sabelle Barbéris: «Ce nouvel académisme progressiste étouffe la liberté de création»
FIGAROVOX/ENTRETIEN - Maître de conférences en arts du spectacle à l’université Paris-Diderot et chercheuse associée au CNRS, l’auteure de L’Art du politiquement correct s’inquiète de la progression de la nouvelle pensée culturelle au sein des institutions nationales.
De plus en plus d’expositions, de manifestations du spectacle vivant sont interdites, réécrites ou réinterprétés à la lumière des impératifs progressistes. S’agit-il d’un véritable phénomène de censure menaçant la liberté de création, ou bien d’événements marginaux dont il ne faudrait pas s’inquiéter?
Isabelle Barbéris. - C’est tout sauf marginal! Il s’agit bien d’un nouvel académisme désormais institutionnalisé au sommet de l’appareil d’État - qu’il s’agisse d’opéra, de cinéma, d’audiovisuel, de théâtre. Il a ses institutions et ses porte-parole, galvanisés par la bonne conscience. Ce «progressisme», narcissique et régressif, celui du décolonialisme, de l’intersectionnalité et de l’ethnodifférencialisme, s’invite dans les instances conservatoires les plus prestigieuses: on met donc du En marche! là où la mission est de conserver! Et le mouvement symétrique existe. Il complète le processus de liquidation des valeurs: le conservatisme s’invite dans les lieux d’avant-garde ; le palais de Tokyo invite le Qatar ; l’on crée des établissements culturels qui confondent culte et culture, comme l’Institut des cultures d’islam, récemment le paquebot Institut français de civilisation musulmane.
Ces pressions ressemblent de plus en plus à de la propagande: les autoproclamés combattants du progrès déconstruisent les récits qu’ils ont décrétés comme dominants, et ils imposent des récits alternatifs encore plus normatifs. Regardez Les Indes galantes mis en scène par Clément Cogitore et Bintou Dembélé. Ils transforment le puissant Grand Turc en occidental bad guy avec les migrants ; le harem est remplacé par le grand prostitueur «blanc», etc., le tout pour servir un discours fusionnel avec des banlieues érotisées - discours qui reconduit, du fait de sa fascination, l’orientalisme pourfendu. Dans mon livre, je parle d’ethnocentrisme de la faute, qui consiste à multiplier les «mises hors scène»: ici par exemple, le statut des femmes au Moyen-Orient, ou les exactions d’Erdogan n’effleurent pas nos deux metteurs en scène «engagés». Le «décolonialisme» de ces Indes revisitées est plus caricatural et orientaliste que le colonialisme de l’œuvre princeps! ...
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