Faut-il sortir de l’euro ? Comment s’affranchir de l’eurolibéralisme sans sortir de l’Union européenne ?
Constat :
L’union monétaire n’est pas aujourd’hui l’instrument de coopération qui renforce la capacité des peuples à surmonter les crises et à progresser de concert.
Dans ce contexte, il y a une montée légitime d’une protestation contre le fonctionnement de l’union monétaire.
Jusqu’en 2008, la BCE a mené une politique monétaire excessivement rigoureuse, source de sous-activité et de chômage, et responsable d’une surévaluation de l’euro qui pénalise gravement l’économie française comme celle des autres pays du sud de l’Europe.
La zone euro est actuellement une zone de désunion des peuples, qui dressent les travailleurs les uns contre les autres, rogne leur pouvoir d’achat, restreints leurs droits sociaux et dégrade leur services publics.
En 2008, lorsqu’est survenue la crise financière internationale et à sa suite la crise des dettes publiques, l’union monétaire n’a pas servi à protéger les pays des spéculateurs sur le marché des obligations. Au lieu de jouer un rôle protecteur, l’UE a imposé de faire payer la crise aux travailleurs en conditionnant le soutien financier à des cures d’austérité inefficaces.
Le pacte Euro-plus et le MES confirme l’automatisation de ces mécanismes d’ajustement structurel en cas de besoin de solidarité (aide financière).
Voilà l’ensemble des arguments qu’utilisent les partisans d’une sortie de l’euro, arguments qui sont totalement justes dans leur ensemble mais qui sont une résultante non pas de la monnaie commune mais des politiques associées à cette monnaie.
Choix possibles largement diffusés :
Rester dans la zone euro en se soumettant au carcan des politiques néolibérales.
Sortir de la zone euro.
Choix possible moins connu :
Transformation profonde de la zone euro.
Stopper l’utilisation de cet outil en tant que régression économique et social.
Ne pas confondre la monnaie (l’euro) et la politique mise en œuvre (capitalisme financiarisé et politiques néolibérales). Le retour à une monnaie nationale n’est pas une condition nécessaire au changement de politique mais elle n’est pas non plus liée à un changement radical de politique monétaire.
Précisions :
L’orientation de la politique monétaire n’est pas imputable à l’existence ou non d’une monnaie unique ; elle est imputable aux statuts de la banque centrale et à l’orientation idéologique de ses dirigeants (choisis par les gouvernements).
La crise de la dette publique européenne et les difficultés pour l’affronter n’ont rien à voir avec l’euro ; elles sont imputables à la libre circulation des capitaux avec le reste du monde, aux statuts de la BCE interdisant les concours directs aux besoins de financement publics, et aux politiques délibérées des gouvernements européens.
Avec ou sans euro, quelque soit le système monétaire, la déréglementation financière produit les même crises, et la volonté politique des gouvernements néolibéraux produit toujours la même stratégie d’ajustement de régression sociale.
Plus fondamentalement, la crise de la zone euro – indissociable de la crise financière internationale ouverte en 2008 – est un sous-produit du développement du capitalisme financiarisé, c’est-à-dire des pleins pouvoirs donnés aux gestionnaires de capitaux pour imposer leur volonté aux entreprises comme aux salariés, pour développement n’importe quel type de spéculation, pour bouleverser la répartition des revenus au seul avantages des plus riches.
L’exposition des banques aux produits financiers toxiques américains ne vient pas de l’euro mais d’une réglementation bancaire déficiente, et de la libre circulation des capitaux. Le maintien d’une monnaie nationale au Royaume-Uni n’a pas immunisé les banques anglaises contre l’exposition à la crise des subprimes.
Le retour à une monnaie nationale redonne automatiquement au pays la maîtrise des deux instruments perdus avec l’adhésion au traité de Maastricht : la possibilité d’agir sur le taux de change et donc de dévaluer la monnaie : la faculté de mener une politique monétaire strictement nationale. L’argument le plus fort en faveur de l’euro est assurément lié à la possibilité de dévaluer pour corriger ainsi un déficit de compétitivité. Plusieurs choses :
La longue expérience française des dévaluations compétitives (1950 – 1980) montre l’efficacité hasardeuse d’une telle stratégie. Cela commence toujours par alourdir la factures des importations incompressible à court terme, et ce, bien avant que l’effet stimulant sur les exportations se fasse sentir. La dévaluation ne corrige qu’un écart « compétitivité-prix », elle a peu d’effet sur un défaut de « compétitivité structurelle » ; en outre son éventuel effet bénéfique pour un pays suppose que les partenaires commerciaux de ce dernier ne dévaluent pas à leur tour ni ne prennent aucune mesure de rétorsion.
La France étant l’un des piliers de la zone euro (de part son PIB et sa situation géographique), une sortie de l’euro pourrait conduire à un éclatement de la zone euro. Cet éclatement pourrait conduire à une série de dévaluations qui affaibliraient le gain effectif de chaque pays et attiseraient leur rivalité. Si les pays européens accablés par le carcan néolibéral optent pour la sortie de l’euro, l’Europe risque de s’enliser plus avant dans la logique de guerre commerciale dont elle souffre déjà.
