Née d'une crise de régime, la Vème République est à son tour au bord du gouffre. D'une secousse le 21 avril 2002, l'hyperprésidentialisme, le mépris du résultat du référendum de 2005, les innombrables renoncements à partir de 2012, et maintenant une incapacité pour tout gouvernement de conduire les affaires du pays de manière apaisée. La défiance des citoyens à l'égard des élus et institutions ne cesse de croître et seules les mouvements insurrectionnels semblent désormais apparaître comme seule solution pour se faire entendre et obtenir gain de cause.
La démocratie est un idéal imparfait visant à permettre un dialogue constructif entre tous pour aboutir à des prises de décisions qui aillent dans le sens de l'intérêt général, et trancher de façon apaisée les désaccords. Nous dénonçions jadis la dictature de la majorité, à présent c'est celle d'une minorité qui s'agrippe illégitimement au pouvoir malgré les contestations populaires, les pétitions, l'opposition des corps intermédiaires, l'opposition des parlementaires et même les revers électoraux. La stratégie du choc joue à plein pour tenter de décrédibiliser l'idée même d'alternance politique pendant que les oppositions se radicalisent. Et pour cause ! tous les chefs de file d'opposition ne pensent qu'à la prochaine présidentielle croyant avoir une chance de régner avec la double majorité présidentielle et législative. Le suffrage populaire se retrouve confisqué, pris en otage par le chantage au vote utile et celui du front républicain. Ce n'est donc pas seulement la République qui est menacée, mais carrément l'idéal démocratique lui même.
Il est temps d'imposer désormais une lecture parlementaire de notre Constitution. De fermer les portes qu'elle laisse dangereusement ouvertes au monarque républicain qui tend de plus en plus à se conduire en despote et en autocrate.
Le Président de la République doit retrouver sa position d'arbitre au dessus des clivages, le Gouvernement doit pouvoir déterminer et conduire la politique de la Nation en engageant réellement sa responsabilité devant la Représentation nationale et non devant le monarque. Le Parlement doit retrouver sa capacité de délibérer, de discuter, amender et voter les lois, d'évaluer sérieusement les politiques publiques et de contrôler efficacement l'exécutif. L'Autorité judiciaire doit être réellement indépendante des pressions du pouvoir politique. Et le Peuple français doit redevenir le véritable Souverain et intervenir directement lorsqu'il apparaît qu'il est mal représenté.
Mais la VIème République, à ce jour, n'apparaît pas comme une solution.
Premièrement parce qu'elle commet une erreur d'analyse. Comme montré, ce ne sont pas tant les fondements de notre régime qui engendrent cette crise mais la pratique du pouvoir permise par des failles de notre norme suprême.
Deuxièmement parce qu'il apparaît absurde d'acter la mort d'un régime sans connaître ne serait-ce que les grandes lignes de celui qui lui succèdera et a fortiori l'interprétation et la pratique qui en découleront. Et de fait, une fois passée la critique de l'hyperprésidentialisme, il n'y a aucune unité chez les sixiemistes. Il apparaît plus sage de corriger les principales imperfections d'un texte existant après avoir analysé les principaux dysfonctionnements institutionnels.
Troisièmement parce que la démarche constituante est nécessairement illégale. La VIème, comme les régimes précédents, naîtra avec sa dose d'illégalité. 67 ans après la naissance de la Vème, les vices de forme peuvent être considérés comme prescrits. Ce qui ne sera pas le cas d'un nouveau régime qui fragilisera notre République. Hors, lorsque la démocratie est convalescente et que le fascisme vient à son chevet, c'est rarement doté d'intentions humanistes.
La réforme constitutionnelle doit donc passer par la voie de l'article 89 et se conclure par un référendum. Ce qui n'interdit en rien une collaboration citoyenne à l'exercice constituant dérivé par la convocation d'une convention tirée au sort.
Cette réforme doit se fixer les objectifs suivants :
1) couper le lien hiérarchique que la pratique et non le droit a instauré entre le Président de la République et le Premier ministre ;
2) consolider l'État de droits et prévenir toute tentative de basculer dans le despotisme et l'illibéralisme ;
3) adoucir les outils de rationalisation du parlementarisme et renforcer les moyens de contrôle afin de que la Représentation nationale ne soit plus marginalisée dans le processus législatif ;
4) tendre vers une meilleure représentativité du Parlement, protéger les droits de l'opposition et lutter contre les effets pervers du fait majoritaire ;
5) apporter les conditions favorisant un travail législatif de qualité ;
6) moderniser le Sénat et le CESE ;
7) permettre une participation citoyenne pour passer d'une démocratie intermittente à une démocratie continue ;
8) renforcer l'indépendance de l'Autorité judiciaire
en adaptant le Conseil constitutionnel à ses nouvelles missions,
en mettant fin à la relation incestueuse entretenue par l'organe suprême de justice administrative avec l'exécutif
en repensant le statut du Parquet
en rendant le Président de la République et les membres du Gouvernement effectivement responsable pénalement
9) démocratiser et débloquer la procédure de révision constitutionnelle
10) encadrer les prérogatives des autorités administratives indépendantes, éviter d'alimenter l'idée qu'il existerait un "Etat profond" ;
11) intégrer l'enjeu environnemental dans la norme suprême