Sargon
O tempora, o mores ! j'ai envie de dire.
A l'époque, comme vous le dites, Hergé avait la carte, puis il ne l'a plus eue. Goscinny a la carte, mais combien de temps encore ?
Par "avoir la carte", je reprends l'expression de je ne sais plus qui : ça veut dire il peut raconter ce qu'il veut, ça passe, alors que si un autre le fait, ça passe pas. Desproges peut faire un sketch sur les Juifs, personne ne le traite d'antisémite, que Dieudonné s'y essaye, ça passe pas.
Si on lit les Astérix, on apprend que les Corses sont tous des feignasses, que les Boches sont des gros boeufs ultra-disciplinés, que les British sont ridicules avec leur langue, leurs coutumes à la con, leurs goûts culinaires nullissimes, que les Belges sont des cyclistes et des gros mangeurs et des pochtrons, et tous les préjugés les plus réducteurs, pour être modéré. Comme Hergé avec ses Levantins tous vicieux et dissimulateurs, ces Noirs abrutis qui ne parlent qu'en petit nègre, etc.
Mais Goscinny, ça passe, on ne lui en veut pas. On peut rationaliser, donner des raisons, mais elles ne changent rien au fait. Les raisons, c'est par exemple que l'ensemble de l'oeuvre de Desproges et ce qu'on sait de lui par ailleurs montre qu'il s'agissait de rigoler, avec le challenge de le faire sur un sujet réputé pas drôle, ce qui est bien différent de la volonté d'initier une propagande antisémite, dont la partie sketch n'est qu'un aspect, sans doute pas l'essentiel (1) Ou que Goscinny ne croit pas réellement que les Corses sont tous les fainéants, mais qu'il joue avec parce que c'est un bon sujet de blague, alors que Hergé pense vraiment que l'Arabe est fourbe et le Chinois dissimulé.
Mais l'évolution plus récente du politiquement correct dans l'acception d'origine (la political correctness, c'est au départ l défense des minorités, Noirs, Porto-Ricains, femmes, homo, etc.), évolution qui relève de l'inflation galopante, au moins dans le discours, nous fait craindre que ce beau temps n'ait une fin, et qu'Astérix soit retiré des rayons des librairies, et que l'on incite nos instituteurs à cesser de les montrer aux gamins pour le cours de latin, d'histoire ou de français, ne pas leur transmettre les valeurs pourries du vieux monde.
Polony a déjà évoqué le problème à plusieurs reprises : on va avoir du mal à apprendre la littérature française. Baudelaire n'est pas très sympa avec les femmes, il a dit des horreurs sur les Belges, mais il ira rejoindre Hergé dans la cave. Et si vous virez tous les mysogynes, les racistes, les antisémites, les homophobes, ceux qui ont le mépris du Rital ou la haine du Boche, y aura plus de littérature classique dans l'enseignement, et l'on frémit en songeant à ce par quoi ce sera remplacé.
(1) Son ex comparse Elie Sémoun, le lui a dit assez bien une fois où ils avaient été réunis pour discuter un peu de tout ça. Il avait dit à Dieudo : fais pas des sketches en dehors des sketches.