Sargon
Je dois reconnaître une erreur dans mon post précédent. Il aurait fallu dire : avant la Haskala, et non avant le sionisme.
1- De la Haskala au sionisme.
Avant la Haskala, il existe bien évidemment des bons et mauvais juifs. Comment en juge-t-on alors ? Par le respect du culte que le juif rend à Dieu, son orthopraxie, qui dépend de sa doctrine : qu'il doit connaître et accepter, condition la plupart du temps requise pour qu'il serve. Un bon juif respecte tous ses commandements. Un mauvais juif ne les respecte pas. Comment est-il traité par la communauté juive ? Je ne connais pas toutes les mesures de coercition des communautés juives. Toutefois, ils connaissent aussi l'excommunication, pour les pires juifs, ceux qui mettent la communauté en danger. Spinoza est banni de sa communauté juive d'Amsterdam, dans les années 1650.
Qu'est-ce que la Haskala ? Les lumières juives. Mendelssohn, comme les autres maskilim, appelle si je me souviens bien les juifs à sortir de leur ghetto, à s'intégrer dans les sociétés dans lesquelles ils vivent ; une intégration, qui oblige les juifs à adopter une attitude plus libérale en matière de religion, en premier lieu l'idée de tolérance. En fait, le juif est las de sa condition de paria : il entend vivre en français, ou russe, avant de vivre en juif, être accepté. Une question se pose : le juif peut-il être français ou russe, alors qu'il est déjà du peuple juif ? Peut-il être Gentil-Juif ? Curieux, n'est-ce pas ? Quelle loi reconnaîtra-t-il en priorité : celle de la Torah ou celle de la nation dans laquelle il veut s'assimiler ?
Qu'est-ce alors qu'un juif dit libéral ? Un juif qui au nom de la souveraineté de l'individu sur lui-même, du libre – examen, commence à faire le tri dans sa religion, ce qui lui plaît, ce qui lui déplaît : l'homme en tant qu'individu prime sur l'observance du culte qu'il doit à Dieu. Au bout de quelques générations, le juif libéral, le "fidèle" j'entends, ne sert presque plus, ne connaît quasiment plus non plus.
Mais, le juif, fin XIXème, est déçu de sa situation. Il constate qu'il n'est toujours pas accepté, toujours persécuté même selon les pays. Puisqu'il ne semble pas possible de vivre en sécurité dans les pays européens, qu'il ne peut parfois s'y faire une condition, il trouve alors comme autre solution : migrer vers la terre de ses pères, l'aliyah. La première aliyah suit directement les pogroms des années 1880 dans l'Empire russe ; la deuxième, les pogroms de Kishinev après 1903.
Le sionisme est effectivement théorisé entre-temps, par Herzl, journaliste en France, au moment de l'affaire Dreyfus, un autre symptôme pour beaucoup de juifs de l'échec de l'intégration des juifs dans les nations européennes, de la montée même de l'antisémitisme. Les congrès sionistes se réunissent à la fin des années 1890.
Insistons bien. Pourquoi le sionisme naît-il ? En raison de l'échec de l'intégration des juifs dans les sociétés européennes. Voilà ce dont je me souviens, résumé succinctement.
2- Nation contre religion.
Qu'est-ce que le sionisme ? un nationalisme. Le juif revendique le droit de sa nation à l'autodétermination : le droit de son peuple à disposer de lui-même, qui suppose autant une terre, sur laquelle il sera souverain, que le fait de pouvoir choisir sa forme de gouvernement. L'autodétermination suppose une conception du peuple – ou nation - moderne, entendue comme un corps collectif, une âme ou simili-âme du peuple, une volonté. Même dans la question du gouvernement, Israël est une démocratie à l'occidentale, pas un régime fondée sur la loi juive, écrite ou orale.
Le sioniste entend récupérer la terre de ses pères, sa patrie. Son peuple est pour lui uni par une histoire et une culture communes, un destin partagé, idée toujours moderne. La religion juive n'est plus le lien qui unit les juifs entre eux, fait la nation juive. Il n'est plus question d'être le peuple de prêtres, le peuple saint qui a vocation à défendre la vraie religion, en vertu de son élection par Dieu.
Reprenons le cas Spinoza, assez révélateur : son herem mentionne qu'il est « exclu de la nation Israël », un soulagement pour le philosophe ; le juif, nationaliste ou patriote d'aujourd'hui souhaite sa réhabilitation, car il le tient pour un grand de l'histoire culturelle juive ! L'ancien le maudit, le moderne l'admire ! De la damnatio memoriae à l'apothéose, parce qu'il est désormais possible d'être « juif » et « panthéiste », comme on peut être juif et « laïque » plus généralement !
En d'autres termes, un phénomène vous a échappé me semble-t-il : deux principes s'opposent pour définir le juif, et le peuple juif : la religion juive, contre la nation moderne, conflit entre deux conceptions différentes qui explique la confusion qui règne. Si la nation ne cesse d'oblitérer le judaïsme, et pousse à une redéfinition de la qualité de juif, ne peut-elle pas le détruire ?
J'en juge ainsi grâce à mon érudition, pas grâce à une véritable connaissance de la doctrine du judaïsme, car pour la connaître, il faudrait l'étudier si ce n'est comme un rabbin, au moins comme l'homme juif qui est toujours fidèle à sa religion.