Plariste-le-Revanite
Tu ne t'arrêtes jamais ? Tu ne prends jamais des congés santé pour cesser de débiter des conneries ?
Alors maintenant, un poète c'est un type qui écrit un texte en prose, et qui se demande après comment on va en faire des vers ? Putain, mais on t'a appris quoi, pour avoir ton bac pro ? On ne t'a pas dit que le grand kiff, c'est que la rime contraint et que c'est à cause (et pas malgré) de la contrainte qu'on fait des trucs bien ?
Je prends un exemple, un de ses plus beaux poèmes, l'héautontimoroumenos, (du grec : le bourreau de soi-même)
Je te frapperai sans colère
Et sans haine, comme un boucher
Comme Moïse le rocher
Et je ferai de ta paupière...
Jaillir les eaux de la souffrance etc.
Bon, je cite pas tout, mais ce poème est magnifique. J'étais pas là quand Baudelaire a écrit ça, je ne sais pas quelle était la première idée. C'était peut-être le boucher. Sans colère et sans haine comme un boucher : le boucher frappe et tue, mais ce n'est ni l'effet de la haine ni sous l'emprise de la colère. Il est en train de parler de jeux sexuels où on fait un peu mal à la partenaire, un chouïa de cruauté pimente le truc, au moins c'était le cas de Baudelaire, ou au moins il voulait en parler, mais on s'en fout.
Donc ça c'est bien, mais après il lui faut une rime en - cher. Et il te sort : "comme Moïse le rocher". Ca fait référence à un passage de l'Exode où les Hébreux sont en plein désert (du Sinaï), n'ont rien trouvé à boire depuis des jours. Moïse prend alors sa canne et frappe un rocher (non qu'il le haisse ou soit en colère contre ce rocher) et une source jaillit (1). Il frappe pour faire jaillir les eaux, comme Baudelaire tapote un peu sa meuf pour la faire chiâler un peu.
Maintenant, il est possible que Baudelaire ait d'abord pensé à Moïse et que l'idée du boucher soit venue après pour rimer avec "rocher", il n'a pas forcément écrit dans l'ordre qu'il livre à la fin.
Il a d'ailleurs écrit, ça doit être un des premiers, des Petits poèmes en prose où il y a beaucoup de bonnes choses, mais le poème classique et qui rime, ça a une autre classe. Encore une fois, la contrainte, c'est extrêmement stimulant.
A noter que tu as la jurisprudence Hugo, aussi. Dans un de ses poèmes les plus connus (et légitimement, il est sublime) de la Légende des siècles (Booz endormi, l'histoire de Booz et de Ruth), on reste dans l'Ancien Testament, il écrit:
Tout reposait dans Ur et dans Jérimadeth
(qui rime avec : et Ruth se demandait
Quel Dieu, quel moissonneur de l'éternel été
Avait, en s'en allant, négligemment jeté
Cette faucille d'or dans le champ des étoiles
(je coupe un peu)
Jérimadeth, c'est très joli, mais cette ville n'a jamais existé, Hugo l'invente. Our ou Ur, ça existe (c'est la ville natale de Moïse, on y revient), mais Jérimadeth, ça sonne comme de l'hébreu, mais ça n'existe pas. On s'est demandé d'où Hugo sortait ce truc, on en est venu à l'idée qu'il a pris "j'ai rime à dette" (càd : je trouve pas de rime) et l'affaire est faite. Il invente un faux mot et ça passe.
Remarque sans rapport : faut pas écrire Beaudelaire, comme tu fais. Tu passes pour une cloche et un ignorant, mais passons là-dessus, c'est pas intéressant. Mais quand il était encore peu connu, à ses débuts, il lisait des recensions ou des critiques le concernant dans des journaux, où cette faute était faite systématiquement. L'article pouvait être élogieux ou moins élogieux, ça il s'en foutait plus ou moins, mais cette orthographe le mettait dans des rages folles. Ca lui donnait des envie de tuer. Non pas seulement parce que c'est désagréable de lire dans des livres votre nom mal orthographié, mais à cause de "beau", qui fait penser à quelque chose de joli, et que son art poétique ne consiste pas du tout à faire du joli, du facile, du commercial.
(1) la fin de l'histoire : les Hébreux sont émerveillés et se disent que Moïse est vraiment un balèze, et il se laisse aller à l'enthousiasme général en oubliant de dire que si la source a jailli, c'est pas Moïse qui l'a fait, c'est Dieu. Et Dieu n'apprécie pas du tout ce genre de frasques, le convoque à son bureau pour lui passer un savon. Je te résume : écoute, coco, Moïse, si je t'ai donné des super-pouvoirs, c'est pas pour que tu joues les bateleurs de foire avec tes numéros de magie, mais que tu rendes grâce à ma généreuse munificence. Je t'ai dit que tu conduirais Israël vers sa Terre, je maintiens la promesse, je reste clean, mais toi, tu n'y entreras pas. Tu pourras regarder cette Terre si tu veux, mais après tu dégages, t'as compris ? C'est pour ça que Moïse n'a jamais foulé la Terre d'Israël et qu'à la fin de l'Exode, quand ils arrivent enfin, Moïse dit aux Hébreux qu'il les a menés où il avait promis, mais qu'il n'entrera pas lui-même, parce qu'il n'a pas le droit.