J'ai lu un article fort sympathique sur lenouvelobs, plus sympathiques encore les commentaires tout en bas... Vous avez la médecine que vous méritez. Tant que vous continuerez de penser que les jeunes médecins sont des pions que vous pouvez déplacer selon vos envies et sans se soucier de leur vie et qualité de vie, on dénigrera aller dans des déserts médicaux. Puis votre excuse "on vous paie vos études" dans ce cas on va forcer les avocats, les biologistes, et tout ceux qui ont fait des études en facs, voire même tous les plombiers, maçons, qui ont eu un bep ou un cap puisqu'ils n'ont rien payé!
Jeunes médecins : défendre la liberté d'installation, du pur égoïsme ?
Par Philippe Aïm
Psychiatre
LE PLUS. Comment lutter contre le manque de médecins ? Fin mai, le Conseil national de l'Ordre des médecins avait l'air de penser qu'il fallait les obliger à exercer là où c'était nécessaire, pendant cinq ans. Une préconisation qui ne passe pas forcément bien chez les jeunes médecins. Notre contributeur Philippe Aïm, psychiatre, a voulu comprendre pourquoi.
En mai dernier, pour essayer de solutionner, au moins en partie, l'épineux problème de la démographie médicale, le Conseil national de l'ordre des médecins a émis une "recommandation" selon laquelle un jeune médecin, au sortir de ses études, devrait exercer pendant les cinq premières années dans la région de délivrance de leur diplôme et là où l'ARS le jugerait utile. Les associations de jeunes médecins ont vivement réagi.
Qu'est-ce qui les choque ? Évidemment, ils l'ont dit, le manque de concertation, évidemment la surprise de voir une telle proposition "politique" (la régulation de l'exercice public et des professions libérales n'est-elle pas du domaine politique ?) émaner d'une institution censée avant tout faire appliquer la déontologie, et représenter, défendre et aider les médecins.
Les jeunes médecins se moqueraient-ils des déserts médicaux ?
Mais on a entendu toutes sortes d'arguments s'étonnant, se choquant de la réaction de ces étudiants en médecine et jeunes médecins. N'ont-ils donc pas conscience que même en exercice privé, il s'agit d'une mission de service public (financée puisque remboursée par la sécurité sociale) ? Et qu'elle implique donc du coup d'être soumise aux besoins du territoire et du pays ? N'ont-ils donc pas conscience de l'inégalité de la démographie médicale? N'auraient-ils envie uniquement que de s'installer sur la Côte d'Azur ou à Paris, et méprisent-ils donc la pauvre vieille dame qui va décéder d'un infarctus en zone rurale parce qu'aucun médecin n'est dans les parages ?
Argument récurrent aussi, que je crois même avoir entendu dans la bouche d'une célèbre candidate aux primaires socialistes à l'époque : leurs études sont largement payées par le contribuable. Ne "doivent"-ils donc pas quelque chose aussi ? N'y a-t-il pas après tout des fonctionnaires qui passent des années dans leur circonscription avant de pouvoir rejoindre le lieu d'où ils viennent ou celui où ils souhaitent s'installer, et ce, afin d'assurer une mission de façon égalitaire dans le temps et l'espace sur le territoire ?
Au pire, les étudiants sont égoïstes et privilégiés ; au mieux, ils sont inconscients où défendent leurs "petits" intérêts. Voilà aussi l'image qu'a parfois pu donner leurs revendications.
J'essaie donc de comprendre, et de faire comprendre (c'est un peu mon métier). Pourquoi ces étudiants réagissent-ils si fort sur ce sujet ? Non, ils ne sont ni égoïstes ni inconscients, et la plupart d'entre eux ont choisi ces études dans une vraie volonté d'aider son prochain à aller mieux. La réponse me semble aussi simple qu'inaudible : s'ils réagissent comme ça, c'est parce qu'ils ont fait des études de médecine. Vous ne comprenez pas ?
Savez-vous en quoi consistent les études de médecine ?
Passons sur la P1, fameuse première année et son concours, l'année est dure, très dure mais après tout, c'est l'âge des "prépas". Passons même sur les deux années suivantes, années pleines de matières théoriques, dont une très grande partie sera oubliée car loin de la réalité de la médecine (une fusion-élagage de ces deux années serait bien salutaire).
