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1- Je méprise l’athéisme du sceptique, du simple critique ou destructeur, car il ne se fonde que sur une négation. Je n'ai pas de problème, tant que je m'en tiens à l'individu, il en va autrement s'il s'agit de réfléchir quant à la cité, avec l'athée philosophe.
Reste-t-il ou continue-t-il de ne se revendiquer que comme athée ? Ne devient-il pas plutôt matérialiste ou panthéiste ? N'admet-il pas a minima alors que le monde est absurde car repose en dernier ressort sur des postulats que l'on explique bien difficilement à la lumière de la seule raison naturelle ?
Je peux lui reconnaître au moins de chercher la vérité, même s'il ne répondra pas forcément aux problèmes philosophiques, en premier lieu la première cause, ou l'existence du mal, de la même façon que moi. Il s'agit alors de savoir qui est le plus proche de la vérité. Ce n'est en tout cas pas un homme creux, pas un homme abaissé, au contraire de son camarade de la masse.
Il faut donc bien différencier l'athée qui veut devenir sage, le philosophe comme dit précédemment, de l'athée d'opinion ; comme l'on peut différencier le chrétien qui veut devenir sage du chrétien d'opinion. Je parle des seconds, souvent essentiellement car ils sont l'immense majorité, le cas général.
En d'autres termes, vous dites vrai quand vous parlez du relativisme : à savoir de cet athée que je méprise parce qu'il ne cherche pas la vérité ; qu'il a même grandement oublié cette notion ; et que cela structure son existence. Qui n'a pas une véritable notion de la vérité, risque de dégénérer en érudit par exemple : en homme qui compile les doctrines, étudie tous les sujets sans discernement, parce qu'il ne sait différencier une science du vrai, reconnue comme un bien, d'une science de l'erreur, reconnue comme un mal.
On pourrait étudier la question suivante. Le vrai et le faux étant des contraires, le faux étant un mal, est-il nécessaire d'étudier le mal pour devenir savant ? Qu'est-ce que le mal ? Si le mal est privation de forme, accident ou non – être, étudier le bien permet de répondre aussi à ceux qui sont dans l'erreur. Il reste alors nécessaire, me répondrez-vous, de savoir qui est dans le vrai ; et à moins de se fier à une autorité, on ne peut le savoir que par l'étude. C'est de nature à expliquer, que pour l'homme intelligent, en tant qu'individu toujours, pas si l'on considère le bien de la cité, je ne suis pas un grand défenseur de l'index, de la soumission à une orthodoxie avant examen.
Terminons ce premier point par le terme que vous employez : « relativisme ». Pour bien comprendre un phénomène, il faut bien le nommer : je préfère personnellement le terme « pyrrhonien », ou « sceptique » ; car il permet de rattacher le phénomène que nous observons, à la décadence de la philosophie antique, à ce qui nous reste des sceptiques : en l'occurrence surtout Sextus Empiricus.
Les pyrrhoniens ou sceptiques sont les grands ennemis de la vérité, et de toutes les philosophies qu'ils appellent dogmatiques, ce que je défends. Ils ne croient pas que les hommes soient capables de vérité, que leur raison puisse reconnaître cette dernière. En conséquence, ils expliquent que toutes les philosophies dogmatiques sont arbitraires, car reposent sur des postulats indémontrables. Ils invitent leurs disciples à suspendre leur jugement, à reconnaître que tout est opinion, jugement particulier exercé par un homme à partir de son expérience ; qu'en conséquence toutes les opinions se valent.
Le sage est celui qui reconnaît... cette vérité : la grande contradiction des pyrrhoniens donc est de se fonder sur un jugement ou une vérité ; et d'être réduit à tenter d'expliquer ce jugement ou vérité défendue, contraire à tous leurs principes. Tout est relatif, en témoigne les dix modes de suspension du jugement de Sextus Empiricus, mais le premier principe de leur conduite n'est plus relatif, mais presque dogmatisé.
Notons aussi que notre ami pyrrhonien comme les modernes s'épanouit dans la philosophie critique : détruire toutes les philosophies dogmatiques. Au contraire de nos modernes, il faut lui reconnaître une certaine virtuosité ; c'est un critique intelligent et impitoyable.
