Tribunal Administratif de MELUN
Lecture du mercredi 26 mars 2025
N° 2307234
7ème chambre
Vu la procédure suivante :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 12 juillet 2023, 5 février 2024 et 6 mars 2024, Mme A D épouse C, représentée par Me Tourki, demande au tribunal :
1°) d'annuler l'arrêté du 15 juin 2023 par lequel le préfet de la Seine-et-Marne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement ;
2°) d'enjoindre au préfet de la Seine-et-Marne de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et de lui délivrer, pendant la durée de cet examen, un récépissé de demande de titre de séjour ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé ;
le préfet a méconnu l'étendue de sa compétence ;
l'arrêté attaqué est entaché d'une erreur d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 août 2024, le préfet de la Seine-et-Marne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme C ne sont pas fondés.
Des pièces complémentaires produites le 22 novembre 2024 par l'office français de l'immigration et de l'intégration, observateur, ont été communiquées.
Un mémoire présenté pour Mme C le 24 novembre 2024 n'a pas été communiqué.
Mme C a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal administratif de Melun du 20 septembre 2023.
Par un courrier du 5 mars 2025, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7-3 du code de justice administrative, que le tribunal était susceptible d'enjoindre au préfet de Seine-et-Marne de délivrer à la requérante le titre de séjour sollicité.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
le code des relations entre le public et l'administration ;
le code de justice administrative ;
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
le rapport de Mme Prissette,
et les observations de Me Tourki, représentant Mme C.
Considérant ce qui suit :
- Mme A D épouse C, ressortissante algérienne, est entrée sur le territoire français le 7 octobre 2017. Elle a bénéficié d'un titre de séjour régulièrement renouvelé du 26 mai 2020 au 27 avril 2022. Elle a sollicité le renouvellement de son titre de séjour en raison de son état de santé, sur le fondement des stipulations de l'article 6-7 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié. Par un arrêté du 15 juin 2023, le préfet de la Seine-et-Marne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement. Mme C demande au tribunal d'annuler cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien : " Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : () / 7) au ressortissant algérien, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays () ".
S'il est saisi, à l'appui de conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus de délivrance d'un certificat de résidence sollicité sur le fondement des stipulations précitées de l'accord du 27 décembre 1968, d'un moyen relatif à l'état de santé du demandeur, aux conséquences de l'interruption de sa prise en charge médicale ou à la possibilité pour lui d'en bénéficier effectivement dans le pays dont il est originaire, il appartient au juge administratif de prendre en considération l'avis médical rendu par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Si le demandeur entend contester le sens de cet avis, il appartient à lui seul de lever le secret relatif aux informations médicales qui le concernent, afin de permettre au juge de se prononcer en prenant en considération l'ensemble des éléments pertinents, notamment l'entier dossier du rapport médical au vu duquel s'est prononcé le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, en sollicitant sa communication, ainsi que les éléments versés par le demandeur au débat contradictoire.
