9 décembre 1893
Une bombe à la Chambre !
Le 9 décembre 1893, une bombe explose dans l'hémicycle de la Chambre des députés, à Paris. Panique, cris. Nombreux députés blessés.
André Larané.
Une bombe à l'Assemblée (gravure du Petit Journal)
Plus de peur que de mal
De la tribune du Palais-Bourbon, le président Charles Dupuy lance dans le brouhaha ambiant : «Messieurs, la séance continue !» Un instant plus tard, il ajoute avec l'emphase coutumière de l'époque : «Il est de la dignité de la Chambre et de la République que de pareils attentats, d'où qu'ils viennent et dont, d'ailleurs, nous ne connaissons pas la cause, ne troublent pas les législateurs».
Auguste Vaillant, qui a lancé la bombe, est arrêté. Âgé de 33 ans, celui que l'on surnomme Marchal est un marginal : abandonné seul à Paris à 12 ans, il a accumulé les petits métiers avant de se lancer dans la lutte politique pour faire entendre «le cri de toute une classe qui revendique ses droits». Comme il le souligne lors de son procès, il n'a pas cherché à tuer, et d'ailleurs la bombe n'a fait que des blessés.
Condamné à mort, il est exécuté le 5 février 1894. De sa mort naîtront une chanson, La Complainte de Vaillant, mais aussi une série de lois répressives (les «lois scélérates»), à l'initiative du parlementaire Jean Casimir-Perier... et une nouvelle vague d'attentats !
Flambée anarchiste
L'attentat manqué de la Chambre est une illustration spectaculaire de la violence anarchiste qui frappe l'Occident dans la dernière décennie du XIXe siècle... comme le terrorisme rouge dans les années 1970 et le terrorisme islamique aux alentours de l'an 2000.
Cette flambée d'anarchisme prétend s'inspirer des enseignements de Proudhon et de Bakounine, penseurs en rupture avec le socialisme. Elle reflète en France un malaise marqué par le scandale de Panama, l'affaire Dreyfus, les menées chauvinistes et revanchardes, les rivalités coloniales avec l'Angleterre et la volonté d'en découdre avec l'Allemagne.
François Ravachol est l'une des premières figures de cette flambée terroriste. D'abord simple délinquant et criminel crapuleux, il rejoint l'anarchisme en 1891. L'année suivante, il participe à quatre attentats à la dynamite en différents lieux de la capitale. Lors de son procès, il lance à la Cour : «La société est pourrie». Il est guillotiné à 33 ans le 11 juillet 1892. C'est pour le venger que Vaillant se justifiera d'avoir posé une bombe à la Chambre !...
François Ravachol (1859-1892) après son arrestation
Les exploits de Ravachol vont aussi inspirer un autre anarchiste, Émile Henry. Ce jeune intellectuel brillant, recalé à l'oral de Polytechnique, est d'abord hostile au terrorisme aveugle mais modifie son jugement initial devant l'impact médiatique des attentats de Ravachol. Le 8 novembre 1892, il dépose une bombe à la société des Mines de Carmaux, à Paris. L'engin est repéré par un employé et transporté au commissariat de la rue des Bons Enfants. Là, il explose, tuant cinq policiers !
Henry frappe encore le 12 février 1894 les paisibles clients du café Le Terminus. Une vingtaine de personnes sont blessées et l'une d'elles décédera peu après. Arrêté, le terroriste, qui n'a encore que 21 ans, se justifie en lançant : «Il n'y a pas d'innocents !»
Condamné à la peine capitale, Henry est exécuté place de la Roquette, le 21 mai 1894. Sa détermination, doublée d'une absence quasi totale d'émotion, fait de lui selon Georges Clemenceau, le «Saint-Just de l'Anarchie». Un mois à peine après son exécution, le 24 juin 1894, un autre anarchiste, l'Italien Caserio, assassine le président Sadi Carnot à Lyon en réplique aux «lois scélérates» !
Caractéristique de cette époque que l'on qualifiera après la Grande Guerre de «Belle époque» avec un soupçon de nostalgie, l'anarchisme n'est pas limité à la France...
Le 10 septembre 1898, à Genève, un anarchiste italien assassine une vieille dame. Il s'agit d'Élisabeth de Wittelsbach, épouse de François-Joseph 1er de Habsbourg, impératrice d'Autriche et reine de Hongrie, affectueusement surnommée «Sissi». Le 29 juillet 1900, c'est au tour du roi d'Italie Humbert Ier d'être assassiné à Monza par un anarchiste, Bresci, venu des États-Unis pour «venger» les ouvriers tombés lors des émeutes de Milan, en 1898.
