2 décembre 1804
Sacre de Napoléon 1er
Napoléon en habit de sacre (Baron Gérard, château de Versailles)
Le 2 décembre 1804 (11 Frimaire An XIII selon le calendrier républicain), Napoléon Bonaparte est sacré empereur des Français dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, en présence du pape Pie VII.
Natif de Corse et simple général de la Révolution française, à peine âgé de 35 ans, il reconstitue à son profit l'Empire de Charlemagne !
Beaucoup de Français se plient à ce surprenant archaïsme. Ils y voient le moyen d'empêcher à tout jamais le retour de l'ancienne dynastie des Capétiens.
Parmi ces Français qui craignent la restauration de l'Ancien Régime figurent les anciens députés de la Convention qui ont condamné à mort le roi Louis XVI et tous ceux qui ont acheté des biens nationaux ou se sont enrichis pendant la Révolution.
Le sacre leur offrira un répit de dix ans avant le retour de la monarchie.
De la Révolution à l'Empire
Le 25 mars 1802, à Amiens, l'Angleterre et la France ont signé un traité de paix qui met un point final à la deuxième coalition européenne contre la France.
Napoléon Bonaparte, qui gouverne la France en dictateur avec le titre de Premier Consul, profite de la paix retrouvée pour affermir son pouvoir à l'intérieur comme à l'extérieur. Il conclut avec le pape un concordat qui rétablit la paix religieuse à l'intérieur. Il consolide les conquêtes de la France sur la rive gauche du Rhin et resserre les liens avec les petits États d'Allemagne et la Suisse. Il se fait aussi attribuer le Consulat à vie. Mais l'opposition royaliste ne désarme pas pour autant. En faisant exécuter le jeune duc d'Enghien sans motif sérieux, Bonaparte terrorise celle-ci et rassure les anciens révolutionnaires.
La bourgeoisie, qu'inquiète la menace d'une restauration royaliste, adresse au Premier Consul des pétitions en vue d'instaurer l'hérédité dans sa famille comme garantie contre le retour des Bourbons. C'est ainsi que, par le sénatus-consulte du 28 floréal An XII (18 mai 1804), le Sénat déclare :
«Article premier.
Le gouvernement de la République est confié à un empereur, qui prend le titre d'Empereur des Français.
La justice se rend, au nom de l'empereur, par les officiers qu'il institue.
«Article 2.
Napoléon Bonaparte, premier consul actuel de la République, est empereur des Français.
«Article 3.
La dignité impériale est héréditaire dans la descendance directe, naturelle et légitime de Napoléon Bonaparte, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, et à l'exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance.
«Article 4.
Napoléon Bonaparte peut adopter les enfants ou petits-enfants de ses frères, pourvu qu'ils aient atteint l'âge de dix-huit ans accomplis, et que lui-même n'ait point d'enfants mâles au moment de l'adoption.»
Ce texte curieux, aussi appelé «Constitution de l'An XII», institue une monarchie sans abolir formellement la République. En ressortant des archives le vieux titre d'empereur, qui renvoie à Charlemagne et à la Rome antique, il évite celui de roi, qui suscite la répulsion chez nombre d'anciens révolutionnaires. Mais il maintient dans le flou la procédure de succession héréditaire, qui ne laisse pas d'être compliquée. Napoléon s'en accommode car son épouse Joséphine (41 ans) l'a convaincu de sa stérilité... Il divorcera cinq ans plus tard, le 15 décembre 1809, dès qu'il aura eu la preuve du contraire, et épousera l'archiduchesse Marie-Louise (18 ans).
L'établissement de l'Empire coïncide avec le retour de la guerre. Celle-ci est déclarée trois jours plus tard, le 22 mai, à l'Angleterre. La paix d'Amiens aura été une parenthèse juste propice à faire un empereur !
Une Cour de bric et de broc
En attendant, dès le 19 mai 1804, Napoléon 1er, empereur d'un jour, porte à la dignité de maréchal d'Empire 14 de ses généraux, dont Bernadotte, Lannes, Berthier, Murat... C'est la «distribution des Aigles». Il reconstitue aussi dans son palais des Tuileries une cour à la façon de l'Ancien Régime, en octroyant des dignités ronflantes et des rentes généreuses à son entourage. C'est ainsi que Lebrun est fait architrésorier, Louis-Philippe de Ségur, grand-maître de cérémonie, Cambacérès, archichancelier, Talleyrand, grand chambellan... Il s'offre des insignes pour glorifier son règne : l'Aigle bien sûr et même l'abeille, vague réminiscence de l'époque de Clovis.
