Votre raisonnement ne tient pas à cause d'une faiblesse de taille, faiblesse de la gauche: l'employé est inférieur au patron dans votre imaginaire.
C'est faux. Si j'ai 5 postulants pour un seul poste dans mon entreprise, et en admettant qu'ils soient tous de compétences/expériences égales, alors oui, je peux tirer profit de la situation car l'employé est remplaçable, il a une faible valeur. C'est le cas dans notre belle société actuelle qui garde pour le plaisir des patrons un chômage stable entre 8 et 11%. Si j'ai deux postulants, mon pouvoir de négociation est plus faible. Le postulant, par le libéralisme (donc le contrat), peut émettre des exigences. Un salaire se négocie, des avantages se négocient, des congés se négocient et là vous avez un contrat.
La liberté ne peut pas opprimer, c'est antinomique.
Vous ne pouvez pas être opprimé en étant libre. Vous êtes libre sous une dictature, vous? Non, parce que c'est ridicule.
Le droit du travail ne s'oppose pas en tout à la liberté; abolir le fait que le patron s'immisce dans votre vie en dehors du travail est normal.
La faiblesse dont tu parles n'est pas imaginaire, elle est un point de vue analytique. Marx l'a développée d'ailleurs suffisamment abondamment pour qu'on ne puisse pas considérer que ça sorte seulement de l'imagination de certains fêlés "gauchos".
Par ailleurs tu confonds deux phases, c'est à dire l'embauche et l'exécution du travail proprement dite.
Sur l'embauche, tu dis que si suffisamment peu de salariés sont disponibles pour les besoins que le patron a, le rapport de force entre les deux n'est pas le même que quand il y en a 5. C'est vrai. Mais en disant cela, tu envisages la relation de travail sous tes propres catégories, c'est à dire que le travail est un "marché" comme un autre.
Je suis en désaccord fondamental avec cette approche qui consiste à appréhender le moyen de subsistance de la majorité de la population comme un "marché". Par ailleurs elle élude le fait que de toute façon c'est le patron qui décide du salaire : le candidat peut négocier un salaire pas trop faible, mais au bout du compte il n'a que le choix d'accepter un salaire inférieur à ce qu'il vaut ou de refuser et de continuer à chercher du boulot.
Je reviens sur Marx. Que démontre t-il? Que la propriété des moyens de production entraine la création du rapport salarial qui soumet "le travailleur" au pouvoir de direction du "capitaliste" (c'est à dire le propriétaire du moyen de production).
Ce n'est absolument pas imaginaire comme rapport, c'est le constat d'une réalité : l'employeur embauche des personnes pour la réalisation d'une certaine tâche, et c'est lui qui décide et qui donne les directives de travail in fine.
Cette réalité est d'ailleurs inscrite dans les faits et dans la loi, dans la mesure où le patron bénéficie du pouvoir de direction et de sanction. Il décide donc des tâches à accomplir, de la direction de l'entreprise et des choix stratégiques qu'elle aura.
C'est acceptable quand on considère que la propriété est une valeur fondamentale. Mais on peut aussi voir la chose différemment.
Les salariés d'une entreprise ont également intérêt à ce que leur entreprise fonctionne, mais leur intérêt à eux ne se confond pas nécessairement avec celui du patron.
Le patron a un objectif de profit. Les salariés ont certes un objectif de niveau de vie, mais aussi de qualité de vie. A quoi sert de gagner 1 million d'euro si c'est pour travailler 720 heures par mois??
Si on part d'un autre postulat, à savoir que la pérennité de l'entreprise est de l'intérêt de tous (patron et salariés), il s'en déduit que la gestion de l'entreprise ne doit plus être de la seule prérogative de son propriétaire, mais concertée avec l'ensemble des personnes qui y travaillent (propriétaire bien sûr, mais également "travailleur").
De même, votre raisonnement souffre d'une autre faiblesse: la propriété est celle des moyens de production.
C'est une extension de la liberté de propriété. La liberté première est celle du corps et de l'esprit (mon corps m'appartient, mon esprit aussi) et par extension ce que vous en faites (vous êtes propriétaire des fruits de votre labeur) ce qui conduit à utiliser ces "fruits" pour acheter du solide. Si vous cassez la propriété, alors vous la cassez entièrement car vous remettez en cause la propriété du corps et de l'esprit.
Il n'est absolument pas question de remettre en cause la propriété individuelle, il est juste question d'envisager la production sous un autre angle que le seul potentat de la propriété. Ca n'a rien à voir et ce n'est pas une caricature digne de toi que de dire ça.
La propriété individuelle est évidemment une valeur, elle n'a juste pas à être plus fondamentale que le principe démocratique dans l'entreprise!
Il n'est pas question de collectiviser la télé 16/9e du patron!!!
D'un point de vue purement rationnel, le salaire donné par les patrons permet toujours de bouffer (sauf si vous êtes dans un État de fêlés avec 50 postulants pour un poste et une population qui s'en fout). C'est dans l'intérêt de l'employeur: que le mec bouffe à sa faim et renouvelle ses forces pour bosser. Il ne va pas sous-payer un mec qui va clamser.
Cette évidence était comprise du temps du capitalisme fordien. Aujourd'hui, les faits te donnent tort avec un SMIC à peine au dessus du seuil de pauvreté (un écart de 120 EUR entre les deux, ça ne va pas loin).
Deuxième chose, le système tel qu'il est actuellement se contrefiche de savoir que les salariés aient de quoi bouffer. Il ne cherche qu'à payer moins cher ses salariés. Alors certes, il ne va pas payer des gens qui vont clamser (en France), mais par contre il va aller payer (pour beaucoup moins cher) des gens qui ont beaucoup moins faim (en Chine).
Ton analyse tient le coup dans un cadre d'un espace économique protégé par des barrières douanières érigées contre les Etats qui pratiquent un dumping social et fiscal, elle est notoirement fausse dans le cadre de l'Union Européenne, qui est la zone économique la plus "ouverte" du monde.
Le contre-pouvoir collectif, vous l'avez de plusieurs manières: la liberté individuelle de s'exprimer, de se regrouper. Vous pouvez manifester, monter une association ou pourquoi pas un syndicat. Vous pouvez aussi, en tant qu'individu libre boycotter une marque, une entreprise, en faisant éclater un scandale dans les journaux.
Vous croyez que les entreprises de voitures font de la publicité écolo pour quoi? Pour leur image, car l'image c'est de l'argent. Nike a perdu un paquet de pognon quand on a appris que leurs chaussures étaient fabriquées par des gamins. Le marché est plus efficace pour sanctionner un comportement que ne le sera jamais l'État.
Je ne sais que répondre à cet argument, si ce n'est t'inviter à regarder l'histoire en marche qui se déroule en ce moment.
L'efficacité du marché pour sanctionner le comportement des "investisseurs" qui ont mis le doigt dans le pot de confiture des subprimes a été effectivement magnifique. Tous ces gens auraient crevé (et toutes les économies avec eux) si les Etats ne leur avaient pas tendu la main pour les relever de la merde qu'ils avaient eux-mêmes créée.
Par ailleurs, pour en revenir au rapport purement salarial : ce ne sont pas les marchés qui dans leur grande bonté ont accordé aux salariés un certain niveau de salaire, de protection en cas de maladie ou d'accident, c'est la loi qui l'a fait. Et ces lois n'ont existé que parce que les marchés, dans leur logique pure de rentabilité, n'avaient pas un intérêt PARTICULIER pour le faire. L'Etat lui, qui est l'expression de l'intérêt GENERAL, avait en revanche intérêt à ce que ses enfants ne meurent pas trop tôt par exemple.