Y a t'il un moyen de taxer ces gogos ?
Sans même parler de 1905 :
1789 – 1799 : les 8 étapes de la persécution anti-catholique
La première action persécutrice est la nationalisation et la vente des biens du clergé. Il faut avoir dans l’esprit que cette mesure n’affecte pas seulement les habitations et les biens fonciers, mais aussi les lieux de culte, églises et chapelles, dont plusieurs sont vendues pour être transformées en magasins ou en logements par leurs nouveaux propriétaires, ou pour être détruites.
A Angers, en 1791, l’église Saint-Denis est vendue à un menuisier qui y habite, et la chapelle Saint-Lazare reçoit une destination semblable. En Bretagne, dans le seul district de Locronan (Finistère), 13 chapelles sont vendues. Dans un premier temps, la Révolution ne touche pas aux biens des fabriques, qui ne sont d’ailleurs pas des biens du clergé, les fabriques étant des corps laïques. On décide seulement que les procureurs des fabriques rendront leurs comptes aux directoires des districts.
Mais cette situation ne pouvait durer. La loi du 19 juillet 1793 assimile les biens des églises paroissiales et ceux du clergé, et en décrète l’aliénation. C’est une mesure très grave et dont on n’a pas suffisamment souligné l’importance, car elle compromet l’exercice du culte. Les fabriques assumaient en effet une partie notable des dépenses du culte, soit les frais de luminaire, les salaires des employés (bedeau, fossoyeur, sonneur), et une partie de l’entretien de l’église. Avec elles disparaît le patrimoine du culte. Si l’entretien des églises paroissiales, devenues propriétés publiques, continue en principe à être assuré, il n’en va pas de même de l’entretien du culte, privé désormais de son fonds propre.
La deuxième action persécutrice est la Constitution civile du Clergé. Cette loi fait violence à l’Eglise de France en la séparant de Rome et en la privant de juridiction. Elle favorise indirectement la déchristianisation : les fidèles préfèrent ne pas aller à la messe plutôt que d’assister à celle du prêtre jureur. Les catéchismes et conduites des fidèles diffusées par les prêtres catholiques romains enseignent qu’il vaut mieux se passer des sacrements que de les recevoir des « intrus » et « qu’il faut plutôt manquer à la messe des jours de fête, que d’assister à celle des évêques, curés ou vicaires intrus ».
La troisième action persécutrice est la suppression des ordres religieux (réalisée par étapes, à partir de février 1790, et accomplie en août 1792). C’est une véritable amputation. Mais, sans parler de l’affaiblissement et de l’appauvrissement qui en résultent pour l’Eglise, cette mesure a des conséquences immédiates sur la vie chrétienne des fidèles et sur la pratique. Car les églises abbatiales et les chapelles des couvents étaient fréquentées par les fidèles.
De nombreuses confréries de dévotion y avaient leur siège et leurs lieux de réunion. Par exemple, les congrégations mariales se réunissaient chez les Jésuites, les confréries du Sacré Cœur chez les Visitandines, celles du Rosaire chez les Dominicains. Chaque maison religieuse vivante exerçait son rayonnement sur la population de son entourage. Tiers ordres et oblatures incarnaient dans le monde l’idéal de vie des grands ordres religieux. On ne peut pas comprendre toutes les richesses de la vie religieuse des laïques sous l’Ancien Régime, si l’on ne tient pas compte de ce réseau d’influence. Tout cela est anéanti.
La quatrième action persécutrice est la circonscription des paroisses, réalisée en 1791 et 1792, et qui supprime environ 4 000 paroisses. Moins nombreuses en campagne qu’en ville, les suppressions y sont toutefois plus profondément ressenties. En ville, on n’est jamais très loin d’une église. En campagne, la suppression d’une église peut rendre l’assistance à la messe très difficile à cause de la distance.
On sait la force du lien juridique qui attachait les fidèles à leur paroisse. C’était un principe de droit que la paroisse appartenait aux paroissiens. On sait quelle affection les fidèles portaient à leurs églises, à leurs cloches, à leurs autels, à leurs confréries, aux images de leurs saints, et l’on mesure toute l’étendue de la violence qui est faite à la religion. Une paroisse supprimée, c’est pour les paroissiens l’église visible qui disparaît.
Or la circonscription, si l’on tient compte du grand nombre des paroisses urbaines supprimées, affecte peut-être 15% de la population du Royaume. Il arrive que des églises paroissiales supprimées soient maintenues comme oratoires afin de servir à la messe du dimanche. Cela atténue l’effet désastreux de la suppression, mais n’empêche pas qu’il n’y ait plus de prêtres à demeure sur les lieux.