Ces initiatives s'ajoutant à la création de la Légion d'Honneur, deux ans plus tôt, témoignent de l'intention de l'empereur de forger une nouvelle noblesse en remplacement (ou en complément) de l'ancienne.
La «Constitution de l'An XII» est ratifiée par un plébiscite en novembre: 3.572.329 oui contre 2.579 non (rappelons que le scrutin n'est pas secret, les électeurs signant au choix le registre du oui ou celui du non). Parmi les opposants les plus notoires figure Lazare Carnot, l'«organisateur de la victoire», resté fidèle à ses convictions républicaines.
Le pape réquisitionné
Génie de la propagande et de la mise en scène, le nouvel empereur ne se contente pas d'une ratification de son titre par le peuple. Il veut une onction religieuse pour s'aligner sur les autres empereurs du moment, le tsar de Russie et le chef du Saint Empire romain germanique, qui règne à Vienne, ainsi que pour se démarquer du prétendant des Bourbons, Louis XVIII, qui n'a pas encore reçu le sacre.
Pour le lieu, il songe à Aix-la-Chapelle, ancienne capitale de Charlemagne, désormais chef-lieu de département français. Puis à Rome. Finalement, il se rallie à Paris bien qu'il craigne les sautes d'humeur de ses habitants. Plutôt que le Champ-de-Mars, encore palpitant des souvenirs de la Révolution, ou l'église Saint-Louis-des-Invalides, trop petite, il choisit la vénérable cathédrale Notre-Dame de Paris. L'empereur veut en faire le symbole de la réconciliation de la Nation avec son Histoire.
Foin d'un quelconque archevêque ! Napoléon exige rien moins qu'un sacre par le pape lui-même comme Charlemagne un millénaire plus tôt. Pie VII (64 ans) hésite à se prêter à la mascarade. Il s'y résout finalement avec l'espoir d'obtenir un arrangement sur les Articles organiques impunément ajoutés par Bonaparte au texte du concordat.
Partie de Rome le 2 novembre, l'escorte pontificale se fait dévaliser en route. Le 25 novembre, enfin, Napoléon affecte de la croiser par hasard en forêt de Fontainebleau lors d'une chasse au cerf. L'empereur salue le souverain pontife sans excès d'égards et lui fait un bout de conduite avant de le laisser poursuivre sa route jusqu'au Louvre. Si l'on en croit l'écrivain Alfred de Vigny, Pie VII aurait alors murmuré, parlant de l'empereur : «Comediante, tragediante !»
La veille du sacre, Joséphine, qui veut éviter une répudiation, lui confesse qu'elle n'a été mariée que civilement à l'empereur. Aussitôt, Pie VII fait réveiller l'empereur et impose au couple de régulariser son union devant Dieu. Le mariage a lieu en catimini, sans témoins, dans la chapelle des Tuileries, pendant la nuit, en présence du cardinal Fesch, oncle de l'empereur.
En dépit de toutes les couleuvres avalées, le pape repartira bredouille, sans avoir rien obtenu de Napoléon, et les relations entre les deux hommes ne tarderont pas à se dégrader très vite...
Le sacre
La cérémonie du sacre est ordonnancée par le peintre Jacques-Louis David (55 ans), adepte du néo-classicisme et du retour au style antique. Député à la Convention et ami de Robespierre, il avait voté la mort du roi Louis XVI. Rallié à Bonaparte, il devient le peintre officiel de l'Empire après l'avoir été de la Révolution.
Jacques-Louis David (autoportrait)
Avec le peintre Jean-Baptiste Isabey, David conçoit des costumes chamarrés pour les parvenus et les rudes soldats devenus maréchaux d'Empire ou dignitaires qui doivent assister au sacre. L'empereur lui-même devra traîner un manteau de 22 mètres.
Dès le matin, à partir de 6 heures, les plus hauts gradés de l'armée et de la garde nationale, suivis des dignitaires, magistrats, sénateurs... commencent à se rendre à pied de la place Dauphine à Notre-Dame pour prendre leur place dans la nef.
Le pape, à son tour, se rend à la cathédrale, acclamé par la foule.
Puis vient le tour de Napoléon et Joséphine qui quittent en carrosse leur palais des Tuileries. Leur convoi compte pas moins de 25 voitures. Il est accompagné de six régiments de cavalerie.