Le second argument est de penser que seul le retour à une monnaie nationale permet de retrouver une politique de crédit autonome. L’attraction spontanée exercée par cet argument vient de l’ignorance des mécanismes élémentaires de la création monétaire, et plus particulièrement d’une croyance erronée selon laquelle ce serait la banque centrale qui détiendrait le pouvoir de créer la monnaie. Or, en réalité, ce sont les banques ordinaires qui créent la monnaie en octroyant des crédits, par un simple jeu d’écritures (monnaie scripturale). Voir cette petite vidéo pour en savoir plus http://www.youtube.com/watch?v=ZE8xBzcLYRs. Dans ce système, les banques publiques ont le même pouvoir de création monétaire que n’importe quel banque privée, mais peuvent orienter leurs crédits vers des priorités définies par le gouvernement national, et ce, à des conditions plus avantageuses (du seul fait qu’elles n’ont pas besoin de prélever un profit à la charge des débiteurs). Les dernières banques ordinaires publiques ont été privatisées en 1999 en France lorsque DSK était au pouvoir.
En l’état actuel des choses, il est totalement illusoire d’espérer une réorientation radicale des politiques et des institutions européennes si l’on se contente d’attendre que tous nos partenaires soient disposés à engager une renégociation des traités. C’est pourtant la stratégie du PSOE (sociaux-démocrates et sociaux-libéraux).
Solutions :
Plus haut degré de solidarité budgétaire entre les Etats membres, et un budget européen plus important, en en sorte de pouvoir corriger les divergences structurelles et les chocs conjoncturels asymétriques qui affectent les Etats membres ;
Liberté pour chaque Etat de compenser un choc conjoncturel par le niveau de déficit public adéquat ;
Nouveau statut de la BCE lui assignant d’œuvrer au soutien de l’activité et de l’emploi avec une inflation soutenable, et dirigée par un directoire évalué par et responsable devant le Conseil européen et le Parlement européen ; Faire preuve de déterminisme au sein du gouvernement français afin de reprendre partiellement le contrôle public de la création monétaire interne, et face au risque que d’autres pays (Espagne, Portugal et Grèce notamment) suivent, il est probable que la Commission Européenne, l’Allemagne et la BCE proposent de renégocier les statuts de la BCE ;
Mécanismes d’harmonisation des politiques fiscales et sociales visant à protéger les Etats membres contre tout dumping fiscal ou social, ou, mieux encore, engageant un processus de convergence des pays les moins avancés vers des standards plus élevés en matière de droits sociaux, de salaire minimum et de protection sociale ;
Contrôle des mouvements de capitaux vers les pays non-membres de l’UE ;
Création d’un pôle public bancaire afin de réorienter la politique du crédit ;
Affranchissement unilatéral des règles européennes qui imposent aux politiques un carcan néolibéral (Traité de Lisbonne) via l’invocation du Compromis de Luxembourg. Pour faire court, le gouvernement français peut exiger des clauses d’exception pour une liste déterminée de dispositions qui empêchent la mise en œuvre du programme validé par les élections nationales. Cela reste un coup de force politique qui peut naturellement susciter une très forte résistance des gouvernements les plus attachés à l’actuel fonctionnement antisocial et anti-démocratique de la zone euro (notamment les gouvernements de l’Allemagne et des Pays-Bas). Cela étant, le rapport de force est défavorable à ceux qui ont le plus à perdre à l’éclatement de la zone euro (Allemagne) et favorable à ceux qui sont disposés à assumer cet éclatement s’il apparaît inéluctable. Le gouvernement doit donc se tenir prêt à revenir à une monnaie nationale si nécessaire, et le faire savoir. Il doit préciser qu’il ne sacralise aucun système monétaire particulier et qu’il n’a qu’un seul principe absolu : le respect de la souveraineté populaire qui l’oblige à mener les politiques publiques progressistes exigées par le suffrage universel.
Cette union monétaire ainsi refondée renforcerait la solidarité des Européens, l’activité et l’emploi, tout en mettant les Etats membres à l’abri de toute pression des spéculateurs sur les marchés financiers. Cette union monétaire aurait pu voir le jour à la fin des années 1990 lorsque les sociaux-démocrates et les socialistes gouvernaient l’Union Européenne (13 pays sur 15). Malheureusement, ils ont validé la tournure néolibérale en votant pour le Traité d’Amsterdam, en acceptant l’élargissement de l’UE sans mécanismes de convergence sociale et fiscale, ont confirmé à nouveau leur soutien à cette orientation lors de la ratification du Traité de Lisbonne en 2007, copie conforme du TCE (2005) et en s’abstenant de voter (plutôt qu’en s’opposant) au Mécanisme Européen de Stabilité (MES) en 2012.
En clair, la crise financière en Europe est l’effet d’un système économique et de politiques gouvernementales qui produisent les même effets avec ou sans euro. L’euro ne nous protège pas contre ce système ni contre ces politiques, pas plus que ne le feraient le franc, ou l’écu, ou n’importe quel autre monnaie.
Pour aller plus loin :
http://www.lemonde.fr/idees/article/201 ... _3232.html
http://www.monde-diplomatique.fr/carnet ... 2-22-Dette
http://www.lemonde.fr/idees/article/201 ... _3232.html
http://www.monde-diplomatique.fr/2009/03/SAPIR/16882
http://www.liberation.fr/economie/01012 ... -la-guerre
http://blog.mondediplo.net/2011-06-13-Q ... ialisation