Martin est né avec un micropénis et un vagin. Mais les médecins tranchent : c'est un garçon. Plusieurs opérations plus tard, il ne sait toujours pas quel est son sexe.
"J'ai les traits féminins, de longues mains, une grande carcasse. Je m'habille en homme, avec des ongles vernis et des barrettes. Je suis né(e) il y a quarante-huit ans, dans une famille nombreuse, catholique pratiquante. On annonce à mes parents que je ne suis "pas conforme". En fait, je suis né avec un micropénis, pas de testicule et un vagin. Je suis ce qu'on appellait avait un hermaphrodite. Pour ma part, je préfère le terme "intergenre".
Ni homme ni femme, ou bien les deux à la fois. Les médecins tranchent : je suis un garçon... mais un garçon "raté", qu'il faudra "réparer". Mes parents ne se posent pas de questions, ils me prénomment Martin et m'élèvent comme un garçon. Pour eux, je suis avant tout un enfant du bon Dieu, et cela leur suffit pour m'aimer. Quand mon père offre un pistolet de cow-boy à mon frère aîné, il m'en offre un aussi. Et quand mes sœurs s'appliquent du vernis à ongles, ma mère me laisse faire pareil, même si elle me demande de le retirer juste après.
J'ai cinq ans le jour où ma mère revient avec mon petit frère à la maison. Quand elle change sa couche devant moi, c'est le choc. Soudain je découvre que je ne suis pas un garçon : mon zizi est plus petit que le sien et je n'ai pas ces curieuses clochettes en dessous. Je me sens trahi. ...
Lorsque je traverse l'adolescence, quand les garçons deviennent des hommes et que je reste indéfinissable, mes sœurs répondent aux questions et aux attaques à ma place. L'amour de mes proches m'a sauvé. J'ai de la chance, je peux compter sur une famille aimante et des amis compréhensifs. Personne ne se moque de moi pendant ma scolarité. Mes camarades de classe discutent de masturbation, de filles et de mobylettes. Pour moi, c'est un autre monde. Ils le comprennent et disent : "Ça n'intéresse pas Martin."...
Aujourd'hui, mon combat est de lutter contre la médicalisation à outrance exercée sur les gens comme moi. On ne peut pas sortir indemne de ça. Il faut simplement que la société et les parents apprennent à aimer ces enfants différents, pour les accompagner jusqu'à l'âge où ils pourront choisir. Jusqu'au jour où ils décideront d'être un homme ou une femme. Ou un peu des deux.