l-irak-refuse-de-recuperer-les-djihadistes-francais-20191030