Le cortège impérial se rendant à Notre-Dame par Jacques Bertaux (musée Carnavalet)
La cathédrale est comble. Parmi les assistants du premier rang figurent beaucoup d'anciens révolutionnaires qui n'ont jamais caché leur athéisme militant. Certains, comme Fouché, le ministre de la Police générale, se sont signalés pendant la Terreur dans des massacres ignobles d'ecclésiastiques et de religieux.
La cérémonie est quelque peu brouillonne et totalement dénuée de spiritualité et de recueillement. Elle s'éternise pendant trois longues heures dans le froid vif de décembre. Pïe VII donne l'onction à Napoléon et Joséphine, humectant d'huile sainte leur front et leurs deux mains. Après la messe, il bénit les emblèmes impériaux : anneau, épée et manteau.
Le pape n'est pas au-dessus de l'empereur !
Comme convenu avec le malheureux pape, Napoléon 1er se couronne lui-même, debout, face à l'assistance, selon un rite carolingien, puis il couronne l'impératrice.
NB : Adolphe Thiers répandra plus tard la légende selon laquelle Napoléon, refusant d'être couronné par le pape, aurait saisi la couronne par surprise et l'aurait lui-même posée sur sa tête...
Le souverain pontife se retire dans la sacristie et, en son absence, le nouvel empereur prête serment sur l'Évangile (!) de préserver tous les acquis de la Révolution : «Je jure de maintenir l'intégrité du territoire de la République, de respecter et de faire respecter l'égalité des droits, la liberté politique et civile, l'irrévocabilité des ventes de biens nationaux, de ne lever aucun impôt, de n'établir aucune taxe qu'en vertu de la loi, de maintenir l'institution de la Légion d'honneur, de gouverner dans la seule vue de l'intérêt, du bonheur et de la gloire du peuple français».
Tandis que le cortège, passablement soulagé, quitte la cathédrale, salué par cent un coups de canon, la fanfare militaire attaque un air canaille à la mode : «Jamais je n't'ai vu comme ça / Faire des bamboches...». Cet imprévu de quelques instants est un pied de nez au caractère sacrilège de la cérémonie, ni chrétienne ni républicaine («une capucinade», disent les soldats de la Révolution)!
Inventaire
Le peuple et l'armée considèrent le sacre sans enthousiasme ou avec ironie. À part Londres, en guerre contre la France, toutes les capitales européennes reconnaissent à contrecoeur le titre impérial de Napoléon, y compris Saint-Pétersbourg (Russie) qui a pris le deuil après l'exécution du duc d'Enghien. Notons que l'archiduc d'Autriche François II de Habsbourg-Lorraine (par ailleurs titulaire du Saint Empire romain germanique) a pris lui-même le titre d'empereurd'Autriche, sous le nom de François 1er, pour se rehausser face au parvenu corse.
Parmi les oppositions les plus notables, relevons celle de Ludwig van Beethoven. Enthousiasmé par la Révolution française et les succès du Premier Consul, le compositeur allemand a conçu en l'honneur de ce dernier la Symphonie Bonaparte. Apprenant le sacre, il rebaptise de dépit son oeuvre Symphonie héroïque. C'est sous ce nom qu'elle est aujourd'hui appréciée.
La suite montre que le sacre n'aura en rien servi à la stabilité du nouveau régime. En 1812, pendant la campagne de Russie, le général Malet lance le bruit de la mort de l'empereur et tente de constituer un nouveau gouvernement sans que personne ne songe à remplacer Napoléon par le petit Roi de Rome, son fils.
Il nous reste du sacre une toile grandiose, au moins par ses dimensions (6 mètres sur 9). Elle est l'oeuvre du peintre David qui a reçu de l'empereur l'ordre de fixer pour l'éternité le souvenir de cet événement, tâche dont il s'est acquitté en prenant de grandes libertés avec la réalité, jusqu'à faire figurer au centre de la toile la mère de l'empereur qui avait préféré rester en Italie plutôt que d'assister au couronnement (elle en voulait à Napoléon de s'être brouillé avec son frère Lucien, absent lui aussi, de même que Jérôme) !
Le sacre de l'empereur Napoléon Ier par Jacques-Louis David (1748-1825), musée du Louvre
En voyant cette oeuvre immense dans l'atelier du peintre, deux ans après le sacre, l'empereur aurait eu ces mots : «Que cela est grand ! Ce n'est pas une peinture : on marche dans ce tableau». La toile est aujourd'hui visible au Louvre.
