Tout autre élément : un des aspects qui m'ont frappé lorsque j'ai étudié cette période, c'est à quel point les gens sont conscients qu'ils sont en train de vivre un moment unique, à quel point l'idée de "révolution" est entrée dans les esprits de tout le monde, pas seulement des intellectuels ou des politiques.
Il y a de belles pages dans la philosophie de l'histoire de Hegel, sur cet aspect, le fait que les gens qui vivent dans une période de grand bouleversement historique, ne se rendent pas eux-mêmes bien compte, ne prennent pas la mesure de l'énormité de ce qu'ils sont en train de vivre. Ayant eu ce genre de lectures, j'ai été étonné que dans le cas de la Révolution française, tout le monde est bien conscient qu'il se passe un truc pas possible, des changements comme il y en a tous les 1000 ans peut-être.
Pourquoi je dis cela ? Pour expliquer, si possible, les grosses contradictions de Robespierre. Par exemple sur la peine de mort. Comment explique-t-on que ce militant de l'absolution de la peine de mort puisse allègrement envoyer le monde entier à l'échafaud ? C'est juste un malade mental, un tyran ?
Non, c'est parce qu'il est convaincu que le momentum politique l'exige. Le moment crucial de cette question de la guillotine, c'est, à tout seigneur tout honneur, la mort du Roi. Or la position de Robespierre, ce n'est pas seulement de voter la mort du roi, il va beaucoup plus loin, en disant qu'il ne faut pas faire de procès. Faire un procès est trompeur, cela renvoie à la justice qui règle les conflits entre personnes, l'application des lois, etc. Mais la "faute" de Louis Capet n'a rien à voir avec un vol ou un larcin quelconque qu'il aurait commis et sur lequel on pourrait polémiquer sur des réparations, etc. : sa faute, c'est d'exister, elle est ontologique, quasi métaphysique. Et à cela, il n'y a qu'une réponse : la liquidation immédiate et sans discussion de ce qui ne doit tout simplement pas exister. Ou dont l'existence contredit la République.