Les matières qui leur semblent vraiment médicales commencent en 4e année, en même temps que "l'externat". Ces étudiants seront donc à mi-temps en stage à l'hôpital (en tant "qu'externes"), et à mi-temps en cours ou en révisions. C'est là que le sentiment d'injustice commence à naître. Le travail à mi-temps mérite ici un salaire qui ferait fantasmer un ouvrier chinois : 100 à 200€ par mois.
Les horaires sont variables : la matinée commence entre 7 et 9 heures pour s'achever entre 12 et 14 heures, selon les endroits. On peut aussi demander à ces étudiants de venir le samedi matin ou parfois à d'autres moments. Quand a lieu une garde (24 heures consécutives de travail, aux urgences par exemple), la fiche de paie se verra bonifier d'une vingtaine d'euros (je vous laisse calculer le taux horaire).
Le reste du temps ? Les cours et les révisions. Si vous n'avez pas de famille pour vous soutenir, c'est quasi-impossible. Impossible d'avoir un travail à côté sauf à y passer des heures indues. Votre serviteur a passé de longues heures de soir, nuits et week-ends, pour se payer quelques loisirs, à explorer toutes les professions hospitalières, ou presque : agent des services hospitaliers (ASH), brancardier, aide-soignant, infirmier... au prix de quelques matières au rattrapage.
Mais ces stages, quand même, ça doit être formidable, non ? On le voit bien dans "Urgences" et "Dr House"... Que nenni. La plupart du temps, vous le passez à faire du secrétariat (le classement de dossier est une spécialité de l'externe), à pousser un chariot à ECG où à trier des dossiers, à tenir des écarteurs.
J'exagèrerais si je ne disais pas qu'il y a quand même des stages ou l'on apprend vraiment, si on est motivé et sollicitant, et il faut leur rendre hommage. Les universités et les C.H.U. font des efforts louables en ce sens : nous y faisons attention autant que possible dans le service où je travaille. Mais globalement, le "travail" d'externe leur semble permettre souvent d'économiser du personnel au vu du taux horaire, et plus rarement d'apprendre comme il se devrait notre métier.
Comment tourneraient les hôpitaux sans les jeunes internes ?
Puis vous passez un concours qui ne dit pas son nom : "Examen National Classant", et vous choisissez par ordre de mérite votre spécialité et votre ville. Mais ce n'est pas un concours comme un autre: aucune disposition n'existe pour faciliter la vie personnelle en cas de "catapultage" comme pour d'autres concours. Vous pouvez, vous marier, vous pacser, faire des enfants, rien n'y changera : une fois nommé, il vous faudra rester dans la région et la spécialité désignée pour 3 à 5 ans.
Comme quoi, cette obligation de contribution à la démographie médicale existe déjà un peu... Je vous passe le chapitre sur l'inégalité entre les universités dans la préparation de ce concours (il y aurait de quoi faire bondir), les étrangetés et les ratés du concours (demandez à ceux qui l'ont passé en 2011).
Puis pendant la période de l'internat (entre Bac+7 et Bac+11) vous êtes à plein temps à l'hôpital, vous soignez vos frères humains, et vous gagnez entre 1.300 et 2.000 euros (gardes incluses). Et avec tout le respect que l'on doit à nos collègues, nos études ne sont pas plus valorisées que des professions moins qualifiées de l'hôpital : il n'y a pas de quoi se plaindre sur le salaire lui-même, mais le peu de valorisation des études est à l'origine d'un sentiment d'injustice et/ou de frustration.
Ne pas valoriser nos chères études et nos responsabilités (dans 90% des cas, ce sont bien les internes qui font "tourner" les services plus que leurs chefs), mais aussi nos horaires : 11 "demi-journées" (nomination qui permet à chaque service de définir ses horaires) par semaine, pas de réelle "durée légale", et ne rêvez pas de RTT, malgré vos 50 à jusqu'à 80 heures de travail hebdomadaires. Et il avait fallu se battre il y a quelques années pour avoir un repos compensateur les lendemains de garde... Si les internes "pointaient" et travaillaient la même durée que les autres, beaucoup de patients ne pourraient être soignés.