Fabienne Manière
2 décembre 1805
Napoléon triomphe au soleil d'Austerlitz
Le 2 décembre 1805, un an jour pour jour après son sacre, l'empereur Napoléon 1er remporte à Austerlitz sa victoire la plus éclatante.
En quelques heures, sous un soleil hors saison, il vainc deux autres empereurs, Alexandre 1er, tsar de Russie, et François II de Habsbourg-Lorraine, empereur d'Autriche et titulaire du Saint Empire romain germanique (ou empereur d'Allemagne). Austerlitz est appelée pour cela bataille des Trois empereurs.
Napoléon 1er est en partie redevable de son triomphe à la chance et à un brouillard matinal qui a caché ses mouvements à l'ennemi.
Prémices de la bataille
Au milieu de l'année 1805, ayant réuni à Boulogne son armée dite «des Côtes-de-l'Océan» - au total 200.000 hommes -, Napoléon s'aperçoit qu'il ne peut pas compter sur l'appui de sa flotte pour envahir l'Angleterre. C'est le moment où une troisième coalition se forme contre la France. «Ne pouvant frapper la tête de la coalition, l'Angleterre, Napoléon en frappera le bras, l'Autriche» (Jean Tulard, Les révolutions).
Le 3 septembre, renonçant à traverser la Manche, l'empereur entraîne à grandes enjambées la «Grande Armée» à la rencontre des armées austro-russes. Au total sept corps d'armée ainsi que la Garde impériale et la cavalerie de Murat.
Napoléon 1er vainc les Autrichiens du général Mack à Ulm, en Bavière, le 20 octobre (au même moment, la flotte franco-espagnole est anéantie à Trafalgar, ruinant tout espoir de soumettre l'Angleterre). Poursuivant les restes de l'armée autrichienne, l'empereur entre triomphalement à Vienne le 14 novembre (c'est la première fois de son Histoire que la capitale des Habsbourg doit s'incliner devant un conquérant).
Pendant ce temps, le général russe Koutouzov, qui avait tenté de rejoindre le général Mack à Ulm, se replie au-delà du Danube. Son arrière-garde est accrochée par Murat à Hollabrunn, le 16 novembre, mais se retire en bon ordre après un affrontement meurtrier.
Le piège
L'armée française, toujours à la poursuite de l'armée austro-russe, dépasse Vienne et entre le 19 novembre à Brünn (aujourd'hui, Brno, chef-lieu de la Moravie, en république tchèque).
Ses premières lignes atteignent et dépassent le village d'Austerlitz, 9 kilomètres plus loin.
Face à elle, 73.000 à 86.000 Austro-Russes (les historiens divergent sur le chiffre), sous le commandement du vieux général russe Koutouzov et du prince autrichien Jean de Liechtenstein.
En infériorité numérique, les Français, malgré leur avance foudroyante, sont dans une situation inconfortable, d'autant qu'une armée autrichienne menace d'arriver d'Italie sous le commandement de l'archiduc Charles.
Napoléon 1er veut contraindre l'ennemi à la faute pour le vaincre dès que possible. Dès le 21 novembre, il reconnaît les environs d'Austerlitz et déclare à ses aides de camp et officiers d'ordonnance stupéfaits : «Jeunes gens, étudiez bien ce terrain, nous nous y battrons».
Le 28 novembre, à la surprise de ses maréchaux, l'empereur demande à Murat, Lannes et Soult d'abandonner le plateau du Pratzen, de haute valeur tactique. Cette manoeuvre de repli, venant après une marche résolument agressive, apparaît aux yeux des coalisés comme un aveu de faiblesse.
Le 29 novembre, Napoléon, de mauvaise humeur, reçoit le prince Dolgorouky et lui propose un armistice. Mais les Russes se montrent trop exigeants et le dialogue est rompu. La bataille aura donc lieu à l'endroit souhaité par l'empereur, avant que les Austro-Russes aient le temps d'y concentrer toutes leurs forces.
Le lendemain, l'empereur poursuit sa visite des environs d'Austerlitz. Sur le plateau du Pratzen, il lance : «Si je voulais empêcher l'ennemi de passer, c'est ici que je me mettrais ; mais je n'aurais qu'une bataille ordinaire. Si, au contraire, je refuse ma droite en la retirant vers Brt que les Russes abandonnent ces hauteurs, fussent-ils 300.000 hommes, ils sont pris en flagrant délit et perdus sans ressources». Ainsi vont se passer les choses...
