Avec l'approbation de cette modification de la constitution russe, Poutine semble surtout avoir fait son Brejnev. En 1977, l'Union soviétique avait aussi adopté une nouvelle constitution. La constitution Brejnev. On connait tous l'histoire qui a suivi. La longue liste d'amendements à la constitution russe de 1993 crée l'illusion d'un État modernisé, fondé sur le droit, mais aussi détaché de la réalité russe que la constitution de 1977 l'était de la vie soviétique.
Comme pour les votes sous l'ère communiste, les Russes savaient que le résultat était connu à partir du moment où Poutine avait annoncé son intention de modifier la constitution. Il s'agissait simplement d'un rituel destiné à rendre les citoyens complices du recul des libertés politiques et de la dégradation de l'État de droit qui caractérisent les deux décennies de pouvoir de Poutine.
Mais il semble que les choses ne se sont pas déroulées comme prévu. Les amendements de Poutine n'ont pas obtenu le soutien de la majorité des électeurs à Moscou et à Saint-Pétersbourg, bastions de l'opposition au poutinisme. On a constaté une agitation pendant la campagne parmi les jeunes Russes qui n'ont connu aucun autre dirigeant que Poutine dans leur vie. Ceux-ci sont immunisée contre les torrents de désinformation qui déferlent des médias d'État russes. Ils passent leur temps sur des canaux internet moins étroitement contrôlés. De plus, des millions de personnes sont tombées dans la misère depuis la chute des prix élevés du pétrole qui ont augmenté le niveau de vie au cours de la première décennie du mandat du président.
Le contrat social tacite entre Poutine et la population russe est mis à rude épreuve. Selon ce pacte non écrit les gens jouissaient d'une meilleure qualité de vie que sous le communisme et étaient soumis à moins de troubles qu'à l'époque de Boris Eltsine, mais ils acceptaient de ne pas remettre en question la politique autoritaire de Poutine, ainsi que la puissance et la richesse de son entourage. Ce contrat se désagrégeait déjà avant le coronavirus, en partie à cause du changement de génération et en partie parce que le poutinisme ne peut pas introduire les réformes profondes nécessaires pour transformer l'économie basée sur le pétrole, le gaz et les matières premières sans porter atteinte à sa propre stabilité. La pandémie actuelle aggrave la situation, plongeant la Russie dans une profonde récession et faisant de la dépendance à l'égard de la production et des exportations d'énergie une base encore plus fragile pour le renouveau économique.
Aujourd'hui, le poutinisme paralysé politiquement montre un enthousiasme pour des rites politiques vides de sens qui font écho à ceux des dernières années de Brejnev. Les amendements constitutionnels permettent à Poutine de rester président jusqu'en 2036. Il aura à cette date 80 ans, le même âge que Brejnev à sa mort à la tête de l'URSS.