Madame Céline, route des Gardes, collectif réuni par David Alliot, Paris, Edition Pierre-Guillaume de Roux, 2012, 140 p.
http://www.lepetitcelinien.com/2012/07/ ... -fete.html
La veuve de Louis-Ferdinand Céline, Lucette Destouches, fête ce 20 juillet son centenaire, dans le pavillon de Meudon où disparaissait, le 1er juillet 1961, l'auteur du Voyage au bout de la nuit et de Mort à crédit. « Depuis la mort de Louis, la vie ne m'intéresse plus. C'est comme si avec lui j'avais nagé dans un fleuve pur et transparent et que je me retrouvais sans lui dans une eau sale et boueuse », raconte-t-elle dans Céline secret (Grasset, 2001). Soixante-dix ans après la Libération, le grand amour de Louis-Ferdinand Céline continue de refuser que les pamphlets antisémites de son mari soient réédités, conformément à la volonté de celui-ci.
L'Express, 20 juillet 2012.
http://blogs.lexpress.fr/les-8-plumes/2 ... e-lucette/
Très Chère Lucette,
Je me permets cette familiarité, que vous me pardonnerez,
tellement j’ai l’impression que vous faîtes partie intégrante de mon intimité
comme de mes passions littéraires.
Je ne vais pas vous « assommer », ce n’est
vraiment pas le jour, les lectrices et lecteurs de ce blog, savent que je voue
une admiration définitive à feu votre Mari (cf
trois chroniques lui ont été consacrées depuis septembre dernier et de très
nombreux commentaires y sont rapportés).
Ils savent pertinemment aussi que je lis et relis en
permanence l’œuvre de Céline, comme je m’attache, pour parfaire ma connaissance
et mes analyses, à découvrir les nouvelles exégèses ou publications sur son
parcours de vie, que vous avez partagé avec tant d’élan, de fougue et de
tensions, aux fins de m’approcher au plus près de « cette petite
musique » qui façonne de manière inimitable (telle est la rançon du talent
vrai et du génie !) le style inspiré de celui que vous appelez
Louis !
Mais au détour d’un charmant livre publié début mai et dont
j’ai fait l’acquisition immédiate, intitulé « Madame Céline, route des
Gardes », je souhaitais, en mon humble nom propre, mais aussi au nom
de tous les membres de ce blog intégrant 8 personnalités, 8 plumes, vous
souhaiter un très bon anniversaire, m’incliner pour vos cent ans et me
permettre cette dédicace que je désire chaleureuse, affective et profondément
reconnaissante pour la veille investie que vous avez apportée pour la
postérité de l’œuvre de votre Mari !
Je connais, Chère Lucette, l’immobilité
pénalisante et douloureuse qui vous frappe, vous qui jouiez à la perfection des
castagnettes et qui accomplissiez des exercices d’assouplissement et de grâce
quotidiens pour entretenir un corps totalement tendu, pour ne faire qu’un, avec
le sens des mouvements chorégraphiques : que cette journée d’anniversaire vous permette de retrouver en inspiration le solo de la « Danse du paon » de Gang Peng, votre Ami qui déclare avec tendresse et émotion « que l’on est danseur toute la
vie et que vos pensées, Lucette, sont comme une danse, comme des pas qui
sautent d’un endroit à un autre, mais aussi d’un temps à un autre »
Je connais, Chère Lucette, votre sens de l’humour vif, qui fait, comme le décrit joliment un des biographes de Céline, votre Ami Frédéric Vitoux, qu’un jour où le professeur d’université chargé de
l’édition – ô combien scrupuleuse – des œuvres de Céline en Pléiade (cf Henri
Godard) se penchait vers vous pour s’assurer d’avoir bien déchiffré un mot de
Louis (alors que Frédéric était affligé d’un gros rhume et se mouchait
bruyamment), votre perroquet Toto imite le bruit, et, comme Frédéric se mouche
de nouveau, Toto se mouche de plus belle, et, à votre exemple, tout le monde se
met à rire, à l’exception de l’imperturbable professeur… Vous donniez ici
l’exemple que même une entreprise universitaire d’exception doit s’arrêter face
au plaisir et au décalage de la vie ; que cette journée d’anniversaire soit pétrie de rires, rires que vous avez vécus et que Frédéric Vitoux assemble comme « des rires de l’instant,
d’indulgence parfois et aussi de tendre résignation » face aux épreuves ou
face aux amis qui se sont écartés…
Je connais, Chère Lucette, votre volonté de faire silence : en musique, comme en chorégraphie, il faut savoir placer son silence : ce silence, qui selon Frédéric Vitoux, « vous donne la
plus belle des parures » : ce qui compte, « c’est ce que vous ne
direz pas, ne pourrez pas ou ne voudrez pas dire, parce que trop de violences,
d’imprécations, de malentendus ont surgi de partout, et parce que vous
n’entendez pas forcer la voix pour vous faire entendre » ; Céline
vous a aimée parce que danseuse, « vous échappiez à la pesanteur et à la
lourdeur des hommes » et donc par le silence aussi vous vous éleviez face
« à leurs incessants bavardages, hargnes ou ressassements » ; que cette journée d’anniversaire soit portée par le silence qui contribue à l’introspection, à la réflexion, au
doute et à la prise d’altitude
Je connais Chère Lucette, votre passion pour les Chats (sur ce sujet mes Amies Véronique et Cécile, que je salue au passage, seraient beaucoup plus connaisseuses que moi, vraiment…) et parce que selon votre Mari, vous serez toujours du côté de l’agilité des chats, gracieuse, avec
« le tact en ondes » ; que cette journée d’anniversaire vous transporte dans le souvenir de Bébert, qui vous a accompagné dans bien des aventures et des douleurs, que vous avez
consciencieusement nourri dans l’Allemagne en flamme, en le recherchant par
delà les wagons explosés, et qui repose en paix, en votre antre de Meudon
Je connais Chère Lucette, votre plaisir pour le partage des bonnes tables et à Meudon, entre foie gras et saumon, avec le gâteau apporté par François Gibault, irremplaçable biographe de Louis et aux relations filiales avec vous, vous appréciez les discussions et les débats, y
compris vifs, puisque Céline disait que vous étiez « excessive en
tout », compliment que vous pouviez lui renvoyer mille fois, je pense…
Vous avez aimé parler notamment, en ces moments, avec Marc-Edouard Nabe, qui vous a composé une fugue délicate et stylistiquement impeccable, sobrement intitulée avec affection, « Lucette »
et qui appréciait vous livrer des concerts de jazz à Meudon.