La cinquième action persécutrice, ce sont les mesures prises contre les prêtres, la proscription des réfractaires et la campagne de deprêtrisation. Nous avons étudié séparément et à leur place chronologique ces 2 persécutions. Il convient maintenant d’évaluer leur efficacité. De combien de prêtres ont-elles privé les fidèles, ou, si l’on préfère, combien de prêtres ont-ils pu continuer un ministère actif ?
Malheureusement l’état des recherches ne permet guère de donner à ces questions pourtant capitales des réponses précises. De plus les chiffres varient selon les périodes et les décomptes sont très difficiles à faire : entre les reclus, les déportés, les déportables non déportés, les déportables qui se soustraient à la déportation et se cachent, les constitutionnels qui ont cessé le ministère, les abdictaires, les abdicataires repentis qui ont repris leurs fonctions et les réfractaires rentrés et tolérés, l’historien y perd son latin et les calculs sont toujours à refaire. On a tout au plus des approximations et des ordres de grandeur.
Par exemple, pendant la première Terreur, il serait resté environ 150 prêtres à la disposition des fidèles à Paris, sur le millier que comptait cette ville en 1789. Par exemple encore, 115 prêtres se seraient cachés dans l’Aveyron en 1793-1794, soit 10% environ du nombre total de prêtres de ce territoire en 1790. Il est permis d’avancer qu’à partir de la fin de 1793, jusqu’au printemps de 1795 et pendant le second Directoire, le nombre de prêtres disponibles dans l’ensemble des départements ne dépassera pas 10% des effectifs de 1789. Ajoutons que ces prêtres disponibles ne sont pas facilement accessibles.
Il se déplacent continuellement pour éviter d’être repérés, disent la messe la nuit en des lieux écartés, ne passent que de loin en loin et à des intervalles irréguliers dans la même paroisse. La crainte d’une dénonciation et des peines terribles réservées aux fidèles donnant asile aux réfractaires, refroidit le zèle de plusieurs fidèles qui voudraient les accueillir ou les appeler. Les prouesses des prêtres clandestins ne doivent pas faire oublier que des populations entières ont été pendant des mois totalement dépourvues de prêtres et démunies de sacrements. Se remémorant ces temps de persécution, le chirurgien Boucher de la Flèche évoque « l’extrême difficulté que l’on éprouvait dans l’administration des sacrements. »
La sixième action persécutrice est la fermeture des églises. Les fermetures définitives sont celles des paroisses supprimées. On avait d’abord laissé certaines de ces églises ouvertes comme oratoires servant à la messe dominicale, mais ces oratoires sont fermés à leur tour. En Maine-et-Loire par exemple, la décision est prise par arrêté du département du 17 janvier 1792.
Définitive également – tout au moins en principe – la fermeture des églises et des chapelles des maisons religieuses en 1791. Beaucoup de ces bâtiments seront vendus comme biens nationaux ou loués par l’Administration des Domaines. Sous le Directoire, certains seront rachetés ou pris en location ou sous-location par des catholiques fidèles qui les rendront à leur destination première. Ce sera le cas, entre autres, de la chapelle des Filles du Calvaire à Paris, fermée au public en avril 1791, devenue bien national en août 1792, louée à un particulier par l’Administration des Domaines en janvier 1793, sous-louée en 1796 par M. Du Bois, prêtre, ancien lazariste, qui en fait un oratoire.
Sous la première Terreur, les représentants en mission ou les communes ferment temporairement les lieux de culte. Pendant de longs mois, parfois depuis novembre 1793, plus souvent depuis mars 1794 et, dans la plupart des cas jusqu’au printemps 1795, presque toutes les églises de France sont fermées : au moins une année sans culte public, et donc au moins une année sans messe du dimanche pour le plus grand nombre des Français.
Même après la réouverture, l’état dans lequel la Terreur a laissé les églises les rend inutilisables. Elles ont été dépouillées systématiquement de tout leur mobilier, de tous leurs ornements et vases sacrés : plus de calices, plus d’autels, plus de confessionnaux. Même si la messe est autorisée, il est impossible de la célébrer.
