J'aime bien Sardou. (Pas Johnny). Il a beaucoup de talent d'abord. Une voix exceptionnelle, des musiques (arrangements) bien constituées pour la mettre en valeur et un art du chant impeccable chez lui.
"Je vais t'aimer comme on ne t'a jamais aimée", c'est pas extraordinaire en soi, un peu médiocre même, mais ça me fout la chair de poule et je ne suis pas le seul, j'ai l'impression. Il te prend aux tripes, le mec, c'est évident.
Donc déjà respect sur sa capacité à transformer de la merde en or.
Plus intéressant au plan politique : on ne lui autorise pas le second degré. On ne sait pas bien pourquoi ce jugement est tombé sur lui et pas sur d'autres, c'est plutôt mystérieux. On ne sait pas davantage pourquoi cette dimension du second degré, que l'on reconnaît (peut-être trop généreusement) à tout sujet humain, lui est interdite à lui.
Ainsi, lorsqu'il parle des "villes de grande solitude" où il a "envie de violer des femmes", on dit que Sardou est un abuseur sexuel et un pervers.
C'est quand même très particulier comme régime. Charles Trenet a écrit je crois les plus belles chansons d'amour hétéro pendant que tout le monde savait que ses tendances sexuelles étaient tout autres.
Jacques Brel nous a beaucoup fait pleurer sur ses histoires d'amant malheureux qui crève presque sous nos yeux avec son Ne me quitte pas. Mais Brel était tout ce qu'on veut sauf un amant éconduit et, dans la vie réelle, c'est lui qui larguait ses femmes comme un vrai salaud, sitôt qu'il en avait trouvé une autre pour l'émoustiller.
Personne n'a cru non plus que Brassens était une espèce de gorille violeur, on a compris que c'était du second degré et c'est pour ça que la chanson est drôle.
Mais Sardou, lui, il n'a pas droit. Encore une fois, je ne sais pas pourquoi on lui dénie son humanité. Et plus j'y réfléchis, moins je comprends : il fait de la chanson française. La marque de fabrique d'une bonne chanson française, c'est qu'elle raconte une histoire. Trenet, Edith Piaf, Aznavour etc., ils racontent des histoires.
Ce n'est pas le cas d'une chanson américaine. Mais dans n'importe quelle chansons française, même une grosse daube, y a une histoire. "Histoire", cela veut dire "personnage", et le chanteur est un acteur : il joue un personnage, par exemple un mec largué par sa femme, ou un type de qui on a tué l'enfant et qui veut voir crever l'ordure qui a fait ça.
La question théologique et métaphysique profonde, c'est : Sardou a-t-il une âme ?