Surtout François et Marc-Edouard ont rapporté ces mots magnifiques de Céline à votre endroit : « vous étiez Ophélie dans la vie et Jeanne d’Arc dans l’épreuve » ; que cette journée d’anniversaire soit célébrée avec un gros gâteau apporté par François et d’autres et bon appétit !
Je connais Chère Lucette votre volonté d’ouvrir
votre porte aux jeunes, à Marc Laudelout, qui à vingt quatre ans s’apprête à
consacrer une revue semestrielle à la fin des années 70 (la Revue Célinienne)
sur Céline, qui deviendra le Bulletin Célinien, qui comprend à ce jour
plus de 300 numéros, et qui avec érudition, analyse émérite et surtout passion
communicative dissèque et approfondit la pensée de Céline et son style
inépuisable de rythme et de profondeur, à Christophe Malavoy qui travaille à
l’adaptation de la trilogie Allemande (D’un château, l’autre ; Nord
et Rigodon) pour le cinéma et à David Alliot, organisateur à 38 ans de
l’édition de Céline dans la collection Bouquins. Que cette journée d’anniversaire soit l’occasion de nouvelles jeunesses inspirantes.
Je terminerai cette dédicace-hommage, Chère
Lucette, par une confidence : j’ai pu lire dans l’opus « Madame
Céline, route des Gardes » que lorsque l’on vous demandait quel livre
de Céline vous placiez en premier, vous répondiez sans hésiter : « Nord » ;
oserai-je vous dire qu’avant de connaître votre avis, j’avais déjà dit à mes
Amis du Blog, que ce livre était pour moi un Chef d’Œuvre absolu que je lis et
relis avec une passion toujours intacte et une ferveur persistante et que je le
recommandais instamment en première lecture ; que cette journée d’anniversaire vous permette de replonger dans l’épaisseur et la tonitruance de « Nord »
Bel anniversaire, Lucette et très heureux centenaire, et, permettez-moi, au nom des
8 plumes (Véronique, Cécile, Marie-Florence, Caroline, Benoît, Yves, Hervé et
moi-même), de vous adresser route des Gardes, à Meudon, à la Villa Maïtou,
accompagnée de cette dédicace, « 8 belles roses blanches », symboles
affirmés de « l’éternellement jeune et du modèle par la danse » selon
les mots de David Alliot !
Éric
http://bibliobs.nouvelobs.com/documents ... femme.html
Du haut de la colline de Meudon, le siècle la contemple et jalouse son obstination à vivre, à rire. En juillet prochain, Lucette Almanzor, veuve Destouches, fêtera son centenaire dans la maison où, il y a cinquante ans, disparaissait son mari, Louis-Ferdinand Céline.
Elle continue à l'habiter malgré les deux incendies qui l'ont ravagée, malgré les tempêtes qui s'abattent encore sur l'auteur de «l'Ecole des cadavres». Une maison située 25 ter, route des Gardes - tout un symbole pour la gardienne paisible d'une oeuvre furibonde.
Avec le temps, son opinion n'a jamais varié: Céline était un homme d'une «immense bonté» et l'auteur de «Rigodon», dont elle exhuma le manuscrit, le plus grand écrivain du XXe siècle. Le reste ne l'atteint pas. Toute sa vie, elle s'est refusée aux Mémoires, aux longues interviews, aux regrets ou aux remords, préférant converser avec ses chats et ses perroquets qu'avec les journalistes. Elle n'est sortie de sa légendaire réserve que pour empêcher la réédition des pamphlets antisémites de Céline.
Les assouplissements, la détente, la respiration, l'équilibre que cette ancienne danseuse de l'Opéra-Comique a enseignés jusque tard dans sa vie, elle en a tiré non seulement une méthode, mais aussi une philosophie. Après avoir connu la fuite à Sigmaringen, l'exil au Danemark et partagé l'indignité nationale de son mari, elle tient sa propre longévité pour un cadeau du ciel et offre en spectacle sa bonne humeur à tous ceux qui la visitent comme une pythie ou un monument.
Les soirées de Meudon
La liste est longue des habitués de Meudon, qu'elle régalait autrefois au caviar, foie gras et saumon arrosés de champagne. L'étonnante cohorte de pèlerins comptait, d'Arletty à Carla Bruni, de Dubuffet à Rocheteau, d'Audiard à Malavoy, de Mouloudji à Moustaki, d'Aymé à Nabe, sans oublier les 2 Be 3, des as de la plume, du ballon rond, du micro, du pinceau ou du barreau.
Certains, dont son fidèle avocat, François Gibault, témoignent dans un livre collectif de l'attachement presque filial qu'ils vouent à celle dont Céline disait qu'elle était «Ophélie dans la vie, Jeanne d'Arc dans l'épreuve», à cette voyageuse intérieure qui lui aura été fidèle jusqu'au bout de la nuit.
Jérôme Garcin