Pour prolonger la discussion sur le libéralisme, quelques éléments qui ont tendance à mettre en évidence une incompatibilité entre capitalisme et libéralisme.
Evoquons d’abord ce que les historiens nomment le capitalisme commercial ou capitalisme mercantiliste et qui s’étale entre le 16ème et le 18ème siècle. Deux types d’entreprise sont caractéristiques de cette période : les grandes compagnies maritimes (par exemple La Compagnie des Indes Orientales) et les plantations dans les colonies. Ce capitalisme est fondé sur la colonisation, l’expropriation des autochtones et l’esclavage, bref, des pratiques totalement antilibérales.
Mais l’expropriation et l’accaparement des terres n’est pas un sort réservés aux colonies. En Angleterre, entre le 16ème et le 18ème siècle, le mouvement des enclosures, qui trouvera son aboutissement en 1775 avec la loi de dite Inclosure Act, supprimera le droit des paysans à utiliser en commun champs et pâturages, jettera dans la pauvreté une grande partie de ceux-ci qui s’exileront dans les centres urbains afin de former le prolétariat lors de l’industrialisation du pays. Par contre, ce mouvement permettra la constitution d’une classe de grands propriétaires terriens qui remplaceront l’agriculture vivrière par l’élevage de moutons d’abord en vue de l’exportation de laine puis pour fournir les premières industries de tisserands.
Au 19ème siècle, les choses ne s’améliorent pas vraiment. En Angleterre, à la suite de la Nouvelle Loi sur les Pauvres (New Poor Law) de 1834, les pauvres sont entassés dans les Workhouses, sorte d’usines-prisons dans lesquelles, comme l’indique leur nom, on les force à travailler. Quant aux Etats-Unis, l’esclavage continue de prospérer pour fournir les matières premières aux régions qui s’industrialisent (montrant au passage que, contrairement à une idée reçue, le capitalisme industriel ne s’est pas construit en opposition à l’esclavage).
On aurait tort de croire que le capitalisme actuel aurait fait disparaître ces pratiques. De nombreuses transnationales sont régulièrement dénoncées pour avoir recours au travail forcé. Ces dernières années, l’attention s’est focalisée sur de grandes entreprises mondialement connues et exploitant le travail forcé des Ouïghours, mis en place par la Chine. On peut citer sans être exhaustif : Acer, Adidas, Alstom, Amazon, Apple, ASUS, BMW, Bombardier, Bosch, Calvin Klein, Cerruti, Cisco, Dell, Electrolux, Fila, Gap, General Motors, Google, H&M, Haier, Hitachi, HP, Huawei, Lacoste, Land Rover, Lenovo, LG, Mercedes, Microsoft, Mitsubishi, Nike, Nintendo, Nokia, Panasonic, Ralph Lauren, Puma, Samsung, Siemens, Skechers, Sony, Tommy Hilfiger, Toshiba, Volkswagen, Xiaomi, Zara. Plus récemment, c’est une entreprise de pneus, installée en Serbie, qui est accusée d’esclavage moderne.
Sans aller jusqu’à parler de travail forcé ou d’esclavage, il est assez banal de constater que des entreprises imposent des conditions de travail violant les droits humains élémentaires : répression syndicale , exposition à des produits toxiques sans protection, salaires de misère, cadences et horaires de travail destructeurs physiquement et psychiquement, licenciement arbitraire sans aucun recours, pour les femmes licenciement en cas de grossesse, …
Et il ne faudrait pas croire que ça ne concerne que les entreprises installées dans des pays en développement, on en trouve aussi dans nos pays développés. Prenez l’exemple d’ Amazon, la transnationale est régulièrement montrée du doigt pour des conditions de travail violentes.
Comme je l’ai dit au début, ce sont tous ces éléments factuels qui me font dire que le capitalisme est incompatible avec le libéralisme entendu comme respect des droits humains fondamentaux garants de la liberté individuelle.
Toutefois, pour être rigoureux, ce que j’ai montré ici c’est qu’historiquement le capitalisme n’est pas compatible avec les principes du libéralisme, on peut se dire qu’il aurait eu être autrement. C’est une question qui restera toujours sans réponse. Cependant, je pense que cette incompatibilité est intrinsèque au capitalisme du fait que celui-ci repose sur la propriété privée des moyens de production et donc la nécessaire appropriation des terres et des ressources naturelles qui ne peuvent se faire qu’en violant à un moment ou un autre les droits des individus.