Pour ne pas s'arrêter en si bon chemin, voilà que le président américain William McKinley est agressé à son tour par un anarchiste, Léon Czolgosz, le 6 septembre 1901 à Buffalo (État de New York). Il meurt une semaine plus tard, le 14 septembre. Le président avait bien mérité de sa patrie en engageant celle-ci dans la guerre contre l'Espagne, une promenade de santé qui s'était soldée par la prise des Philippines, de Guam et de Porto-Rico.
http://www.herodote.net/9_decembre_1893 ... 931209.php
9 décembre 1905
Séparation des Églises et de l'État
Le 9 décembre 1905, le député socialiste Aristide Briand (43 ans) fait voter la loi concernant la séparation des Églises et de l'État.
C'est le début de la fin dans le conflit virulent qui oppose les gouvernements de la IIIe République à l'Église catholique.
La loi s'applique aux quatre confessions alors représentées en France : le catholicisme, la confession d'Augsbourg (les protestants luthériens), les réformés (les protestants calvinistes) et les israélites. Elle clôture 25 ans de violentes tensions entre le pouvoir républicain et l'Église catholique, l'un et l'autre se disputant le magistère moral sur la société.
Alsace-Lorraine et Concordat
L'Alsace-Moselle, au moment de la loi de séparation, faisait partie de l'Empire allemand. Après son retour à la France, en 1918, elle a obtenu de rester sous le régime du Concordat de 1801-1802.
De ce fait, les ministres des cultes des trois départements de l'Est (curés, pasteurs et rabbins) jouissent encore à ce jour d'un traitement et d'un statut de fonctionnaire. Les évêques sont eux-mêmes nommés par le ministre de l'Intérieur qui est aussi en France le ministre des cultes.
Les enjeux de la laïcité
Au tournant du XXe siècle, en France, les partisans de la laïcité, autrement dit de la séparation des affaires religieuses et politiques, se partagent en deux camps :
– Les premiers, héritiers de la tradition jacobine, souvent adeptes de la franc-maçonnerie, rêvent d'éradiquer la religion chrétienne ou de la confiner dans le domaine strictement privé,
– Les seconds (Jean Jaurès, Aristide Briand...) veulent d'une part affirmer la neutralité de l'État à l'égard de toutes les croyances, d'autre part garantir la liberté de conscience de chacun en conformité avec la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.
Dans un premier temps, les anticléricaux l'emportent avec l'accession à la présidence du Conseil d'Émile Combes le 7 juin 1902, sous la présidence d'Émile Loubet.
Le nouveau chef du gouvernement rallume la guerre religieuse en fermant avec une brutalité sans nuances les écoles religieuses et en interdisant d'enseignement les prêtres des congrégations le 7 juillet 1904. Mais le scandale de l'«affaire des fiches» lui vaut d'être remplacé le 24 janvier 1905 à la présidence du Conseil par Maurice Rouvier (63 ans). Celui-ci a commencé sa carrière à l'ombre de Léon Gambetta.
Maurice Rouvier (1842-1911)
Bon orateur et représentant éminent du groupe dit «opportuniste» (républicains modérés opposés aux «radicaux»), Rouvier cultive de bonnes relations avec les milieux d'affaires comme avec la gauche républicaine. C'est donc à lui que va incomber le vote et la mise en oeuvre de la loi de séparation des Églises et de l'État. Il va être soutenu par le rapporteur Aristide Briand, lequel va apaiser les esprits et obtenir le vote de la loi en déployant une éloquence charmeuse.
Une loi de conciliation
La loi de séparation met fin unilatéralement au Concordat napoléonien de 1801 qui régissait les rapports entre le gouvernement français et l'Église catholique.
Elle proclame la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes :
-Article 1er : «la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes...».
- Article 2 : «La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte...»
Aristide Briand à l'Assemblée
Par cette loi, l'État manifeste sa volonté de neutralité religieuse mais ne s'exonère pas de ses responsabilités. Il veut «garantir» à chacun les moyens d'exercer librement sa religion dans le respect de celles d'autrui. C'est dans cet esprit que sont instituées des aumôneries dans les milieux fermés (casernes, lycées, prisons, hôpitaux)... et, plus tard, des émissions religieuses sur les chaînes publiques de télévision.
L'État n'entend en aucune façon limiter la liberté de conscience ni cantonner la religion à la sphère privée (il n'est pas question par exemple d'interdire le port d'insignes religieux !).
Sur le plan financier, la loi a deux conséquences majeures :
– Les ministres des cultes (évêques, prêtres, pasteurs, rabbins...) ne sont plus rémunérés par l'État et celui-ci se désintéresse totalement de leur nomination,
– Les biens détenus précédemment par les Églises deviennent la propriété de l'État mais celui-ci se réserve le droit de les confier gratuitement aux représentants des Églises en vue de l'exercice du culte.