En l'espèce, pour refuser la délivrance du titre de séjour en raison de son état de santé sollicité par Mme C, le préfet de la Seine-et-Marne a relevé, en se fondant sur l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration établi le 3 octobre 2022, que si l'état de santé de la requérante nécessitait une prise en charge dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, elle pouvait effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine et que son état de santé lui permettait de voyager sans risque vers son pays d'origine. Toutefois, il ressort des pièces du dossier et notamment d'un certificat médical établi le 20 septembre 2023, par l'assistante spécialiste dans le service d'oncologie digestive de l'hôpital européen Georges Pompidou qui la suit pour une maladie cancérologique grave et chronique que Mme C souffre depuis janvier 2020 d'un adénocarcinome du bas rectum, en récidive depuis octobre 2022, qu'elle a été opérée en urgence en mars 2023 pour une complication de sa maladie suite à laquelle elle garde toujours une stomie de dérivation, qu'elle a présenté au cours de son suivi et à plusieurs reprises des insuffisances rénales aiguës qui ont nécessité la mise en place d'une hydratation en continue à domicile, qu'elle est en cours de chimiothérapie injectable tous les quinze jours et qu'elle devait subir une nouvelle intervention chirurgicale lourde en septembre 2023. Il ressort en outre d'un compte-rendu de consultation du 3 octobre 2023 établi par le même service qu'elle est prise en charge pour la récidive d'un adénocarcinome rectal pT3 N0 R1 MSS RAS muté G12b opéré après Prodige 23 en 2020 - récidive pelvienne ganglionnaire, sous chimiothérapie par Folfiri avec une mauvaise tolérance de la chimiothérapie et insuffisance rénale aiguë à répétition, qu'une nouvelle réévaluation oncologique en juin 2023 a montré une stabilité de la récidive et une progression de l'adénopathie inguinale gauche et que sont mises en place une reprise d'une chimiothérapie par LV5FUE et radiothérapie du ganglion inguinale gauche outre un projet de chirurgie d'amputation abdo-périnéale . Il est en outre précisé que la patiente a réalisé une TDM-TAP et un TeP-FDG qui a montré la persistante de l'hyperfixation du ganglion inguinale gauche malgré traitement par radiothérapie - RCP d'oncologie digestive reprises de chimiothérapie et biopsies du ganglion inguinale gauche. L'intéressée, qui était toujours traitée par chimiothérapie et radiothérapie au moment de la décision lui refusant le renouvellement de son titre de séjour, a subi une intervention chirurgicale en février 2023 et a également été hospitalisée du 24 mai 2023 au 5 juin 2023 pour insuffisance rénale aigue. Il ressort en outre des pièces du dossier, postérieures à l'arrêté attaqué mais relevant un état antérieur non stabilisé, que trois opérations ont été programmées pour les mois de septembre 2023, février 2024 et avril 2024. Par suite, son état de santé ne pouvant être considéré comme stabilisé à la date de la décision contestée et compte tenu de la détérioration de son état de santé entre l'émission de l'avis de l'office français de l'immigration et de l'intégration et l'édiction de l'arrêté attaqué, la requérante est fondée à soutenir dans les circonstances de l'espèce que le préfet, en refusant de lui délivrer le titre de séjour sollicité en qualité d'étranger malade, a commis une erreur d'appréciation au regard des stipulations du 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié.
Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme C est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du préfet de la Seine-et-Marne du 15 juin 2023.
Sur l'injonction d'office :
Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ". Aux termes de l'article R. 611-7-3 du même code : " Lorsque la décision lui paraît susceptible d'impliquer le prononcé d'office d'une injonction, assortie le cas échéant d'une astreinte, le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l'instruction en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent, sans qu'y fasse obstacle la clôture éventuelle de l'instruction, présenter leurs observations ".
Par application de ces dispositions, il y a lieu, sous réserve d'un changement substantiel dans la situation de droit ou de fait de l'intéressée, d'enjoindre au préfet de la Seine-et-Marne, ou à tout préfet territorialement compétent, de délivrer à Mme C un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.
Sur les frais liés au litige :
- Mme C a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Ainsi, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Tourki, avocat de Mme C, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Tourki de la somme de 1 200 euros.
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêté du préfet de la Seine-et-Marne du 15 juin 2023 est annulé.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-et-Marne ou à tout autre préfet territorialement compétent, de délivrer à Mme C une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : L'Etat versera à Me Tourki une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de celles de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à Mme A D épouse C, à Me Tourki et au préfet de la Seine-et-Marne.
Copie en sera adressée à l'office français de l'immigration et de l'intégration et au ministre de l'intérieur, ministre d'Etat.
Délibéré après l'audience du 11 mars 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Gougot, présidente,
M. Combier, conseiller,
Mme Prissette, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 mars 2025.
La rapporteure,
L. PRISSETTE
La présidente,
I. GOUGOTLa greffière,
M. B
La République mande et ordonne au préfet de la Seine-et-Marne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,1
N° 230232121