Il projette la plus difficile ascension jamais réalisée dans les Alpes, sur cette scène verticale des Jorasses. En ce début 1971, Desmaison est sélectionné pour l’expédition nationale au Makalu, cinquième sommet du globe. Seulement on refuse au rebelle le leadership de l’aventure. Ce sera sans lui. Le fier René va estomper la tentative himalayenne. Il projette la plus difficile ascension jamais réalisée dans les Alpes, sur cette scène verticale des Jorasses.
Mais dans cette face de 1 200 m, il lui faut un compagnon. Par défaut, ce sera ce jeune Gousseault, 23 ans, présenté par des amis. Fort grimpeur mais novice en hivernale. Les deux hommes s’élancent, sans bien se connaître. D’abord leur objectif est l’éperon Croz. Cette hivernale de trois jours doit constituer leur galop d’essai. Las, au pied de la paroi, les deux hommes s’aperçoivent qu’ils ont été devancés dans cette première. Desmaison et Gousseault redescendent, chargent leurs sacs d’une semaine de vivres. Et repartent pour les Grandes Jorasses. Ce sera d’emblée la directissime de l’éperon Walker. Totalement vierge.
Dans la paroi, peu à peu, les clignotants virent au rouge. Les cordes sont coupées par des chutes de pierre, la radio tombe en panne et Gousseault faiblit sur ce granit recouvert de neige et de glace. Des gelures apparaissent sur ses doigts. Il fait -30°C. Les deux hommes sont prisonniers du huis clos des Grandes Jorasses. Faire demi-tour n’est pas dans le code d’honneur du roi René et s’avère vite impossible vu la verticalité. Appeler les secours, organisés par la Chamoniarde, la société locale dont les forces vives ne sont autres que les guides et dirigée par l’autre figure de la montagne, le maire Maurice Herzog ? Pas davantage. À 80 mètres du sommet, les avant-bras gelés, Gousseault délire puis expire à côté de son compagnon
Seulement le pauvre Gousseault lâche prise. À 80 mètres du sommet sur une vire inconfortable, les avant-bras gelés, il délire puis expire à côté de son compagnon, dix jours après avoir quitté le pied de la paroi. Desmaison n’a pas voulu l’abandonner.
“J’ aurais pu sortir seul” affirmera-t-il. En bas, dans la vallée, c’est l’incompréhension totale. Le grand alpiniste a toujours dit que quand on s’élance dans une hivernale on ne peut compter que sur soi. Oui mais Desmaison le conquérant qui fait du surplace… ça ne lui ressemble pas. La veille de la mort de Gousseaut, un hélicoptère brave le vent, les survole, les touche du regard. Mais René ambigu dans ses SOS semble refuser le secours. Lapsus gestuel ? “Encore un coup de Desmaison, qui veut amuser la galerie”, relativisent les mauvaises langues. Mais le temps passe et le doute n’est plus permis.
Cinq jours après, entre tempête et froid glacial, le pilote Alain Frébault parvient à se poser sur le crête frontière des Jorasses. On déroule le treuil et c’est le guide le plus emblématique, Gérard Devouassoux qui vient le délivrer. Desmaison, mort vivant, est sauvé par son ennemi. Donc vaincu. Après le temps de l’admiration quant à son incroyable survie, il devra répondre aux interrogatoires de la presse et de la gendarmerie, soupçonné d’avoir tardé à appeler les secours qui auraient pu sauver Gousseault. Lui rétorquera, accusant le maire de Chamonix, Maurice Herzog : “Je ne puis me défendre de penser que ce pauvre Desmaison n’était pas un personnage tellement intéressant à sauver.”
La justice devait classer l’affaire mais l’État décidait de déconnecter l’organisation des secours des passions locales en déléguant ces missions à des institutions totalement professionnelles. Deux ans plus tard, Desmaison livrait sa version dans “342 heures dans les Grandes Jorasses”, un best-seller. Une fois de plus il avait le dernier mot.