Les partisans d'une laïcité intransigeante perçoivent la loi comme une avancée vers la destruction du fait religieux ! Ainsi, le 8 novembre 1906, elle est saluée par une mémorable envolée à la Chambre des députés : «Ensemble, d'un geste magnifique, nousavons éteint dans le ciel des étoiles qu'on ne rallumera plus». L'auteur est le député socialiste René Viviani qui, devenu plus tard président du Conseil, engagera la France dans la Grande Guerre.
En fait, l'opération va s'avérer plutôt profitable pour les Églises (mais on ne s'en apercevra que bien plus tard). En effet, d'une part, les ministres du culte et en particulier les évêques vont gagner en indépendance, n'étant plus tenus de rendre des comptes à l'administration. D'autre part, les Églises ne vont plus avoir à leur charge l'entretien très coûteux des édifices religieux (cathédrales, églises, temples...) préexistant à la loi de 1905. Elles ne devront plus assurer que l'entretien courant de ces édifices... Quant à ceux qu'elles seront amenées à construire après la loi de 1905, ils seront leur propriété pleine et entière.
Menace sur la paix religieuse
L'inventaire des biens ecclésiastiques, nécessaire pour l'exécution de la loi, est d'abord mené avec mesquinerie. Une circulaire du 2 janvier 1906 oblige en particulier les prêtres à ouvrir les tabernacles pour faire l'inventaire des vases sacrés. Beaucoup de catholiques y voient une forme de profanation et craignent que la mesure n'encourage les vols et les spoliations. En de nombreux endroits, surtout en Bretagne, les inventaires effectués sans ménagement réveillent les rancoeurs et entraînent une nouvelle fois le pays au bord de la guerre civile.
Le pape Pie X ne fait rien pour arranger les choses. Ulcéré par le caractère unilatéral de la loi de séparation (le Saint-Siège n'a pas été consulté), il interdit aux catholiques de former les «associations cultuelles» prévues par le texte pour l'utilisation gratuite des édifices religieux devenus propriété de l'État. C'est ainsi que, faute de trouver preneur, de nombreux bâtiments sont récupérés par l'État pour y installer ses propres administrations !
L'expulsion des moines de la Grande Chartreuse(Isère), les moines passent devant les troupes
Vers l'apaisement
Armand Fallières, élu président de la République le 17 janvier 1906, forme un nouveau gouvernement le 13 mars 1906 avec le transparent Ferdinand Sarrien à la présidence du Conseil, l'énergique Georges Clemenceau à l'Intérieur et le diplomate Aristide Briand à l'Instruction publique et aux Cultes.
Le 18 octobre 1906, Georges Clemenceau accède à son tour à la présidence du Conseil. Il apaise les tensions et ramène la concorde.
Par la loi du 2 janvier 1907 concernant l'exercice public du culte, il règle la question des édifices appartenant aux évêchés et aux «fabriques» (ainsi appelait-on les associations catholiques qui géraient les biens paroissiaux). Plus de 30.000 édifices sont finalement mis gratuitement à la disposition des Églises.
Le 28 mars 1907, une nouvelle loi autorise les croyants à se réunir sans déclaration préalable. Les sonneries de cloches sont autorisées. D'une manière générale, la jurisprudence administrative légitime les manifestations publiques qui satisfont à des traditions locales et à des habitudes (enterrements religieux...).
Après la Première Guerre mondiale, le gouvernement veut prolonger dans la paix l'union de tous les Français. Il décide tout à la fois de transférer au Panthéon le coeur de Gambetta, illustre fondateur de la République, et d'honorer le souvenir de Jeanne d'Arc en proclamant fête nationale le deuxième dimanche de mai.
Les relations diplomatiques sont rétablies entre Paris et le Vatican. Le pape Benoît XV promet de consulter Paris avant la nomination des évêques.
L'État français, de son côté, concède aux associations diocésaines placées sous l'autorité des évêques le statut d'«associations cultuelles». Autrement dit, il reconnaît les évêques comme des interlocuteurs légitimes.
La guerre religieuse menace de se rallumer après le succès du Cartel des gauches, une coalition de socialistes et de radicaux, aux élections législatives du 11 mai 1924. Mais les évêques mobilisent les catholiques avec le concours du général de Castelnau, héros de la Grande Guerre, et le gouvernement renonce à remettre en cause les arrangements antérieurs.
La paix religieuse est consolidée et l'anticléricalisme militant finit par décliner cependant que les Églises retrouvent, avec leur liberté, une nouvelle vigueur.
André Larané.
http://www.herodote.net/9_decembre_1905 ... 051209.php
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