Dans les Pyrénées, ces bergers qui ne veulent pas la peau de l’ours.
Sur place, Mireille Bonhomme et Marc Peyrusqué, bergers, militent pour la réintroduction de l’animal dans les montagnes.
Le break gris de Mireille Bonhomme grimpe à un rythme soutenu les derniers kilomètres de piste aménagée depuis le village d’Etsaut. La poussière vole sous les roues tandis que la conductrice commente les infimes changements de paysage apparus depuis son dernier passage. Elle entreprend chaque semaine un muletage jusqu’à la cabane Cap de Guerren, où son compagnon, Marc Peyrusqué, passe l’été depuis vingt-trois ans. Ils sont bergers. Il garde les brebis et fabrique les fromages dans les estives. Elle descend les fromages, monte le ravitaillement avec les ânes et assure la vente sur le marché de Pau, ou en direct à leur ferme, à Arbus.
Le couple fait partie des bergers adhérents au cahier des charges Pé Descaous (l’un des surnoms de l’ours en béarnais qui signifie « va-nu-pieds ») mis en place par le Fonds d’intervention écopastoral (Fiep), une association qui milite pour la cohabitation entre l’animal et le pastoralisme. Les quatorze bergers signataires transhument dans des zones de présence de l’ours. Ils font connaître leur engagement en imprimant l’empreinte du plantigrade dans leurs fromages.
À la cabane Cap de Guerren, située à 1.841 mètres d’altitude, et dont il ne descend pas de juillet à septembre, Marc Peyrusqué trait deux fois par jour plus d’une centaine de brebis et une cinquantaine de chèvres. ... « Pourquoi je suis pour l’ours ? Parce que je veux vivre de mon métier tout en cohabitant bien avec mon environnement. Et des ours, il y en a toujours eu. »
Certains propriétaires de troupeaux ne passent plus leur été dans les estives, et ne montent que ponctuellement. Ils ont perdu la dénomination de « bergers » pour devenir des « éleveurs ». Pour Marc, cette pratique favorise les « cartons », c’est-à-dire une perte subite de plusieurs bêtes, avec ou sans l’ours, et a des effets néfastes : les brebis, quand elles ne sont pas guidées, ne choisissent que les étendues d’herbes les plus attrayantes et perdent leur rôle de nettoyeuses de la montagne, car elles délaissent les zones envahies par la végétation.
Marc souhaiterait que tous les troupeaux soient surveillés, les éleveurs pouvant employer facilement des jeunes grâce aux aides : « Cela redynamiserait les vallées, donnerait de l’emploi aux jeunes et contribuerait à la continuité du métier. » Et d’avancer ce chiffre : « Même sans la problématique de l’ours, les pertes sont d’environ 1 % avec une présence en estive contre 15 % quand il n’y a personne. » Les décès auxquels il doit faire face sont majoritairement dus au dérochage, aux vipères, aux parasites, et, en hiver, lorsqu’il est en bas, aux chiens.
Durant l’été, le couple est épaulé par deux salariées. Manu, la muletière, dessert trois cabanes chaque semaine avec des ânes. Elle est salariée d’une association créée par plusieurs bergers. Quant à Charlotte, elle assure une présence dans les estives aux côtés de Marc et l’aide pendant les deux mois les plus intenses, juillet et août. « C’est grâce à l’ours que l’on peut embaucher Manu et Charlotte. Sans lui, elles ne seraient pas là non plus. » Les subventions pour la préservation du pastoralisme assurent 80 % du salaire des deux jeunes femmes. Le plan ours 2018-2028, proposé par le gouvernement au printemps 2018, prévoit de nouvelles aides pour les bergers qui transhument sur son territoire. Sans cette aide financière, le couple n’aurait pas les moyens de salarier des jeunes : « Nous gagnons un Smic à deux avec Mireille. Sans les subventions, le métier aurait sans doute disparu. »
Les agriculteurs qui s’opposent à la présence de l’ours avancent les risques de prédation que ferait peser l’animal sur les troupeaux. « Cela fait plus de trente ans que je fais ce métier et l’ours ne m’a jamais pris une seule brebis », commente le berger. Après plus de trois décennies passées dans les estives, il estime que les mesures de protection pour éloigner l’ours et éviter qu’il ne s’attaque aux troupeaux n’ont rien d’impossible, même si le risque zéro n’existe pas.
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