La deuxième Terreur ferme de nombreux oratoires qui s’étaient ouverts en 1796 et 1797, et s’arrange pour éteindre le culte dans plusieurs églises paroissiales, en arrêtant les prêtres qui les desservent. Ce n’est pas l’abolition totale de la première Terreur : on peut dans les grandes villes trouver une église ouverte et une messe du dimanche, mais c’est beaucoup plus difficile dans les petites villes et dans les campagnes. Il ne faut pas oublier que certaines régions souffrent d’un véritable anéantissement du culte public, et qu’elles en souffrent pendant plusieurs années, sans connaître la moindre rémission. Par exemple, dans plusieurs cantons de la moitié orientale du Maine-et-Loire, il n’y a eu en 1798 et 1799 aucune espèce de culte.
La septième action persécutrice est le remplacement du dimanche par le décadi. Déjà l’adoption du calendrier républicain en 1793 avait pour objectif de réprimer le dimanche et donc de chasser de la mémoire des Français le souvenir de leur patrie céleste. Mais c’est l’obligation généralisée par le Directoire du chômage du décadi, devant remplacer celui du dimanche, qui donne au nouvel annuaire son efficacité. Ne pouvant supprimer la messe, certains départements la transfèrent au décadi. Pour être plus sûrs de tuer le dimanche, ils dominicalisent le décadi.
Tous les historiens de la Révolution soulignent l’impopularité du décadi. Sans doute, mais peut-on vraiment parler d’un insuccès ? Les pays ne sont pas si rares où le décadi est observé alors que le dimanche ne l’est plus. En juillet 1794, il est signalé que la population du district de Villefranche (Haute-Garonne) chôme le décadi et que « tous les cultivateurs travaillent les jours ci-devant fêtes et dimanches ». Il en va de même dans le district de Rieux. Nous avons cité le cas du département du Maine-et-Loire où la plupart des cantons du Saumurois et du Beaugois finirent en 1798 et 1799 par abandonner le dimanche.
La pression gouvernementale et administrative devient très forte sous le Directoire fructidorien. Au point que les autorités catholiques de certains diocèses finissent par accepter des compromis. Par exemple, le 9 juillet 1798, les vicaires généraux des diocèses de Lyon, pourtant très rigoureux et parfois même rigoristes – dans un document intitulé Règle de conduite pour les fidèles, admettent que, sans pour autant travailler le dimanche, on puisse chômer le décadi. Ils autorisent même, en cas d’existence impérieuse formulée sous peine grave, à ouvrir boutique le dimanche pour satisfaire aux règlements administratifs, étant bien entendu qu’on ne pourra ni acheter ni vendre.
D’ailleurs, les commerçants de Lyon n’attendent pas l’autorisation : à peine un dixième d’entre eux s’obstinent à fermer le dimanche. Ainsi que l’a écrit l’historien Lebré, « les fidèles croient toujours au dimanche, mais ne veulent néanmoins pas lui sacrifier leur gagne-pain, leur existence ». C’est-à-dire qu’ils n’y croient plus beaucoup et qu’une si faible croyance ne résistera guère aux nouvelles habitudes. A force de ne pas vivre comme on pense, on finit par penser comme on vit.
La huitième et dernière action persécutrice est la sécularisation du mariage. Le mariage civil et le divorce en sont les instruments. Combien de mariages sont purement civils ? Il serait intéressant de le savoir, mais les études sur ce point font défaut. Sous le Directoire, les autorités font de grands efforts pour rehausser l’éclat du mariage civil. Les commissaires de cantons sont priés d’y mettre la main et c’est à qui fera célébrer les plus beaux mariages républicains. Le commissaire de Noyant-sous-le-Lude, évoquant 3 mariages célébrés sous son égide en janvier et février 1799, relate que « les mariés étaient parés comme s’ils se fussent présentés devant le ministère du culte » et que les cérémonies comportaient des hymnes, un temps de recueillement, des discours et des divertissements.
Quant au divorce, on en fait plus ou moins d’usage selon la région. Au Puy-en-Velay, entre 1792 et 1799 sont enregistrés 386 mariages et 13 divorces, à Saumur en l’an IV, 121 mariages et 1 divorce, à la Flèche 10 divorces pour toute la période, mais on ne connaît pas pour cette ville le nombre total de mariages.
Telles sont les principales actions déchristianisatrices. A leur examen successif, on voit que chacune a l’efficacité voulue pour gêner d’une certaine manière, considérablement et de façon immédiate, l’exercice de la religion. A plus forte raison l’ensemble de ces actions constitue un système de déchristianisation cohérent et redoutablement efficace. Il n’y a plus de prêtres, plus d’églises, plus de sacrements, plus de dimanches. Même s’ils le veulent, la plupart des catholiques ne peuvent pas pratiquer leur religion.
Jean de Viguerie – Christianisme et révolution (1986)
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