Parfois, pendant ce sacerdoce, l'interne se met à rêver de son futur métier. Souvent il rêve à la médecine générale, car c'est le destin d'un sur deux d'entre eux. Il gagnera tout à fait correctement sa vie, bien sûr. Cependant, il aura alors une profession dite "libérale", mais pas libre sur les honoraires (un peu plus en secteur 2, mais alors il faut avoir passé deux ans de plus à l'hôpital), il aura 90 jours de carence en cas de congé de maladie, des congés payants (car les charges continuent à peser pendant que le revenu ne rentre pas), et puis des responsabilités, encore et encore. Ils l'auront voulu...
Qui veut la peau des jeunes médecins ?
Alors oui, c'est vrai, les jeunes médecins, à tort ou à raison, ont l'impression d'avoir payé leur dû. Ils payent et en ont marre de payer. Ils ressentent comme une injustice profonde qu'on leur enlève encore cet espace de liberté qui leur reste, celui de s'installer où ils le souhaitent, qu'on règlemente encore leur profession, ce qui pour autant ne leur donne pas un statut de fonctionnaire ordinaire. Leurs études et leur métier ne sont pas valorisés, et c'est juste que cette goutte d'eau s'ajoute à un vase déjà bien plein, se remplissant au fur et à mesure des années d'études...
Alors certes, il y a trop peu de médecins. C'est ce que chacun ressent. Certains disent même que c'était prévisible et que l'augmentation du numérus clausus (porté en décembre 2011 à 8.000 étudiants) fut tardive et insuffisante. Il y a des déserts médicaux. Mais le démantèlement des "petits" hôpitaux (jugés trop peu "rentables") n'a pas vraiment aidé, et puis même les CHU ont aujourd'hui de lourdes dettes, ils sont eux aussi trop peu "rentables".
Au lieu de poser la question globalement, d'y apporter une réponse qui aurait la complexité qu'il se doit face à un problème épineux, au lieu de parler des politiques de santé dans leur ensemble, une seule mesure a marqué les esprits, et l'impression laissée aux carabins est qu'une piste de réflexion partielle est ici donnée et qui semble "s'attaquer" aux futurs et jeunes médecins, donnant, par la réaction qui était prévisible, une image absolument désastreuse de ces derniers.
La pilule a du mal à passer
Entendons qu'il fait partie de l'éthique et de la déontologie que tous puissent recevoir des soins, et à ce titre, l'ordre a peut-être son mot à dire et fait preuve ici de bon sens. Mais le bon sens suffit-il ? Le fond permet-il de soigner la forme ? Il faut comprendre ce qu'il y a de difficile à avaler dans cette pilule, en terme de trop peu de concertation avec les acteurs de terrain, cela a été dit par les associations, mais aussi de possible clivage entre jeunes et anciens, entre public et privé, entre les patients et l'image que l'on renvoie ici de leurs médecins.
Cette image ne vient pas de l'ordre et de sa proposition bien sûr : elle vient des jeunes médecins qui ont cette réaction épidermique. Mais qui peut dire, en connaissant le cursus médical, qu'il ne s'y attendait pas ?
Il va falloir trouver une solution, et évidemment, elle nécessitera des concessions et fera un peu mal. C'est certain. L'Ordre des médecins peut (doit) nous rappeler une réalité difficile de ce métier, tenter de nous ôter nos œillères, susciter un débat salutaire. Mais il faut entendre, avec tous les éléments en main, ce qui fait la colère, mais aussi la tristesse de ne pas être considéré, des médecins de demain. Il faut tenter du moins, de le comprendre. En médecine, cela s'appelle avoir de l'empathie.
Pendant que j'écrivais cet article, j'ai par ailleurs appris sur le site de l'ANEMF (association représentant les étudiants en médecine) que les représentants des jeunes médecins et le CNOM initiaient un travail commun. J'ai tendance à croire que la discussion est salutaire, cela témoigne peut-être d'un brin d'optimisme, une déformation professionnelle certainement...
Et puisque cette affaire est complexe et éminemment politique, je termine en saluant le propos plus pondéré de notre ministre fraichement nommée : "Ce n'est pas en brandissant la menace que nous trouverons des solutions durables. Taper du poing sur la table permet sûrement d'éphémères succès de tribune, mais ça ne fait progresser personne."
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/596779-jeunes-medecins-defendre-la-liberte-d-installation-du-pur-egoisme.html