Bivouac de Napoléon à la veille d'Austerlitz (par Louis Le Jeune 1808)
Le grand jeu
Le 1er décembre, l'empereur peut compter sur 75.000 hommes et 157 canons. Son armée inclut la Garde Impériale de Bessières, la division d'élite de Oudinot, la réserve de cavalerie de Murat, les corps de Bernadotte, Soult et Lannes. Le corps de Davout arrive de Vienne à marche forcée. L'essentiel est positionné entre le Pratzen et Brünn.
Au sud du dispositif, l'aile droite fait figure de parent pauvre... et de proie facile : elle ne comporte que la brigade Legrand du IVe corps puis deux autres brigades, celles de Saint Hilaire et Vandamme, face au Pratzen. Davout lui-même donne l'impression de se retirer. Plus loin derrière, Oudinot et la Garde impériale. Plus au nord, les maréchaux Lannes et Murat barrent la route de Brünn. Derrière eux se tiennent les troupes du maréchal Bernadotte.
Les coalisés, qui tiennent maintenant le Pratzen, aspirent à reprendre l'avantage sur cette armée que le tsar Alexandre 1er perçoit hésitante. Seul contre tous les autres généraux, Koutouzov a deviné la ruse de Napoléon mais ses avertissements ne sont pas entendus.
Le chef d'état-major autrichien Weyrother propose un plan de bataille pour la journée du 2 décembre. Quatre colonnes, sous le commandement de Buxdowen, descendront du Pratzen et attaqueront la partie la plus faible du dispositif français, soit l'aile droite, au sud. Elles empêcheront ainsi les Français de se replier vers Vienne.
Plus au nord, le maréchal Bagration, qui commande l'avant-garde russe, et la cavalerie du prince Liechtenstein enfonceront les positions françaises et pousseront droit devant, vers Brünn. La garde impériale du duc Constantine - le frère du tsar - restera en réserve.
Dès le soir du 1er décembre, du tertre d'où il observe le futur champ de bataille, Napoléon perçoit les premières manoeuvres de Buxdowen en vue de tourner sa droite. Il se frotte les mains : «Avant demain soir, cette armée est à moi...» La nuit se passe à attendre dans un bivouac qu'illuminent les flambeaux de paille des soldats, soucieux d'éclairer l'empereur au gré de sa tournée d'inspection.
Le plateau du Pratzen
Au petit matin, comme prévu, les 40.000 hommes du général Buxdowen descendent du plateau du Pratzen pour attaquer le dispositif français du côté des villages de Telnitz et Sokolnitz.
Celui-ci résiste, flotte puis rompt. Heureusement, un ruisseau, le Goldbach, freine la progression des fantassins et empêche le passage des canons.
Davout arrive à point nommé de Vienne vers le milieu de la matinée pour prêter main forte à la division Legrand. Les Français reconstituent leurs forces après un engagement qui aura duré 3 heures.
Au centre, tapies dans le brouillard, deux divisions de Soult attendent. Elles vont décider du sort de la journée. Une brigade commandée par Saint-Hilaire tombe sur le flanc des colonnes ennemies qui descendent du plateau. Une autre brigade, commandée par Vandamme, se lance vers les hauteurs de Staré Vinohrady.
Trois régiments de Saint-Hilaire, sortant du brouillard, bousculent la tête de la IVe colonne de Miloradovich et s'établissent sur les hauteurs du Pratzen, protégés par la forte pente.
De leur côté, sept régiments de Vandamme (sa brigade et deux régiments détachés de la brigade Saint-Hilaire) progressent plus au nord. Ils culbutent le reste de la colonne de Miloradovich et se rendent maître de leur objectif, les hauteurs de Staré Vinohrady, dès 11 heures.
Les fusiliers de la Garde impériale russe tentent une violente contre-attaque contre le Pratzen. Le 4e de ligne rompt sa formation, déroute puis se rallie. Il se met en carré pour affronter les cuirassiers russes. La rencontre paraît tourner à l'avantage de ceux-ci. Mais c'est sans compter avec Napoléon 1er. Accompagné de son état-major et de sa propre Garde, il fait mouvement dans la zone de combat. Les cavaleries des deux empereurs s'affrontent en un duel qui va durer un quart d'heure. Les Français l'emportent. La Garde russe se désorganise. La lutte pour le Pratzen est terminée.
Le hallali
Pendant ce temps, l'aile droite russe, qui se bat depuis 10 heures, est empêchée d'intervenir par Lannes et Murat. Commandée par Bagration et Liechtenstein, elle livre une bataille dans la bataille.