Le pyrrhonien explique que suspendre son jugement permet d'éviter le malheur, le trouble relatif à toutes les questions que posent ces satanés dogmatiques ; que le scepticisme est la condition sine qua non, pour atteindre le bonheur, conçu comme simple absence de troubles, ataraxie ; que le scepticisme permet de bien vivre au quotidien, car le pyrrhonien se contente d'observer les lois, les mœurs, les coutumes de sa société, de ne pas les questionner, puisqu'elles ne peuvent ni être meilleures ni pires que d'autres ; que le scepticisme permet en fait la paix en l'homme et dans la cité ; et que s'il combat les dogmatiques de toutes les espèces, c'est en fin de compte car en plus de prétendre à la vérité que l'homme ne peut atteindre, en plus de vivre dans le trouble, dans le malheur pour cette raison, ils provoquent la guerre ou dissension dans la cité.
Vous constaterez peut-être, à ma suite, qu'ils étaient quand même des sceptiques plus intelligents, car ils avaient de leur scepticisme pas simplement une opinion, mais un système, une philosophie ; que l'on retrouve dans notre société à l'état de simple opinion ces idées ; que pour cette raison d'ailleurs, je n'ai pas peur d'affirmer que la philosophie antique met à la philosophie moderne une bonne fessée.
2- L'athée finit-il asservi à ses passions, donc homme de jouissance ? Reprenons la précédente distinction : athée philosophe, et athée du quotidien ou d'opinion. Si l'athée adhère à une schola grecque, et qu'il se soumet à la manière de vivre de cette dernière, il ne sera effectivement pas forcément homme de jouissance. Mais s'agit-il de nos athées contemporains ? Il est possible que cela concerne quelques hommes d'élite, mais certainement pas la masse. Evola par exemple, incite effectivement dans chevaucher le tigre au détachement de la politique, à supporter la vie dans le monde moderne en stoïcien.
Pourquoi l'athée d'opinion finit – il asservi à ses passions ? Il n'a pas de doctrine : ni philosophique, ni religieuse ; il vit donc conformément à ses désirs, s'y soumet même de très bonne grâce : il désire, il agit. C'est de nature à expliquer pourquoi l'éthique a complètement disparu de notre société.
Si je condamne cette vision moderne de la vie, c'est en premier lieu parce qu'elle abaisse l'homme, le rend comparable à la bête : j'utilise souvent l'expression « animal humain », pour désigner cette engeance. Il ne s'agit pas simplement d'une insulte, plus de décrire la déchéance de ces gens qui se perdent dans la tourbe des sens, qui vivent entre plaisir et douleur, qui n'aspirent qu'à satisfaire leur corps, qui ne se contentent pas contrairement à ce qu'ils racontent d'aimer les petits plaisirs de la vie, car ils ont fait de ces plaisirs le sens même de leur existence, et qu'ils en subissent le prix. Il me semble que c'est ce que j'ai expliqué précédemment sur ce fil ; et pourquoi dans notre société, il faudrait sûrement interdire l'alcool, qui pour des gens qui vivent ainsi, incapables de se refréner, ne peut être qu'un gros danger.
En menant cette simple vie, ils se rendent aussi méprisables ; ils risquent d'ailleurs comme la plèbe romaine en son temps, par leur comportement, d'inciter les hommes d'élite, de toutes les espèces, à les mépriser, voire au dégoût : une fracture qui peut s'avérer dangereuse pour la cité. Comment voulez-vous respecter des alcooliques, des débauchés ? Du dégoût, peut naître la cruauté. Je reconnais bien humblement qu'il s'agit même d'un danger très réel pour moi. Donnons un exemple, un auteur qui m'a d'ailleurs inspiré, afin de faire d'une pierre, deux coups. Citons Donoso Cortes, propos rapporté par Carl Schmitt dans ses écrits sur la théologie politique : « Si Dieu ne s'était pas fait homme, le reptile que mon pied écrase serait moins méprisable qu'un homme. »
Le chrétien ou musulman d'opinion, qui certes s'il n'est pas un sage, dispose de bien meilleures opinions pour vivre, même pour mener une vie heureuse. Il aura une doctrine qui permet de disposer d'une morale, de mœurs... S'il s'en détache, il devient tout simplement un mauvais chrétien, et devra selon ces mêmes opinions en payer le prix. C'est de moins en moins vrai, car en se faisant libéraux, l'un comme l'autre, soit ne cherchent plus à vivre en conformité avec leurs opinions, soit adoptent des opinions libérales, afin de ne plus devoir se comporter comme le feraient le bon chrétien ou le bon musulman.
Ces opinions simples sont-elles des vérités, ou de pieux mensonges ? La véritable manière de répondre à cette question, est de répondre aux grandes questions. Quelle est la première cause ? Qu'est-ce que le monde ? Qu'est-ce que l'homme ? Toutes les questions auxquelles les doctrines philosophiques et religieuses sérieuses tentent de répondre.
Je dis bien sérieuse, car une partie de la philosophie moderne, les déistes et athées, se permet d'ignorer tout simplement la métaphysique. Sceptiques en la matière, ils pensent qu'il s'agit d'une fausse « science », que l'on ne peut arriver à la vérité, que l'on ne peut que développer des opinions. Ils se contentent donc de l'ignorer.
Ce ne serait pas si grave, si toute la philosophie ne dépendait pas de la métaphysique, première science en fait de la philosophie ; si l'éthique par exemple n'en était pas qu'une application, de même pour la politique, philosophie qui traite plus spécifiquement de la société humaine, et de l'homme qui l'habite.
C'est pourquoi, selon moi, les philosophies libérale, marxiste, socialiste... ne sont que des philosophies dégénérées ; qui se contentent d'être l'expression de simples utopies ; qu'il n'y a ni réflexion sérieuse sur l'homme, ni sur la cité. Malheureusement, nous les subissons encore.
Une autre question s'impose : la plupart des hommes sont-ils seulement capables d'adopter une éthique ? Que la raison domine leurs passions ? Est-ce au contraire l'état habituel de la majorité du genre humain de se vautrer dans le stupre ? Les doctrines religieuses parviennent-elles vraiment à élever l'homme au-dessus de la bête ?
Même en admettant que oui, question subséquente : comment ? Par la soumission à une éthique, acceptée librement, comme le chrétien ? Par la soumission à toute une flopée de commandements comme le juif, ou le païen romain, en un mot à la Loi ? L'homme est-il capable de respect une fois qu'il a adopté une doctrine ? Ou sait-il seulement craindre ? Aime Dieu, respecte-le pour ce qu'il est, du moins ce que tu en sais, et soumets-toi ? Ou crains Dieu, soumets-toi ?
Ce sont des questions qui traversent le christianisme, le judaïsme et l'islam. A première vue, l'on pourrait être tenté d'expliquer que seul le christianisme professe l'amour de Dieu avec le Nouveau Testament : « Si vous m'aimez, gardez mes commandements » Jean, 14. 15 ; mais même si je suis moins savant concernant les deux autres religions, je sais qu'il existe la tradition soufie pour l'islam.
Je sais également que le théologien chrétien peut dire en citant le livre de Job (28, 28) : « Voici la crainte du Seigneur, c'est la sagesse ; s'éloigner du mal, c'est l'intelligence », ou en citant le Psaume 111 : « La crainte de l'Éternel est le commencement de la sagesse; Tous ceux qui l'observent ont une raison saine » (Ps 111.10).
Je sais enfin que pour louer Dieu, il faut l'aimer ; et que l'Ancien Testament contient de nombreuses louanges adressées à Dieu. Citons à titre d'exemple, le moine catholique qui peut chanter les psaumes 148 à 150 : les laudes, depuis la règle de Saint Benoît, et que tous les catholiques fidèles même connaissent le laudate dominum, plus particulièrement ces trois versets : « Louez l'Éternel! Louez Dieu dans son sanctuaire! Louez-le dans l'étendue, où éclate sa puissance! Louez-le pour ses hauts faits! Louez-le selon l'immensité de sa grandeur! » (Ps 150, 1-2) ; « que tout ce qui respire loue l'Eternel ! Louez l'Eternel » (Ps 150, 6). Le catholique préfère chanter : que tout être vivant chante louange au Seigneur, Alléluia. Les juifs pour louer Dieu préfèrent les psaumes 113 à 118, si je me souviens bien : je connais évidemment beaucoup moins bien le judaïsme.
3- Je fustige enfin cette vision moderne de la vie, parce que notre société en paie le prix. Je l'ai développé plus haut sur ce même fil me semble-t-il : inutile de me répéter. Je le ferai, si ce vous semble nécessaire.