Le lieu, relativement plat, est propice à l'affrontement des cavaliers. La cavalerie légère de Kellerman se heurte à plusieurs reprises à celle de Liechtenstein, puis arrivent les cuirassiers de la division lourde de Nansouty qui donnent l'avantage aux Français.
Austerlitz, estampe de J.Rugendas (musée de l'Armée, Paris)
Bagration, enfin, prend la décision de se retirer en bon ordre sous la pression conjuguée de l'infanterie et de la cavalerie lourde d'Hautpoul. Il en reste un regret pour Napoléon 1er : Bernadotte n'a pas su ou pas voulu exploiter la situation. S'il s'était avancé sur la route d'Austerlitz à Ozeitsch, il aurait empêché la retraite de l'aile droite russe.
Retour au centre pour en finir. Napoléon ordonne à sa Garde et aux deux divisions de Soult installées sur le Pratzen un mouvement en pivot afin de tomber sur l'aile gauche ennemie. Cette dernière se retrouve de la sorte dans une situation impossible, face à Davout et Legrand, et poussée par les divisions qui redescendent du Pratzen.
La cavalerie russe couvre la fuite d'une partie des quatre colonnes. Des soldats de celles-ci entreprennent de traverser le lac gelé de Satschan dont la glace va se rompre, bombardée par l'artillerie de la Garde. Ils se noient tristement. Toutefois, le nombre de ces victimes ne s'élève pas à dix mille comme annoncé dans le 30e Bulletin de la Grande Armée mais à quelques centaines.
Koutouzov se retire vers le nord, tandis que Murat, une fois de plus, poursuit ses arrière-gardes. Il ne reste plus à la Garde impériale commandée par Bessières qu'à compléter la victoire, tandis que se lève un splendide soleil, en milieu de journée.
Entrée dans la légende
Les pertes des alliés austro-russes sont très lourdes, au total 29.000 soldats hors de combat, dont 7.000 tués. Côté armement, 183 pièces d'artillerie ont été abandonnées, dont 149 par les Russes.
Chez les Français, les pertes sont des plus limitées. 8.279 soldats hors de combat dont 1.288 morts. Quant au Corps de Bernadotte, on peut juger de son faible investissement dans la bataille : 20 tués, davantage cependant que chez les fantassins de la réserve (Garde impériale et grenadiers d'Oudinot) qui n'ont pas été véritablement engagés.
Alexandre 1er et François II se rencontrent le 3 décembre pour évaluer la situation: l'armée coalisée ne compte plus que 44.000 hommes avec un moral comme ce temps d'hiver. A deux jours de route, les 15.000 hommes disponibles ne suffiraient pas à reconstituer une armée. L'artillerie est décimée, la défaite totale.
Le 6 décembre, au château d'Austerlitz, Berthier et von Liechtenstein signent le cessez-le feu. La diplomatie reprend ses droits. Le 26 décembre, l'Autriche conclut la paix à Presbourg (aujourd'hui Bratislava, en Slovaquie). C'est la fin de la troisième coalition. Vienne se défait de la Vénétie et d'une partie du Tyrol.
Par un article secret, l'empereur François II renonce définitivement au titre symbolique d'empereur romain germanique. Six mois plus tard, le 12 juillet 1806, il deviendra officiellement empereur d'Autriche sous le nom de François 1er. C'en sera fini du Saint Empire romain germanique.
La Prusse qui, à la veille de la bataille d'Austerlitz, s'apprêtait à se joindre à la coalition, s'en tire bien. Elle signe un traité d'échange de territoires avec la France le 15 décembre. Les conquêtes continentales de la France prennent une dimension insoupçonnée, débordant largement le cadre des frontières naturelles.
La légende retiendra d'Austerlitz la harangue de Napoléon 1er à ses troupes :
«Soldats, je suis content de vous. Je vous ramènerai en France. Là, vous serez l'objet de mes plus tendres sollicitudes. Mon peuple vous reverra avec joie et il vous suffira de dire : j'étais à la bataille d'Austerlitz pour que l'on vous réponde : voilà un brave !»
50 drapeaux enlevés à l'ennemi vont orner la voûte de l'église Saint-Louis des Invalides. Le bronze des 180 canons ennemis est employé pour fondre la colonne Vendôme, à Paris (il s'agit d'une copie de l'antique colonne Trajane qui célèbre à Rome la victoire de l'empereur romain sur les Daces).
Jean-Michel Mathé.
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