4- Maintenant, sur la question de la vérité. Il faut bien dire qu'il s'agit d'une chose assez mystérieuse ; et qu'il y a la réponse du savant, et de l'ignorant, pour le chrétien.
Dieu, pour le chrétien est le fondement de l'être et de l'existence : son essence est même égale à son existence. Le chrétien le sait grâce à exode 3,14 : « je suis celui qui suis ». Il est à l'origine de l'homme, aussi bien que du monde, la réalité dans laquelle vit l'homme. L'homme et le monde sont d'ailleurs ordonnés par une même raison, la raison naturelle, ce qui explique en partie que l'homme puisse comprendre ce monde.
Qu'est-ce que la vérité ? Si la vérité est adéquation entre la pensée produite par l'intelligence du sujet qui observe, et l'être de la chose observée, on peut affirmer qu'elle survient lorsqu'un homme lit bien la réalité, un peu comme si notre intelligence était le lecteur, et la réalité, le disque à lire. Dieu contient-il toutes les vérités, un peu comme s'il était le monde intelligible platonicien, ou est il fondement de la vérité, en tant qu'elle est adéquation de la chose et de la pensée, ou la vérité existe-t-elle en Dieu, et est actualisée en l'homme par la pensée ?
Honnêtement, je suis bien incapable de répondre à de telles questions. Est-il seulement possible même à l'aide de la théologie, de pouvoir formuler avec certitude une affirmation ? Saint Thomas en bon réaliste et défenseur de la raison humaine l'a fait ; mais n'est-ce pas surestimer un peu la raison ? A quelle connaissance de Dieu et des mystères, même à l'aide de la théologie qui se fonde sur la révélation présente dans les Saintes Ecritures, peut-on parvenir ? Etant entendu, que pour toute une partie de la philosophie, je raisonne en imbécile, car je fais de cette dernière la simple servante de la théologie, un sacrilège.
Qu'est-ce que la vérité ? Le fidèle se contente de répondre par Jean 14,6, lorsque Jésus dit : « Je suis le chemin, la vérité, et la vie ». Dieu ou le Christ est donc vérité. Il répond par son livre de Sagesse, la Bible, qui entend lui transmettre des vérités simples afin de vivre. Les Saintes Ecritures s'expriment selon le langage des hommes, disaient les rabbins. On retrouve souvent la même méthode : la réduction d'un problème intelligible, à un problème sensible afin de se mettre à la portée de l'homme : « je suis le chemin, la vérité, et la vie », ce qui reste vrai sait le chrétien, sans pour autant développer un exposé fait de théologie et de métaphysique : plus facile, vous en conviendrez que le premier développement de ce troisième point.
C'est la richesse des Saintes Ecritures : plusieurs lectures en fonction des divers sens, qui se complètent. Il ne s'agit pas de forcer l'Ecriture, plus de savoir ce qu'elle est, à qui elle s'adresse : peindre les vérités pour le chrétien, afin qu'elles soient compréhensibles.
C'est le grand avantage me semble-t-il d'une doctrine religieuse sur une doctrine philosophique : elle s'adresse à tous, pas seulement aux hommes d'élite. S'il y a eu des sociétés chrétiennes ou musulmanes, par exemple ; il me semble qu'il y a eu des empereurs stoïciens, ou des aristocrates romains stoïciens, les Antonins par exemple, pas une société romaine stoïcienne.
Si je résume ma position : il faut se fonder sur des affirmations, pas sur des négations ; si l'on ne peut que nier, il faut continuer à chercher la vérité. Cela veut dire que le travail n'est pas terminé. Mes ennemis ne sont pas ceux qui sont sceptiques sur telle ou telle question, parce qu'ils n'ont pas encore trouvé la vérité : c'est une position qu'il nous arrive tous d'adopter. Je suis moi-même encore en chemin. Mes ennemis sont ceux qui érigent le scepticisme ou relativisme si vous préférez, en système philosophique, ou qui s'approchent par leur opinion d'une telle position.
J'ai répondu au plus vite, je sais que vous ne passez pas souvent. Je crois savoir aussi qu'une réponse longue, même agrémentée de quelques digressions, ne vous incommodera pas.